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Le roman familial de la psychanalyse

Dans le document Un James Bond du climat (Page 31-34)

Qu’est-ce qui a poussé Benoît Peeters, qui n’est pas psychanalyste, à écrire sur Sándor Ferenczi, au risque des psychanalystes ?

En quelle langue d’écriture a-t-il écrit ce livre qui, dit-il, n’est

« ni un traité savant, ni une véritable biographie… c’est l’histoire d’une

amitié peut-être impossible et d’un amour qui ne le fut pas moins » ?

par Zoé Andreyev

LE ROMAN FAMILIAL DE LA PSYCHANALYSE

sans a priori théorique qu’il va explorer l’histoire de ces deux hommes que le partage d’une pas-sion, la psychanalyse, a pu parfois entraîner dans les plus grandes confusions, de rôles et de senti-ments. Freud craint de répéter avec Ferenczi ce qui s’est passé avec Fliess, ce « rêve de complici-té fusionnelle et de fraternicomplici-té absolue, suivi d’une terrible déception ». Mais si tout cela a un air de déjà vu pour Freud, Ferenczi, lui, vit sa première passion.

Pour tenter de comprendre ce qui s’est passé entre les deux hommes dont le désaccord théo-rique semble recouvrir un enjeu plus profond pour l’un comme pour l’autre, Peeters reprend les choses du début en se centrant sur quelques épi-sodes clé de leur relation ; il accorde une grande place à ce qu’on a appelé l’« imbroglio » amou-reux de Ferenczi, tiraillé dans un choix impos-sible entre sa maîtresse, Gizella Palos (qui porte le même prénom que sa sœur et que le premier amour adolescent de Freud), et la fille de celle-ci, Elma, qu’il a prise en analyse. Le triangle est en fait un carré, car Ferenczi entraîne Freud dans sa propre confusion, et, d’ailleurs, c’est clairement à lui que les tergiversations de Ferenczi s’adressent. « La confusion des rôles est à son comble », écrit Peeters, soulignant ainsi l’impact de cet épisode sur l’écriture de l’article « Confu-sion des langues entre les adultes et l’enfant ».

Impossible d’entrer ici dans la complexité des enjeux fondamentaux que soulève le texte de Fe-renczi, qui théorise l’abus sexuel entre l’adulte et l’enfant comme une confusion entre le « langage de la tendresse » demandée par l’enfant et le

« langage de la passion » de l’adulte abuseur. En apparence, si le texte de Ferenczi est insuppor-table pour Freud, c’est qu’il remettrait sur le de-vant de la scène la première « théorie de la séduc-tion » selon laquelle l’hystérie serait causée par un abus sexuel précoce, scène de séduction ex-terne que Freud s’était efforcé de ramener sur la scène interne du fantasme. Mais cette vision est beaucoup trop simpliste. Ce que va tenter de montrer Peeters, c’est que les sources de la réac-tion violente de Freud sont bien plus complexes.

Freud comprend qu’il s’agit aussi de la scène mise à l’écart défensive du sexuel infantile et de sa force passionnelle, ici mise sur le compte de l’adulte agresseur. Pourtant, c’est un reproche qu’on peut difficilement faire à Ferenczi, à qui Freud écrivait en 1929 : « Votre essai, dans le nouveau Mouvement psychanalytique, m’a rap-pelé que vous êtes le premier et jusqu’à présent différentes de l’éthique analytique, ce que Peeters explique clairement. son courage thérapeutique, son sens de la respon-sabilité à l’égard de ses patients, son investisse-ment total dans le mouveinvestisse-ment psychanalytique et son devenir. « Il y avait en Ferenczi, écrivait Kosztolányi cité par Peeters, une inquiétude per-pétuelle, une sorte de curiosité enfantine, d’inté-rêt avide […] Il jouait à des jeux de société, il s’intéressait à la linguistique, au théâtre, aux boutades, aux ragots, à tout ce qui est humain.

[…] S’il était “spécialiste”, c’était de la vie qu’il l’était ».

Ferenczi l’adulte a (entre autres) joué un rôle im-portant dans la création d’institutions psychana-lytiques : il fonda en 1913 l’Association psycha-nalytique hongroise avec István Hollós (voir Le Coq Héron n° 100) et fut à l’origine de la créa-tion de l’Associacréa-tion psychanalytique internatio-nale, dont il refusa pourtant la présidence à la fin de sa vie ; son apport à la réflexion sur la forma-tion des analystes, fruit de son travail d’explora-tion du contre-transfert (qui a donné lieu à des expérimentations par la suite abandonnées comme « l’analyse mutuelle »), est également très important. Ferenczi est en effet celui qui le premier a formulé la « deuxième règle fondamen-tale » (la première étant celle de l’association libre), à savoir la nécessité pour les analystes d’avoir été eux-mêmes analysés.

Si l’apport théorique de Ferenczi a longtemps été négligé, il est aujourd’hui largement reconnu, même si l’étiquette d’ « enfant terrible de la psy-chanalyse » contribue malgré tout à le maintenir

LE ROMAN FAMILIAL DE LA PSYCHANALYSE

dans l’ombre de Freud « le père ». Mais lors-qu’on a affaire à un patient (adulte ou enfant)

« difficile », c’est du côté de Ferenczi et de son Journal clinique que l’on se tourne, pour lui em-prunter son oreille si sensible à l’infantile, aux motions les plus primitives de la psyché. Son ap-proche de la technique analytique avec les adultes (« Analyse d’enfants avec des adultes ») a fait dire à Anna Freud qu’il employait les mêmes techniques avec ses patients que celles qu’elle utilisait avec les enfants. Cette approche de l’en-fant dans l’adulte, on la retrouvera chez Winni-cott, sans doute par le biais indirect de Melanie Klein (dont il a lui-même été « l’élève rebelle »), qui a été analysée par Ferenczi. Ce serait en

re-vanche un contresens de rattacher à Ferenczi les courants intersubjectif et relationnel de la psy-chanalyse américaine qui rejettent la théorie freudienne des pulsions.

La naissance de la psychanalyse, comme toute naissance, est une énigme ; nous en cherchons toujours une « scène primitive », à jamais insatis-faisante et qui en cache toujours une autre. Celle de la relation entre Ferenczi et Freud est certai-nement énigmatique, et la lecture de ce livre ne peut qu’inciter le lecteur à « aller y voir » par lui-même dans cette correspondance foisonnante, à plonger à son tour dans l’intimité de leurs échanges.

Sándor Ferenczi et Sigmund Freud

Yoann Morvan et Sinan Logie Méga Istanbul

Le Cavalier Bleu, 194 p., 20 € Timour Muhidine

Istanbul rive gauche

CNRS Éditions, 383 p., 26 €

Selon un itinéraire bien choisi, le lecteur est conduit dans des endroits d’Istanbul où le touriste ne va guère. Les descriptions précises – et impi-toyables – des lieux périphériques nous font dé-couvrir un projet démiurgique où la fierté natio-naliste s’exprime dans un « rétro-futurisme néo-ottoman », sans égard pour l’avenir. De belles photos en noir et blanc, assez crépusculaires, illustrent bien l’injonction : « Toujours plus loin, toujours plus toxique ».

Istanbul est devenue « un point chaud de l’urba-nisation généralisée » qui s’étend sans limite.

C’est aux franges de la ville que les mutations urbaines sont les plus saisissantes. Avec seize millions d’habitants, soit le quart de la population du pays, la ville fournit 40 % des recettes fis-cales. Certes, l’affairisme de l’AKP n’est plus à démontrer : « La mise sur le marché immobilier de nombreux quartiers informels, des anciens espaces industriels, du foncier public ou encore des forêts a généré un frénétique Monopoly ».

Toutefois, cette transformation n’obéit pas seulement à un projet purement économique, à preuve ce nouveau centre d’affaires dans le quar-tier de Maslak qui s’appelle… Mashattan ! L’af-firmation d’un pouvoir conquérant est évidente.

Erdoğan voulait faire entrer la Turquie dans la liste des dix premières puissances mondiales, en 2023…

La Turquie d’Atatürk doit être effacée au profit d’un ottomanisme réinventé ; ainsi, le bâtiment des archives ottomanes, dont l’architecture « comporte des références appuyées aux périodes seljoukides et ottomanes pour tenter de magnifier la turcité éternelle” ». Sis dans « les Eaux douces d’Europe », le bâtiment est malheureuse-ment en zone inondable. Non loin de là, le centre culturel municipal de Kağithane est « d’architec-ture post-moderne de carton-pâte, d’imitation (néo-)ottomane ». Ces reconstitutions, souvent kitch, sont une revanche sur la République turque qui avait voulu se substituer aux traditions de l’Empire et à son histoire.

L’étalement urbain étant considéré comme un signe de dynamisme et de puissance, des cartes nous montrent les marges d’une ville qui sont sans cesse repoussées, et ce, des deux côtés du Bosphore. L’expropriation des plus vulnérables et celle des communautés hostiles à l’AKP n’ont pas manqué. Évidemment, à mesure que l’on s’éloigne du centre, la qualité de l’architecture décroît. Toutefois, l’idéologie AKP présente des invariants.

L’influence des États-Unis est très perceptible dans les nombreux habitats « enclos », les «  ga-ted communities  », très prisés des classes moyennes et supérieures. Ils se propagent, depuis vingt ans, sur l’ensemble des franges. L’entre-soi, le sentiment de sécurité (avec parfois un service de sécurité permanent) et la proximité d’une

Dans le document Un James Bond du climat (Page 31-34)

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