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Le Service Civique en débat : volontariat ou obligation ?

Pour atteindre ces objectifs, la question est ici de savoir si le Service Civique doit devenir obligatoire ou demeurer volontaire en visant l’universalité c’est-à-dire le rendre accessible à tou.te.s les jeunes qui souhaitent s’engager.

Cette question a été largement débattue par le Parlement (voir encadré 2).

Plusieurs arguments sont évoqués pour défendre le caractère volontaire du Service Civique.

Les contraintes financières, matérielles et opérationnelles sont, depuis la suspension du service national actif obligatoire, souvent avancées par certain.e.s pour ne pas mettre en place un Service Civique obligatoire. Ces arguments ont été utilisés en 1997 pour écarter l’idée d’un Service Civique obligatoire, qui aurait fait passer le nombre d’appelé.e.s – femmes

ANNEXESÉTUDE et hommes - de 32 000 à 600 000 par an31. Cette montée en charge aurait induit des coûts

importants pour assurer le pilotage du dispositif, mais aussi prévoir des infrastructures et un encadrement suffisant. Enfin, dans la mesure où cette montée en charge ne pouvait qu’être progressive puisqu’elle nécessitait la mobilisation de structures d’accueil nombreuses, et variées et l’expérimentation de multiples missions de volontariat adaptées, le débat sur l’obligation était perçu comme prématuré. Ainsi les arguments initiaux du débat sur le caractère volontaire du Service Civique sont toujours prégnants et notamment la faisabilité d’une montée en charge garantissant à la fois sa non substitution à l’emploi et sa capacité à ouvrir des missions d’intérêt général pour toute une génération de jeunes.

Des arguments d’ordre légal peuvent également être opposés pour défendre le caractère volontaire du Service Civique. En effet, le caractère obligatoire d’un Service Civique se heurte également à un argument d’inconstitutionnalité. Selon Guy Carcassonne, « la Constitution n’autorise le législateur à disposer de la personne ou du bien des citoyens que dans un certain nombre de cas limitativement énumérés. Ces cas sont au nombre de trois : les sujétions imposées par la défense nationale (article 34 de la Constitution), les obligations fiscales (articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et article 34 de la Constitution) et l’instruction obligatoire (au titre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République) ». Le conseiller d’État Jean Fourré, président de la Commission interministérielle sur les formes civiles du service national, a conforté cette analyse en indiquant aux membres de la mission d’information de l’Assemblée nationale que « plus on s’éloigne de la notion de défense, plus on se rapproche de la notion de travail contraint ». Les responsables syndicaux et associatifs partageaient également ce point de vue, redoutant certaines dérives liées au remplacement de professionnels par des appelés considérés comme une main d’œuvre bon marché. Enfin, dans son rapport d’information sur le service national du 9  mai  1996, le sénateur Serge Vinçon précisait que le fait de manquer à ses obligations militaires est qualifié de désertion, alors que manquer à ses obligations de service civil serait simplement considéré comme une absence. Cette divergence lexicale démontrait une différence de légitimité entre le service national et un service à composante civile même obligatoire.

De plus, pour le CESE ainsi que pour la majorité des acteur.rice.s auditionné.e.s, le caractère obligatoire du Service Civique n’est pas souhaitable pour des raisons autres que financières, matérielles ou légales. Ces raisons tiennent davantage à la philosophie de l’engagement, au regard porté sur la jeunesse française mais aussi au sens et aux missions du Service Civique. Ainsi, comme l’a souligné Yannick Blanc32 lors de son audition du 14 juin 2016 par la délégation, « l’intérêt du Service Civique pour la société française, (…) ce n’est pas de recruter, comme on l’a fait jadis avec le service militaire, une armée de gens subordonnés, disciplinés, que l’on mettrait au service de la Nation, mais de susciter l’engagement des individus

31 Données numériques fournies par le rapport d’information de l’Assemblée nationale du 9 décembre 2015 « Bilan et mise en perspective des dispositifs citoyens du ministère de la défense ».

32 Préfet, Haut-commissaire à l’engagement civique et président de l’Agence du Service Civique.

Étude

au service de la cause collective.  Ainsi, le caractère volontaire et libre de l’engagement est consubstantiel à l’idée même du Service Civique ».

Une obligation légale nuirait à la philosophie de l’engagement désintéressé au service de la collectivité. Le volontariat est perçu comme le meilleur outil pour donner envie d’agir.

Selon le député Bernard Lesterlin : « l’intérêt général est mieux porté quand il y a une implication volontaire, individuelle de la personne concernée plutôt qu’une obligation édictée par nos règles et donc par la loi. ». C’est l’argument principal mis en avant par tous les auditionné.e.s, dont Martin Hirsch33 à l’époque, Haut-commissaire à la jeunesse, chargé de présenter le texte à la commission de la défense, qui rappelait que : « ce choix n’est pas d’abord justifié par des impératifs budgétaires  : il paraît avant tout impossible d’obliger des jeunes à accomplir un Service Civique alors même qu’ils ont des difficultés à entrer dans la vie active. Le Service Civique pourrait alors être perçu comme un pis-aller fort peu attractif34 ».

Un autre argument renforce donc l’idée d’un Service Civique volontaire : le regard porté sur la jeunesse. Comme le soutient Martin Hirsch33 mais aussi l’ensemble des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse35, imposer un Service Civique obligatoire à la jeunesse porte sur elle un regard négatif à plusieurs égards. Concernant l’engagement, cette obligation insinuerait que la jeunesse ne serait pas assez citoyenne ni engagée. C’est précisément ce que dénoncent les mouvements de jeunesse, à l’instar de Marthe Corpet36, représentante de l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), qui déclarait lors de la table ronde du 13 septembre 2016 devant la délégation que « créer un devoir d’engagement » revenait à favoriser « un processus moralisateur de l’engagement  ». Le député Bernard Lesterlin va dans le même sens quand il déclare : « si nous voulons faire rejeter l’engagement citoyen par toute une partie de notre jeunesse, rendons le Service Civique obligatoire »37. Or, l’image d’une jeunesse peu engagée est pourtant fausse. Les récentes enquêtes montrent que les jeunes n’ont jamais été aussi engagé.e.s. En 2016, 35 % des 18-30 ans déclaraient donner bénévolement de leur temps en consacrant quelques heures à une association ou autre organisation au moins ponctuellement dans l’année38, alors qu’il.elle.s étaient 26 % en 2015. Un autre aspect de ce regard négatif porté sur la jeunesse concerne le contexte dans lequel s’inscrirait un Service Civique obligatoire. Ce contexte économique et social n’est pas favorable pour l’insertion professionnelle des jeunes : 24 % des moins de 25 ans étaient au chômage en 201639. Imposer un Service Civique obligatoire sans traiter durablement cette question de l’insertion professionnelle pourrait provoquer un fort rejet du Service Civique par une partie de la jeunesse.

33 Haut-commissaire à la jeunesse, ancien président de l’Agence du Service Civique et actuellement président de l’Institut de l’engagement, directeur général de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris.

34 Compte rendu n° 19 de la commission de la défense nationale et des forces armées, 20 janvier 2010.

35 Audition du 13 Septembre 2016 au sein de la DPEPP.

36 Vice-présidente de l’Union Nationale des Etudiants de France (UNEF). Pauline Raufaste lui a succédé en janvier 2017.

37 Audition du 10 mai 2016 au sein de la DPEPP.

38 Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2016, n°2016-08, INJEP.

39 Rapport «L’insertion professionnelle des jeunes », France Stratégie et DARES, janvier 2017.

ANNEXESÉTUDE Le dernier argument utilisé par les défenseur.e.s d’un Service Civique obligatoire est celui

d’une égalité d’accès au Service Civique pour tou.te.s. Or, l’expérience du service militaire montre que l’obligation n’est pas en soi une garantie de l’égalité d’accès : elle s’accompagne en effet des modes d’exemption et de réforme qui favorisent les stratégies d’évitement. En revanche, l’expérience du Service Civique volontaire a démontré sa capacité à toucher aussi les jeunes éloigné.e.s de l’engagement. Si l’obligation du Service Civique était mise en place, celle-ci s’appliquerait aussi bien aux jeunes qu’aux structures d’accueil, lesquelles devraient alors faire face à un changement radical de posture et de sens, voire de moyens consacrés, avec des conséquences inévitables sur l’offre de missions. Le risque serait alors grand d’offrir aux jeunes des missions inadaptées ou de faible qualité, ce qui accentuerait fortement les dynamiques d’évitement et de rejet. Dans le cadre des attendus du Service Civique tel que présentés dans le chapitre précédent, l’universalité, comme « droit à l’engagement » consistant à faire en sorte que tout.e jeune souhaitant faire un Service Civique le puisse, semble au CESE davantage de nature à conduire à une égalité réelle d’accès au Service Civique pour tou.te.s les jeunes.

Le Service Civique est avant tout un vecteur de réconciliation de la jeunesse avec la communauté nationale. Le choix de l’universalisation du Service Civique qui a été fait à la suite des attentats a pour conséquence de modifier la représentation de la jeunesse en France, d’une perspective de « rééducation » à celle d’une mise en mouvement de cette jeunesse, au service du renforcement de la cohésion nationale.

Étude

Encadré 2 : Le débat parlementaire

Lorsqu’en septembre 2009, le sénateur Yvon Collin* dépose une proposition de loi pour mettre en œuvre le Service Civique, il s’exprime en ces termes pour décrire son objectif :

« À l'instar de l'ancien service militaire, le Service Civique défini par cette proposition de loi permettra de réaffirmer, voire d'inculquer, les valeurs républicaines […]. Il s'agit de recréer du lien social, de permettre à des jeunes, parfois à la recherche de repères, de s'engager au service des autres, en faveur de l'intérêt général. […] Le Service Civique sera alors un apprentissage de la citoyenneté ».

Il évoque la nécessité de «  réintroduire la notion d’engagement citoyen dans le système de valeurs d’une jeunesse perçue comme de plus en plus individualiste, privilégiant ses droits personnels et négligeant (voire ignorant) ses devoirs en matière de solidarité nationale ». Le langage employé inscrit donc clairement le Service Civique dans la lignée du service militaire. En tant que dispositif visant à « recréer du lien social », le rôle social du Service Civique est évident. Ces objectifs intègrent ainsi dès le départ une fonction d’éducation et de formation des jeunes aux valeurs de la République, à l’engagement et à la citoyenneté, ainsi qu’une première expérience du monde du travail :

«  cela offrira souvent aux volontaires de très sérieuses perspectives d’insertion de par l’expérience acquise ».

Christian Demuynck**, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, insiste quant à lui sur la force à lui donner : « le Service Civique doit non seulement être une forme du service national, mais en devenir le fer de lance ». Il n’est pas « la juxtaposition de différentes formes de volontariats, mais constitue bien un nouvel édifice qui se substitue à de nombreux dispositifs existants ».

Globalement, le débat parlementaire a permis de révéler les différentes approches que les groupes politiques avaient par rapport au concept de Service Civique. Ainsi, les groupes communistes, républicains et du parti de gauche ont regretté l’absence d’un grand débat national qui aurait permis de réfléchir collectivement à la refonte du creuset républicain, en tenant compte de ce qu’a représenté, par le passé, le service national obligatoire.

Ces mêmes groupes ont également proposé, qu’un référendum soit organisé 5 ans après la promulgation de la loi, afin de déterminer si le Service Civique devait devenir obligatoire. En effet, sans réel clivage gauche/droite, la nature obligatoire ou volontaire du Service Civique divisait comme l’a rappelé Marie-Agnès Labarre*** : « nombreux sont ceux, y compris parmi les signataires de la présente proposition de loi, qui défendent la création d’un Service Civique obligatoire ». A terme, le politique souhaite en effet donner au service civil une dimension obligatoire mais « un Service Civique obligatoire signifie qu’il doit être attractif et valorisant. Aussi, avant d’envisager un Service Civique obligatoire, il faut nécessairement passer par une phase de montée en puissance du Service Civique volontaire**** ».

ANNEXESÉTUDE Une autre critique émise concernait le manque d’information sur les moyens alloués

pour atteindre l’objectif de mixité sociale inclus dans le dispositif, ainsi que ceux consacrés à la communication et à l’information auprès des jeunes.

Finalement lors du vote de la loi, un large consensus a été trouvé à l’exception du groupe communiste qui a voté contre en dénonçant la faiblesse de l’indemnité envisagée pour les volontaires et l’ambiguïté d’un statut ne relevant ni du bénévolat ni du salariat.

* Membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).

** Membre du groupe de l’Union pour un mouvement populaire (UMP).

*** Sénatrice, membre du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Sénateurs du Parti de Gauche.

****Propos tenus par le sénateur Yvon Collin.

Une autre critique émise concernait le manque d’information sur les moyens alloués pour atteindre l’objectif de mixité sociale inclus dans le dispositif, ainsi que ceux consacrés à la communication et à l’information auprès des jeunes.

Finalement lors du vote de la loi, un large consensus a été trouvé à l’exception du groupe communiste qui a voté contre en dénonçant la faiblesse de l’indemnité envisagée pour les volontaires et l’ambiguïté d’un statut ne relevant ni du bénévolat ni du salariat.

II. BILAN DU SERVICE CIVIQUE : UN DISPOSITIF EN PASSE DE FAIRE SES PREUVES

S’appuyant sur des enquêtes de terrain et les témoignages recueillis à l’occasion des auditions, entretiens et déplacements de la délégation, le bilan du Service Civique présenté ici est dans son ensemble positif. La satisfaction ressentie et exprimée concerne de multiples acteur.rice.s : les jeunes volontaires quant au contenu de leur mission et à l’expérience vécue, les structures d’accueil ainsi que les bénéficiaires de services publics ou associatifs quant aux bienfaits dont ils ou elles sont les récipiendaires. La montée en puissance quantitative du nombre de volontaires, missions et structures agréées constitue un indicateur indirect du succès du dispositif. Ce tableau favorable ne doit, cependant, pas masquer un ensemble de points importants qu’il conviendra d’améliorer ou de corriger et de percevoir des facteurs de risques qui seront abordés dans la partie III de l’étude.

Étude

A. Un fonctionnement structuré mais perfectible