• Aucun résultat trouvé

Introduction à l’analyse

C. Les différences et les inégalités de genre

2) L’expérience des inégalités au sein de la famille

ƒ Le modèle domestique

La famille, lieu de socialisation primaire, va transmettre pour héritage aux membres qui la composent des valeurs mises en pratique à travers l’exemple domestique et éducatif en vigueur au sein de cette dernière. A travers le discours des jeunes filles, toutes relèvent que ce sont leurs mères qui remplissent le rôle éducatif et domestique. Bien que certaines sentent qu’il y a une injustice de traitement, elles n’en sont pas moins déstabilisées et prennent cela comme une sorte de fatalité. Souvent, les jeunes filles vivant dans des familles où il est clairement question de non partage des tâches et où la mère seule porte les tâches domestiques et familiales, elles ne veulent pas reproduire le même schéma car une souffrance de leur mère a dû être saisie. Elles ne revendiquent pas une réelle égalité mais davantage de partage des tâches car elles ont conscience de la différence des sexes dont leurs mères font l’expérience.

Elodie Ben moi jusqu’à maintenant, enfin chez moi, comme ma mère elle est toujours à la maison, puis, que mon père il est au travail et tout ça, moi ce que j’ai vu jusqu’à maintenant, c’est que la femme, elle reste à la maison, elle s’occupe des enfants, elle fait à manger et tout, je sais pas quoi et l’homme il fait ce qu’il veut, il sait qu’il vient à la maison, il se fout devant la télé, il fout rien.

Bon maintenant, je vois des couples et tout, par exemple quand je vois ma cousine, son mari parfois il l’aide pour les tâches ménagères et tout ça. Ma sœur, son mari, les filles il les garde des fois et ma sœur elle peut sortir avec ses copines. Bon maintenant ça va mieux, mais quand je vois ma mère elle doit tout le temps être à la maison, tout le temps être vers nous et mon père il peut faire ce qu’il veut. Oui franchement, ça aurait été beaucoup mieux si le mari il aurait pu aider un peu à la maison et s’occuper des enfants de temps en temps, faire des sorties avec. Bon je veux dire maintenant dans ma famille on est tous grands, j’ai ma sœur et mon frère qui sont mariés, mon grand frère, ben maintenant il a 21 ans quand même, il a sa copine et tout. Mes parents, ils s’en occupent pas, puis moi comme je suis la plus petite, je veux dire, c’est tout le temps vers ma mère que je dois aller pour lui demander des trucs. Je ne vais jamais vers mon père, parce que mon père de toute façon, je ne lui parle pas beaucoup.

Les tâches domestiques sont perçues comme un travail, mais un travail non rémunéré, puisqu’il n’est pas reconnu. Pour les jeunes filles, la différence sexuée ne légitime pas la différence de traitement octroyée aux femmes et aux hommes. Elles se rendent compte qu’aujourd’hui, le modèle de leur famille d’origine n’est pas le seul en vigueur et qu’il y a donc d’autres modèles possibles intégrant le principe d’égalité à travers la répartition des tâches domestiques.

Et qu’est-ce que tu penses du fait que ce soit plutôt ta maman qui fasse le ménage ?

Agathe Ben, d’un côté ça m’énerve parce que je me dis que mon père il peut très bien le faire aussi, mais après mon père est un peu je pense, pas macho, mais il y a certains trucs qu’il n’aime pas du tout faire donc...

La différence sexuée ne se légitime pas, mais il demeure pourtant un certain euphémisme quant au comportement de leurs pères. La fatigue et la souffrance engendrées par la non répartition des tâches domestiques rendent les jeunes filles conscientes de la condition spécifique de la femme. Il semblerait que dans la tête des jeunes filles, l’égalité dans la répartition des tâches domestiques soit désormais acquise.

Et tout à l’heure tu as dis que si tu te mariais avec un homme musulman tu pourrais faire moins de choses ?

Elodie Oui parce que je veux dire, l’homme il va sortir et la femme elle doit rester à la maison pour garder les enfants, c’est comme ça avec ma sœur et je vois ça comme ça je ne sais pas. Parce qu’en fait ma sœur elle s’est mariée avec un kurde, puis le gars il sort quand il veut et puis ma sœur elle est tout le temps à la maison à garder ses deux filles.

Samantha (…), j’ai toujours vécu avec un père comme ça, j’ai un père algérien, il a toujours dit que la mère elle fait à manger et tout, que des trucs comme ça et quand j’ai grandi, je me suis rendue compte que c’était pas juste, qu’en fait, c’était la même chose pour les deux, homme ou femme.

Du fait de leur culture et de leur religion, certaines jeunes filles interrogées pensent que le modèle de la non répartition des tâches, par exemple, est lié à ces appartenances spécifiques.

Ce ne sont pas les seules à penser de cette manière, puisque c’est un message qui est aussi véhiculé par la société. Ainsi, les médias contribuent à une stigmatisation de certaines populations par leurs actes qu’ils rendent inédits et faisant partie essentiellement de la culture et de la mentalité. Ce qui confirme cette stigmatisation, c’est l’expérience individuelle de ce type de comportements qu’on renvoie alors également à la culture propre. Un exemple flagrant est celui lié à la violence conjugale qu’on croit réservée aux cultures et aux religions venues d’ailleurs. Il est vrai que la mise en place de certaines lois dans les pays occidentaux ont sensibilisé les citoyens et rendu publique cette problématique. Cependant, on est loin de parler de l’éradication de la violence conjugale en Suisse.

Il y a aussi la reconnaissance d’une certaine évolution de leur condition par les jeunes filles.

Alors qu’elles ont pu appréhender la souffrance chez leurs parentes, elles se sont rendues compte du statut de lésées octroyé aux femmes. Néanmoins, ce n’est pas parce que le traitement des inégalités a considérablement changé ces dernières années que l’on peut estimer que les inégalités entre femmes et hommes n’existent plus.

Kim Par exemple ma grand-maman quand on mangeait, elle, elle devait rester à la cuisine, moi j’ai vécu comme ça. Moi j’étais…, je me sentais mal pour ma grand-maman. Bon ben maintenant, voilà, j’veux dire ma maman elle mange avec nous à table, donc voilà, c’est tout à fait différent quoi, moi je trouve que ça va encore évoluer avec le temps.

Les jeunes filles se rendent compte que la condition des femmes a changé, cependant, elles se raccrochent au fait qu’avant c’était pire, avec le risque de se satisfaire de ce qui est désormais acquis.

ƒ La fratrie

« Les filles et les garçons d’une même famille font déjà l’expérience de la différence des sexes. »112

Elodie (…),le ménage il ne sait pas le faire. Même mon grand frère qui a 21 ans, celui qui est à la maison il me dit : « Ouais tu ranges la maison et tout. » Moi je dis : « Ouais ben tu ranges ta chambre, moi je range la mienne, et d’accord de temps en temps je range la cuisine mais c’est à toi aussi de le faire, toi aussi tu manges dans cette maison. » Et lui il me dit : «Non, je sais pas quoi, moi je suis un mec, c’est pas à moi de le faire. »

Ni le père, ni le frère, ni le cousin, ne s’investissent dans les tâches domestiques. Leur rôle est de faire en sorte que l’autorité soit appliquée. Les inégalités soulevées au sein de la famille sont la non-répartition des tâches ménagères.

Lorsqu’au sein d’une famille, il y a une fratrie, il semblerait que les injustices sont vécues de façons concrètes sans aucune explication satisfaisante ni légitime. Les jeunes filles font alors très vite l’expérience des discriminations dans leur traitement par rapport à celui des garçons.

112DAFFLON NOVELLE Anne, op.cit., page 43

Es-tu contente d'être née fille ?

Elodie Oui et non. Non parce que…, à cause des parents parce que quand je leur dis, mon frère il peut faire ci, il peut faire ça, ils font toujours : « Oui mais lui c’est un garçon et toi tu es une fille ».

Donc je veux dire, c’est ça qui m’énerve un peu, je veux dire voilà donc si ils me disent la différence d’âge, là ok, mais toi t’es une fille et lui c’est un garçon, ça, ça m’énerve, pour moi ce n’est pas une raison pour sortir moins que lui ou que je peux avoir moins de choses.

Séverine (…), juste parce que je suis une fille, je ne peux pas sortir, je ne peux pas me maquiller, je peux par faire ci, je ne peux pas faire ça. Parler avec mes potes, même ça il (son frère) ne me laisse pas alors…

Elodie De toute façon il y a ça parce que la plupart des gars ils peuvent sortir quand ils veulent. Par exemple quand mon frère il sort, ma mère elle demande tu rentres quand ? Ah c’est bon, je ne rentre pas. Et par exemple, moi c’est : maman je sors, et c’est : Avec qui ? Tu vas où ? Faire quoi ? Tu rentres à quelle heure ? Et pour les garçons, il n’y a pas tout ça, c’est ouais je sors, je sors.

En effet, il n’y a pas seulement les parents qui vont noter la différence, mais les frères aussi vont intégrer le rôle de l’homme et le rôle de la femme tel qu’il est appris; c’est pourquoi, ensuite, ils se sentent la responsabilité et l’autorité de faire en sorte que les rôles soient respectés et que la femme ne nuise pas à la réputation de la famille. Les frères et les parents vont donc éviter tout étiquetage de la femme non vertueuse. Il semble n’y avoir aucune possibilité pour les filles d’aller à l’encontre de cela, certaines expliquent une fois de plus les pratiques de leur famille comme faisant partie de la mentalité de la culture, de la religion.

Elodie Par exemple, bon ça c’est plutôt chez les musulmans parce que même si mes parents ils pratiquent pas complètement, ils sont quand même durs dans le sens ; si on a des copains et tout ça. Bon moi j’ai quand même eu de la chance parce que je veux dire ma mère elle a quand même su pour deux de mes ex : Sam et Momo, elle a su pour les deux. Sam, , on m’a gueulé dessus parce qu’il était tunisien, mais bon là je trouve qu’ils ont été un peu racistes sur le coup et pour Momo, ils m’ont presque rien dit à part pour l’histoire de ma sœur mais bon voilà. Mais je veux dire par exemple mon frère, ça fait depuis qu’il a ses quatorze ans, bon il a eu deux copines à ce que je sache et à ses quatorze ans, il sortait avec une Estelle, il la ramenait à la maison, il avait le droit et par contre si moi je demande un jour de ramener un de mes amis même, je me fais tuer, ça c’est sûr.

3) L’expérience des inégalités dans les relations