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Chapitre 2 Cadre conceptuel et état de la question

2.2 Le leadership en matière de justice sociale

2.2.3 Justice sociale et éducation

Depuis son apparition, l’école publique a toujours suscité un débat sur ses fonctions surtout par rapport à son rôle dans l’abolition ou la reproduction des injustices que les sociétés occidentales, alors émergentes, connaissaient à bien des égards. C’est au moment où l’école publique a commencé à prendre de l’ampleur au début du 20e siècle que de plus en plus d’éducateurs progressistes ont commencé à critiquer son rôle dans le maintien des injustices sociales (Boyles, Carusi et Attick, 2009).

Dans sa critique de l’école, John Dewey souligne que celle-ci n’est pas une institution isolée de la société et qu’« elle n’a pas de but ni d’objectif moral si ce n’est la participation à la vie sociale » (Dewey, 1969, p. 11). En plus, selon lui, « il ne pourrait y avoir deux types de principes moraux, les uns pour la vie à l’école et d’autres pour la vie à l’extérieur de l’école » (idem, p.7), et c’est pour cette raison que l’éducation est l’outil fondamental qui devrait

garantir le progrès et la réforme de la société, reprochant au système scolaire, d’être de tout temps, fonction du type dominant d’organisation de la vie sociale (Westbrook, 2000).

Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron (1970) pour leur part, dénoncent ouvertement ce qu’ils appellent la fonction reproductrice de l’école. Selon les deux sociologues français, l’école détient une fonction sociale de conservation et de consécration du pouvoir et des privilèges, au sein de laquelle, il s’opère une sélection et une élimination systématiques basées sur des aprioris idéologiques et des instruments de légitimation occultes dont entres autres la langue et l’examen.

Selon les deux auteurs,

« le système scolaire, avec les idéologies et les effets qu’engendre son autonomie relative, est à la société bourgeoise… ce que d’autres formes de la légitimation de l’ordre social et de la transmission héréditaires des privilèges ont été à des formations spéciales qui différaient tant par la forme spécifique des rapports et des antagonismes entre les classes que par la nature du privilège transmis » (Bourdieu et Passeron, 1970, p. 252)

Ryan (2006), pour sa part, estime que les éducateurs ont eu raison de s’inquiéter de la justice sociale en éducation; c’est que d’après lui,

« la diversité est devenue de plus en plus apparente dans nos écoles et nos communautés, le fossé qui séparait les favorisés des défavorisés s’est profondément élargis. Tout le monde ne réussit pas comme il faut dans nos institutions éducatives et les gens ne sont pas équitablement avantagés dans nos communautés » (p. 4, traduction libre)

Ces inégalités, selon lui, ne sont pas le fruit du hasard, mais sont plutôt ancrées dans des modèles de discrimination associés à l’ethnicité, à la race, à la classe sociale, au genre et à l’orientation sexuelle, au handicap physique ou mental, au langage, etc.

Archambault et Harnois (2009a), quant à eux, situent cet intérêt pour la justice sociale dans un contexte de sociétés en changement caractérisé par une augmentation de la diversité sous toutes ses formes : culturelle, sociale, ethnique, raciale, religieuse, mais également de la pauvreté, des écarts économiques et de l’immigration.

L’intérêt pour la justice sociale en éducation trouve en plus sa justification dans les politiques de la mondialisation néolibérale largement imposées aux nations au nord comme au sud et leur impact sur les systèmes éducatifs à partir des années 1980 (Keddie et Mills, 2009).

La mondialisation comme processus est difficilement accessible à une délimitation conceptuelle, cependant, plusieurs auteurs s’accordent pour dire qu’elle désigne

« les changements sociaux et économiques qui prennent place un peu partout dans le monde, lesquels changements sont engendrés par les révolutions récentes dans le domaine des technologies, de l’information et de la communication ainsi que par les flux des humains, des capitaux, des idées, et des informations que connait le monde qui devient de plus en plus interconnecté et interdépendant comme il ne l’a jamais été auparavant. » (Rivi et Engel, 2009, p. 530, traduction libre).

Selon les mêmes auteurs, bien que la mondialisation puisse suggérer plusieurs interprétations, c’est bien sa conception néolibérale qui est devenue la plus hégémonique au cours des dernières décennies. Cette conception semble avoir pris en otage l’éducation, considérée désormais comme un service comme un autre, soumis à la loi du marché, basé sur l’offre et la demande et sur la compétitivité (Berthelot, 2006).

Dans ce contexte, les notions de justice sociale et d’équité en éducation sont réduites à un simple droit d’accès formel à l’institution scolaire, condition qui, bien que nécessaire, n’a jamais été suffisante pour réaliser les aspirations de l’éducation (Rivi et Engel, 2009).

L’intérêt pour la justice sociale en éducation naît également, et surtout, du besoin de remettre en question les structures en place, soi-disant neutres et objectives, qui, dans les faits, reproduisent une culture dominante et les valeurs qui s’y rattachent, avantageant certains individus au détriment d’autres (Beachun, 2008).

L’école peut jouer un rôle clé dans ce processus de changement vers une plus grande justice sociale en portant une attention particulière aux groupes marginalisés, souvent mal desservis par le système scolaire, sous représentés ou faisant face à diverses formes d’oppression (Archambault et Harnois, 2009a).

La gestion d’une école dans cette perspective ne saurait se résumer au simple fait de diriger une école comme on gère une entreprise dans le but de faire du profit, mais plutôt dans

l’exercice d’un modèle de leadership inscrit dans une démarche réflexive et éthique encourageant les attitudes de justice et d’équité sociale (Langlois, 2002).