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LE SCEPTICISME ANTIQUE

Dans le document LA CONSCIENCE 11 (Page 33-38)

L’essentiel pour comprendre

LE SCEPTICISME ANTIQUE

1. Apprendre à retenir son jugement

L’école sceptique a été fondée par le Grec Pyrrhon d’Élis(vers 365-275 avant J.-C.), célèbre au point que le mot pyrrhonisme fut long-temps un équivalent répandu du mot scepticisme. Il s’agit avant tout d’une initiation au détachement. Parce que toutes les opinions se valent, parce que nos sensations ne sont ni vraies ni fausses, parce que les doctrines des sages ne cessent de se contredire, il faut ne rien affirmer, nous détacher de tout et, dans le silence, tendre à l’ataraxie.

Le souverain bien est cette paix de l’âme (le grec ataraxia signifie lit-téralement « absence de trouble ») qui, chez le sage, résulte de la sus-pension du jugement(épochè en grec). Pour les sceptiques, c’est en effet notre soif de savoir, notre volonté de porter des jugements défi-nitifs sur les êtres et les choses qui jette notre âme dans l’inquiétude et la confusion. Seul celui qui se maintient dans l’incertitude peut atteindre l’indifférence et jouir de l’ataraxie.

2. Les cinq tropes de Sextus Empiricus

C’est un lointain disciple de Pyrrhon, Sextus Empiricus(vers 200-250 après J.-C.), qui a rassemblé sous une forme systématique les argu-ments de l’École sceptique. Les cinq « tropes » (ou modes de dis-cours) de Sextus Empiricus sont la contradiction(à tout argument on peut opposer un argument de force égale), la régression à l’infini (toute affirmation exige une preuve, celle-ci une autre, et ainsi de suite jusqu’à l’infini), la relativitéde tout jugement à la personne qui juge (un même aliment sera jugé amer par l’un, mais doux par l’autre), la nécessité d’accepter des postulats invérifiables(ne pouvant remon-ter de preuve en preuve à l’infini, le raisonnement adopte une posi-tion de base, un point de départ dont la vérité n’est pas démontrée), enfin le « diallèle » (du grec diallèlôn, « les uns par les autres ») ou cercle vicieux(on justifiera une hypothèse en prenant pour argument les conséquences mêmes de cette hypothèse, ou bien l’on ne trouvera pas mieux que de prouver la valeur de la raison… par des raisonne-ments !).

Le point sur...

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A. Le beau artistique n’est pas le beau naturel

Le mot art est ambigu. Il peut renvoyer à la technique ou aux beaux-arts, au travail de l’artisan ou à celui de l’artiste. C’est dans ce dernier sens que nous prendrons le mot. Sont considérés comme des arts toutes les activités humaines consacrées à la production du beau : la poésie, la musique, le théâtre, le dessin, la peinture, la sculpture, l’architecture, le cinéma, etc. Et ce qu’on appelle l’esthétique n’est pas autre chose que la réflexion philosophique sur l’art. Réfléchir sur l’art, c’est donc avant tout élucider le sens de cette valeur particulière qu’est le beau.

Mais la beauté dont il est question ici est celle de l’art (beauté esthétique), non celle de la nature. La beauté naturelle est en général l’adaptation d’une forme à une fonction : un beau cheval est un cheval dont les membres puissants et les formes souples suggèrent la rapidité de la course. L’art prend parfois pour objet la beauté naturelle (sculp-ture classique), mais pas toujours. Les pouilleux de Murillo, les taba-gies des peintres hollandais sont artistiquement beaux. Et pourtant, des infirmes qui mendient, une salle enfumée peuvent n’avoir aucune beauté naturelle – ou du moins nous ne leur prêtons une sorte de beauté qu’à partir de notre culture artistique (nous dirons de ce

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L’ART

1 L’ART ET LA NATURE

L’essentiel pour comprendre

diant rencontré sur le parvis d’une église qu’il est « beau comme un Murillo »). Il faut donc distinguer, comme nous y invite Kant, « la représentation d’une belle chose » et « la belle représentation d’une chose ».

B. L’art n’est pas imitation de la nature

Soulignons simplement ici que l’art est une création et jamais une copie. Même l’illusion de réalité ne peut être donnée par l’art que grâce à des procédés qui tournent le dos au réel. Une œuvre comme L’homme qui marche de Rodin est à cet égard typique. Aucun homme n’a jamais marché à la façon de L’homme qui marche : les deux pieds à terre, bien à plat. Combien d’erreurs volontaires pour donner l’illu-sion esthétique du vrai ! Voyez l’Odalisque d’Ingres : le peintre le plus classique de l’histoire du XIXe siècle s’est rendu coupable d’une contre-vérité anatomique puisque cette Odalisque a treize côtes au lieu de douze (cette transformation de la nature objective étant nécessaire pour donner une impression « réaliste » de nonchalance et de lan-gueur). Même les philosophes qui croient, comme Bergson, que l’art n’a pas d’autre fin que de nous révéler la réalité, pensent précisément que cette réalité est d’abord cachée – l’objet immédiat étant défiguré par les conventions et les préjugés utilitaires de la perception ordi-naire.

L’art est donc un autre monde que la nature : on ne devient pas musicien en écoutant le chant des oiseaux, mais en allant au concert ; on ne devient pas peintre en regardant des couchers de soleil mais « la peinture s’apprend au musée » (Renoir). L’artiste, nous dit Malraux dans Les Voix du silence (1951), commence par imiter les toiles de ses maîtres (et non la nature), pour ensuite découvrir sa manière propre.

L’art se conquiert toujours sur l’art lui-même.

A. Peut-on expliquer la création artistique ?

N’est-il pas paradoxal de prétendre expliquer la création artis-tique ? Expliquer, c’est ramener le nouveau à l’ancien, l’inconnu au familier. Expliquer une création, c’est d’une certaine façon nier son originalité. Cependant, on remarquera que la création d’une

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2 LA CRÉATION ESTHÉTIQUE

œuvre d’art n’est pas une création divine, produite à partir de rien (ex nihilo). La création artistique est toujours mise en forme de matériaux préexistants : le cubisme doit beaucoup à Cézanne, par exemple.

D’autre part, l’œuvre d’art est l’œuvre d’un homme qui a une his-toire, qui appartient à une classe sociale et à un milieu déterminés. Les psychanalystes ont montré par exemple que les pulsions qui s’esthéti-sent en images sont celles qui, refoulées, n’ont pu se traduire en actes.

Freud, « psychanalysant » l’œuvre de Léonard de Vinci, découvre dans la Sainte-Anne du Louvre un vautour obsessionnel qui serait des-siné involontairement, inconsciemment, par les plis de la robe de la Vierge. Dans le même esprit, on peut voir dans La Cruche cassée de Greuze le symbole inconscient d’une défloration. On peut aussi cher-cher le sens politique caché d’une œuvre d’art. Selon les marxistes, la création artistique correspondrait à une transposition voilée et « mys-tifiée » des conflits de classes sociales à une époque donnée. Nous ne pouvons contester que les drames de Diderot, la comédie larmoyante du XVIIIe siècle puissent être éclairés de façon fructueuse par la connaissance de l’essor économique de la bourgeoisie.

B. La création artistique défie toute explication

Cependant, l’étude des « sources » psychologiques ou sociales d’une œuvre d’art laisse de côté l’essentiel, c’est-à-dire la valeur de l’œuvre, ce qui fait d’elle, précisément, une œuvre d’art. La psycholo-gie, ou la sociologie de l’art, n’expliquera de l’art que ce qui, en lui, n’est pas artistique. On n’expliquera pas le génie de Rembrandt à par-tir de la Hollande de son époque, puisqu’après tout, le dernier des petits maîtres hollandais reflète aussi son temps (mais il n’est pas Rembrandt).

Le secret de la création artistique n’est pas dans les matériaux, dans les sources de l’œuvre mais, tout au contraire, dans l’élan mystérieux qui emporte ces matériaux, ces sources, et les métamorphose en œuvres d’art. Aussi tourmenté que soit un art authentique – on pense aux poèmes de Rimbaud ou aux peintures de Van Gogh –, il révélera un ordre, une unité, la métamorphose du chaos original des passions et des servitudes en une harmonie originale, en une cohérence souve-raine. Comme l’a bien vu Malraux, le style imprime la marque de l’homme libre sur la vie qui d’abord l’écrase, et chaque œuvre d’art témoigne d’une servitude domptée : « L’art est un anti-destin ».

Chapitre 30 L’art

A. Caractère original du plaisir esthétique

Une étude philosophique de la contemplation esthétique, c’est-à-dire du plaisir éprouvé par l’amateur d’art, sera symétrique à l’étude de la création artistique. Autrement dit, il convient ici de montrer la spécificité du plaisir esthétique que l’on ne saurait, sans le trahir, réduire à autre chose que lui-même. Dire, avec Stendhal, que « la beauté est une promesse de bonheur », c’est ne rien dire, car assuré-ment la contemplation esthétique est une joie, mais pas n’importe quelle joie. Et si on sous-entend qu’il s’agit d’un plaisir sensuel, voire d’une émotion sexuelle, on confond la contemplation esthétique avec autre chose qu’elle-même.

D’autres « réductions », opposées à la « réduction sensualiste » du plaisir esthétique, ne sont pas plus convaincantes. Ramener par exemple la contemplation esthétique à la simple reconnaissance d’un ordre rationnel, d’une logique cachée, ne respecte pas davantage la spécificité de l’émotion esthétique. « La musique, disait Leibniz, est un exercice d’arithmétique d’un esprit qui ne sait pas qu’il compte. » Mais l’émotion qui saisit l’auditeur d’un concert ne se confond pas avec le sentiment d’avoir résolu un problème mathématique !

B. Contemplation et ravissement

Quelle est donc l’essence de la contemplation esthétique ? C’est la présence d’une réalité immatérielle qui me ravit, c’est-à-dire littérale-ment qui m’arrache à mon propre univers. Les Oliviers de Van Gogh ne sont pas, comme des oliviers sur une carte postale, le signe de quelque réalité prosaïque (repos, vacances, etc.). Ils m’introduisent d’emblée dans un monde qui n’est ni le monde de la Provence, ni le monde de l’herboriculture. Ce monde dramatique et tourmenté des oli-viers tordus et houleux, c’est le monde de Van Gogh : il m’est brus-quement révélé dans une intuition fulgurante qui laisse de côté tous les aspects matériels (la toile, les formes, les couleurs, etc.) qui m’ont pourtant conduit jusqu’à lui.

Aucune définition de l’art n’est plus vraie et plus profonde que celle que donnait le philosophe grec Plotin (vers 205-270) de l’archi-tecture : « L’archil’archi-tecture, c’est ce qui reste de l’édifice, une fois la pierre ôtée ».

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3 LA CONTEMPLATION DE LŒUVRE DART

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