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V. Définition des concepts

4) Le repli homolitique

Le repli homolitique, concept élaboré par l’auteure Caroline Dumoulin, est intéressant car il prend en compte le groupe des pairs comme espace de socialisation et d’ajustement de l’identité. Ainsi, il aurait une importance primaire dans la construction de l’identité féminine.

Plus que de côtoyer les garçons, à l’adolescence, les jeunes filles se retrouvent entre elles et les apprentissages s’effectuent donc au sein du groupe des pairs qui se définit selon une catégorie de sexe où des valeurs, normes et stéréotypes sexués y ont leur place. « Les adolescentes trouvent dans le groupe homolitique une source de référence, des repères leur permettant d’appréhender, de situer, d’ajuster le sens des expériences nouvelles. »54

Elles définissent leur identité de femmes en revendiquant leurs différences et la singularité qui constituent le groupe des pairs. Elles y trouvent un moyen d’adapter leurs comportements, de se comparer et d’appartenir à un groupe spécifique. « Le repli homolitique entendu comme

« coulisse de la féminité », permet aux adolescentes de stabiliser leurs repères, de peaufiner un genre, une image féminisée de soi dont l’expérimentation homolitique est suivie d’une mise à l’épreuve du regard masculin. »55

C’est pourquoi les jeunes filles vont contrôler leur apparence physique et vestimentaire afin qu'elles soient admises à la fois par les garçons et par leurs semblables. Car elles se définissent par rapport à leurs analogues avant tout, c'est une phase de l'adolescence incontournable; en même temps, elles se définissent par rapport aux attentes des garçons, puis par rapport au monde adulte. La période de transformation pubère et l’entrée dans la sexualité incitent probablement à ce repli homolitique. La séduction et l’apprentissage d’être au féminin prennent donc davantage de poids au sein du groupe des pairs et le regard des garçons passe après celui des semblables.

Dans ce repli, les stéréotypes de sexe se voient aussi renforcés et les jeunes filles construisent donc également les différences.

5) La féminité

Comme le disait Simone De Beauvoir dans son ouvrage intitulé «Le deuxième sexe» qui a bouleversé les mentalités de l’époque et qui apparaît aujourd’hui encore comme une référence: « On ne naît pas femme, on le devient ». A travers ce postulat, on peut se demander de quelle façon la femme va devenir femme et de quelle manière elle va construire son identité.

53Séminaire, La pace des unes…et celle des uns, la participation des filles et des garçons dans l’animation socioculturelle : principes et réalité, Genève, janvier 2005

54MOULIN Caroline, op.cit, page 56

55Ibidem, page 57

La féminité semble définir la femme toute entière comme individue; plus que ce qu’elle est, c’est ce qu’elle paraît qui est important; en effet, « à partir de l’adolescence, les filles sont invitées à se consacrer toutes entières à leur apparence, les enfermant alors dans un carcan traditionnel de la féminité ; une féminité caractérisée par une culture du « futile » (l’apparence) »56 C’est à travers les médias, la publicité, au sein du groupe des pairs que l’on va engager les femmes à porter une attention particulière à leur apparence physique et vestimentaire. Effectivement, la qualité première qui est attribuée à la femme et le critère auquel elle doit répondre est la beauté. Elle doit y parvenir par le biais des artifices mis à sa disposition : habillement, maquillage, régime, etc. La mode actuelle fait apparaître de plus en plus tôt les traits féminins du corps, il y a donc une volonté de marquer de façon très appuyée les différences physiques apparentes entre hommes et femmes.

Il est vrai que les garçons sont également aujourd’hui victimes de cette mode car ils doivent aussi répondre aux critères de masculinité. Ces dernières années, on a vu apparaître un renversement important: les garçons se féminisent, prisonniers d’un modèle de virilité et d’anti-modèle de masculinité, l’homosexualité étant bien évidemment une limite infranchissable pour ne pas être rejetés par leur groupe de pairs. « Les attitudes contraires aux rôles de sexe sont mieux acceptées chez les filles que chez les garçons. Chez ces derniers, compte tenu de la hiérarchisation des catégories de sexe, adopter des valeurs ou des comportements « féminins » est perçu comme dégradant et est fortement stigmatisé par les pairs. »57

Pour en revenir aux jeunes filles, il semble important de faire ce parallèle pour comprendre la logique dans laquelle elles sont inscrites: on met en avant leurs spécificités de femmes, en l’occurrence des spécificités qui ne sont en fait que des différences par rapport aux hommes.

Or, pour accéder à d’autres sphères souvent réservées aux hommes, les femmes doivent faire preuve de qualités accordées spécifiquement aux hommes. Il est difficile pour une jeune fille se construisant d’aller hors normes ou à l’encontre de ce qui est recherché à cette période, soit la conformité à son groupe d’appartenance. Cependant, celles qui vont aller à l’opposé des jugements traditionnels sont perçues comme étant rebelles, considérées comme individues déviantes. En résumé, si les jeunes filles veulent aller de façon consciente ou inconsciente dans des sphères masculines, elles doivent aller à l’encontre de ce qui détermine leur identité.

Il y a donc un barrage institué par tous les acteurs sociaux pour le respect des rôles traditionnels attribués à chaque sexe selon leurs spécificités. Du moment que les spécificités sont reconnues, elles desservent les femmes car elles ne permettent pas de les appréhender comme étant égales aux hommes. Il y a donc un groupe discriminé, et il le sera toujours tant que l’on accepte ces spécificités et donc ces différences comme constituantes d’un groupe catégorisé et non pas comme une spécificité accordée à un individu. Ainsi, les femmes devraient être à l’image des qualités leur étant attribuées.

56MOULIN Caroline, op.cit., page 83

57Ibidem, page 103

Voici un récapitulatif des particularités attribuées à chaque sexe: 58

Raison, rationalité, logique Emotivité, intuition, sensibilité

Intelligence Sensualité

Franchise Réserve

Compétition, rivalité, confrontation Coopération, collaboration, partage, harmonie, bonté

Guerre, conquête Paix

Vaillance, intrépidité Peur

Décision Indécision

Mouvement Détente, repos, immobilité, en attente

Nomadisme Sédentarisme

Décharge de l’énergie accumulée Accumule de l’énergie potentielle

Extérieur Intérieur

Extériorisation Gestation, source de vie Activité publique Activité privée, domestique Indépendant, autonome Dépendante

Statut supérieur Statut subalterne

Protecteur Assistée

Direction, initiation, et guide de l’action Obéissance, soumission, subordination et exécution de l’action

On peut noter que les femmes ont des qualités de moindre valeur par rapport à celles des hommes. Donc, si l’on soutient que les femmes et les hommes ont des différences non seulement physiques mais également psychologiques, ces spécificités sont souvent mises en opposition et non pas en complémentarité, d’où découlent les valeurs de bien et de mal, de juste et de faux, de mieux et de moins bien, et en somme une inégalité entre hommes et

58PREJEAN,M., Sexes et pouvoir, la construction sociale des corps et des émotions, Montréal : Presse Universitaire de Montréal, 1994 in ANDERSEN, S., Mémoire de licence, Etre femme et vivre en confiance : L’expérience d’un cours d’auto-protection, Genève, octobre 2002, page 26

femmes. Il ne faut pas négliger l’aspect hiérarchique donnant de la valeur aux qualités masculines plus qu’aux qualités féminines. En bref, la femme n’est donc pas perçue comme l’alter ego de l’homme.

Pourtant, chacun aime être reconnu aussi dans sa différence, dans sa spécificité, surtout si ces attributs sont valorisés et permettent une reconnaissance sociale. Donc il y a ici une dépendance et une aliénation à ce qui est défini par le groupe dominant. C’est pourquoi il est difficile pour les femmes valorisées et reconnues par exemple par l’apparence de s’en détacher:

« La domination masculine, qui constitue les femmes en objets symboliques, dont l’être est un être perçu, a pour effet de les placer dans un état permanent d’insécurité corporelle, ou, mieux, de dépendance symbolique : elles existent d’abord par et pour le regard des autres, c’est-à-dire en tant qu’objets accueillants, attrayants, disponibles. On attend d’elles qu’elles soient : « féminines », c’est-à-dire souriantes, sympathiques, attentionnées, soumises, discrètes, retenues, voir effacées. Et la prétendue « féminité » n’est souvent pas autre chose qu’une forme de complaisance à l’égard des attentes masculines, réelles ou supposées, notamment en matière d’agrandissement de l’ego. En conséquence, le rapport de dépendance à l’égard des autres (et pas seulement des hommes) tend à devenir constitutif de leur être. »59 En outre, dans l’apprentissage d’être au féminin, la séduction tient une place de choix : il faut plaire. Chez les jeunes filles, l’apparence, le vêtement, la mise en valeur du corps leur permettent d’être reconnues à la fois par les garçons, par les autres jeunes filles, elles sont de ce fait conformes à la mode véhiculée à travers les clips vidéo et les affiches publicitaires. On parle de femme-objet car le corps de la femme est approprié à la fois sexuellement et économiquement. Cependant, il y a un double message ambigu adressé aux jeunes filles : il faut paraître sexy et libérées sexuellement par le biais du vêtement mais avoir un comportement décent. En effet, on attend d’elles qu’elles soient timides et réservées. Si elles sont trop décomplexées, elles risquent la sanction des garçons, des pairs et des adultes.

Malgré ces paradoxes, les jeunes filles doivent composer avec ces diverses attentes d’être au féminin. Ainsi, les féministes qui brandissaient le slogan « Mon corps m’appartient » ont amorcé une lutte pour qu’effectivement les femmes soient seules maîtresses de leur corps et de leur sexualité. Il est vrai que les femmes bénéficient aujourd’hui du fruit des combats féministes passés, mais que les morales conservatrices demeurent avec force; « Ainsi le féminisme moderne qui règne au sein d’une société « moderne » et « démocratique » est désamorcé en permanence par l’emprise de la dictature esthétique et sexuelle sur le corps féminin, contraint à l’exhibition, et la définition même de la féminité ; sans compter que son message apparaît moralisateur, « politiquement correct » comme on dit aujourd’hui. »60 Voilà où se situe la subtilité de la mise en lumière des inégalités et de la domination masculine encore présente. Le principe d’égalité semble acquis en même temps que, paradoxalement, la contrainte inconsciente des rôles de sexes traditionnels est intériorisée. Il est difficile pour les filles comme pour les garçons de se défaire de la conformité engendrée par l’ordre social des sexes qui agit comme une morale dont les comportements sont des références. Les adultes ont des attentes et des représentations liées à cette morale qui guide des comportements de sexes différenciés : il sera donc plus choquant de voir une fille indisciplinée, désobéissante, et indocile.

59BOURDIEU Pierre, La Domination masculine, Ed.Seuil, Paris, 1998, page 94

60NAHOUM-GRAPPE, Véronique, Le féminin, Ed. Hachette, Paris, 1996, page 17