• Aucun résultat trouvé

V. Définition des concepts

2) La socialisation différentielle

«La socialisation est le processus par lequel les individus apprennent et intériorisent les façons d’agir et de penser des groupes sociaux auxquels ils appartiennent. »39

Tout au long de notre parcours, nous construisons notre identité selon des normes et des valeurs. Celles-ci ont été intégrées depuis notre plus jeune âge par le biais de la socialisation primaire qui s’effectue au sein de la famille, ensuite l’école va s’ajouter comme nouvel espace de socialisation appelé « la socialisation secondaire ». 40. Les espaces où se réalisent la socialisation primaire et secondaire sont donc l’école, la famille, le groupe des pairs, les interactions entre hommes et femmes, les lieux publics, les médias, etc. La socialisation s’effectue de manière différente selon qu’on est une fille ou un garçon. Durant ce temps vont se faire les apprentissages des rôles sociaux de sexes qui vont informer des comportements à adopter, de la place que femmes et hommes doivent occuper dans la société, et les stéréotypes de genre vont s’apprendre et s’acquérir. La fabrication des différences se réalise donc lors de cette socialisation; en effet, la socialisation primaire et secondaire sont des processus qui se veulent différents pour les femmes et pour les hommes. Chaque groupe social de par ses particularités va être soumis à des expériences distinctes; les expériences communes à chacun des groupes vont faire surgir des croyances et une conscience collective: on parle ainsi de socialisation différentielle. En effet, «à l’aube du XXIème siècle, filles et garçons ne sont pas élevés, éduqués, socialisés, pensés, projetés de la même manière, tant à travers les différentes institutions de leur socialisation comme la famille, les institutions de la petite enfance, l’école, que selon les agents périphériques de socialisation qui leur sont destinés comme leurs habits, jouets, sports, et qu’en fonction des représentations du masculin et du féminin qui sont véhiculées dans les médias qui leur sont destinées ainsi que dans les publicités ou œuvres artistiques les mettant en scène. »41 La socialisation différentielle va être soutenue par le biais des espaces touchant tous les domaines de la société où filles et garçons se côtoient. Ainsi, les médias, la publicité, les clips vidéo, vont aussi agir comme des espaces de socialisation pour les adolescents qui vont trouver des modèles. Ces instances participent donc au processus de différenciation des sexes et ils vont véhiculer pour messages le rôle, la place à respecter dans la société.

Comme soulevées plus haut, les instances de socialisation majeures et premières sont la famille et l’école, mais qu’est-ce qui a le plus d’impact dans la transmission des valeurs permettant la construction identitaire : la socialisation par l’école ou la socialisation par la famille ?

« Le milieu familial constitue la matrice à l’intérieur de laquelle la socialisation des rôles de sexe la plus précoce prend place. »42 Effectivement, avant d’aller à l’école, c’est dans la famille que les rôles vont s’apprendre, à travers les parents et la fratrie. L’école va ensuite prendre le relais et conforter les normes et les valeurs. « On peut faire l’hypothèse en effet que, en même temps que sont transmis des contenus d’enseignement et que se font des apprentissages disciplinaires, s’opèrent des apprentissages sociaux, se transmettent des modèles, des représentations, des comportements, des rôles, des valeurs, des positions, s’apprennent et se remanient des identités de sexe, liés aux rapports sociaux de sexe. »43 L’école participerait donc à la différenciation des sexes qu’elle légitime, mais ne devrait-t-elle

39COUET Jean-François., DAVIE Anne., Dictionnaire de l’essentiel en sociologie, Ed.Liris, Paris, troisième édition 2002, page 58

40Ibidem

41DAFFLON NOVELLE Anne, op.cit., page 361

42Ibidem, page 45

43LEMEL Yannick et ROULET Bernard, op.cit., page 108

pas être un espace neutre permettant l’indifférenciation des sexes ? Plus que de prôner un principe d’égalité, ne devrait-t-elle pas mettre en action l’égalité réelle? « A l’aube du XXIème siècle, cette absence de sensibilisation permet à l’école de continuer de renforcer un répertoire rigide des rôles sexués, répertoire certes acquis à travers toutes les autres instances de la socialisation différenciée proposée aux filles et aux garçons. »44 L’école serait donc l’institution qui instaure la continuation de la socialisation et de ce qui est appris dès la naissance : la différenciation sexuée et l’apprentissage des rôles rigides et conventionnels pour chaque sexe. Par exemple, les comportements sexistes instaurés à l’école vont se répercuter sur l’orientation scolaire et ensuite sur le choix des métiers des jeunes filles.

« Pour certaines filles, c’est la famille qui va les contraindre ou les libérer face à un rôle futur, pour d’autres l’école sera un facteur déterminant. »45

Ainsi, les instances de socialisation prédéterminent les rôles que les jeunes filles devront adopter dans le futur; cependant, ces mêmes instances de socialisation pourront aussi avoir un effet émancipateur face à des rôles prédéterminés d’attente d’être face à la société. Il semble difficile d’identifier les instances spécifiques qui auront un impact sur certaines plutôt que sur d’autres et quels seraient les éléments émancipateurs ou aliénants. Nous allons peut-être réussir à les identifier à travers le récit des jeunes filles. Dans une institution mixte, on peut aussi s’imaginer que ces dernières vont être confrontées aux inégalités par le simple fait qu’elles côtoient des garçons.

3) La mixité

«La mise en coexistence des deux sexes dans un même espace social »46

Les jeunes filles ont été socialisées dans la mixité. La mixité est un construit social récent;

jusqu’aux alentours du début du XXème siècle, les femmes ne côtoyaient intensément les hommes qu’au sein de leur famille d’origine, à l’école primaire et dès leur mariage. La mixité sexuelle consiste à confondre femmes et hommes dans les activités sociales, publiques et éducatives. A l’école, la mise en place de la mixité laisserait penser que la socialisation différentielle n’aurait plus lieu d’être: cependant, il semblerait au contraire que le besoin de différencier les deux sexes se ferait tout de même, et bien que filles et garçons soient cantonnés dans un même lieu et confrontés aux mêmes apprentissages, la mixité n’aboutirait donc pas à l’égalité. Effectivement, les enseignants vont s’adresser et se comporter différemment selon si l’élève est une fille ou un garçon et leurs attentes également diffèreraient selon le genre. C’est pourquoi, même à l’intérieur d’un espace mixte qui se veut neutre et égal, les hommes sont privilégiés avec pour moyen, le renforcement des stéréotypes de sexe.47

Aujourd’hui, plusieurs chercheurs remettent en cause la mixité qui lèserait le groupe social des femmes. Effectivement, selon divers auteurs, « les situations de mixité auraient tendance à accentuer les stéréotypes »48 et nous savons que les stéréotypes de sexe relèguent les femmes à un rang inférieur par rapport à celui des hommes. C’est étonnant puisque la mise en place de la mixité avait pour objectif premier l’égalité ou plus exactement la cessation de la

44LEMEL Yannick et ROULET Bernard, op.cit.,, page 388

45FRAISSE Geneviève, op.cit., page 125

46HIRATA, Dictionnaire critique du féminisme, op.cit., page 129

47Sources : CHAPONNIERE Martine in DAFFLON NOVELLE Anne, Filles-garçons ; Socialisation différenciée ?, Presse universitaire de Grenoble, 2006

48LEMEL Yannick Lemel et ROUDET Bernard, op.cit. page 90

ségrégation sexuelle. Les diverses études sur le sujet démontrent ainsi que: «là où s’arrête l’exclusion commence la discrimination »49. Nous pouvons aussi faire un parallèle avec la place que les jeunes filles occupent dans les Centres de loisirs qui se veulent mixtes: la place des femmes dans l’espace social n’est pas encore acquise. En effet, on tente d’exclure les femmes de certains lieux qui dès lors se masculinisent. « Dans un certain nombre de cas aussi, quand les filles sont très minoritaires, les garçons disent qu’ils les considèrent comme inexistantes, ou qu’ils les traitent « comme des garçons » annulées ou assimilées. »50

Les femmes auraient-t-elles avantage à rester entre elles pour ainsi leur permettre de s’épanouir et de s’émanciper des stéréotypes renforcés sans doute par la mixité ?

Par ailleurs, on peut aussi faire l’apologie de la mixité qui permettrait en somme aux femmes d’avoir un pouvoir égal à celui des hommes. En effet, on pourrait imaginer que les rôles et les comportements habituellement attribués aux femmes glissent et se répandent sur les hommes, par le biais des apprentissages. Cela aiderait à mettre de la valeur ajoutée aux « attributs féminins » qui se verraient ainsi être l’apanage des deux sexes.

Nous pouvons également relever que dans la mixité, il serait important aussi que les femmes ne soient pas en minorité numérique; même si ce n’est pas une solution mais plutôt un moyen pour atteindre l’égalité, l’équité favoriserait, voire encouragerait par la force du nombre la prise de pouvoir, bien que, même si les hommes se trouvent dans des situations où ils sont minoritaires, divers auteurs nous démontrent par le biais d’expériences concrètes réalisées que ceux-ci ont tout de même l’avantage.51

C’est donc une lutte de pouvoir constante entre les sexes pour l’acquisition d’une place dans l’espace social. « Dans cette lutte, ce sont les filles qui essaient de gagner des territoires masculins, et c’est exactement cela que l’on attend d’elles dans la discussion publique sur l’égalité des sexes. Par contre, les garçons ne voient aucun avantage à s’intéresser aux territoires des filles (dévalorisés, puisque féminins). Ils s’engagent surtout dans la défense de leurs territoires contre les filles. Ils utilisent pour cela toutes sortes de formes de guerre psychologique : ils définissent les filles ou bien comme non qualifiées ou bien comme non-féminines (=non séduisantes pour eux), ou bien ils utilisent le harcèlement sexuel (réduire les filles à leur sexe et nier leur être intellectuel) ou la dérision. C’est pourquoi il devient difficile aux filles de se consacrer aux territoires définis comme masculins à la puberté et au fur et à mesure qu’elles avancent en âge »52Au regard de cette citation, nous pouvons comprendre que les moyens utilisés par les filles pour accéder à davantage de territoires réservés aux hommes à des fins de reconnaissance sont soit l’adoption de comportements masculins soit alors l’exacerbation de leur féminité apparente, voire la séduction.

Evincer les femmes de l’espace public sous-entend de les renvoyer dans l’espace privé, c’est-à-dire la maison. Un des moyens utilisés est de faire naître chez les femmes le sentiment d’insécurité dans l’espace public en les mettant en garde des dangers et des risques qu’elles encourent en se déplaçant seules la nuit par exemple. On se sert des stéréotypes qui veulent

49DICTIONNAIRE CRITIQUE DU FEMINISME, op.cit., page 130

50LEMEL Yannick Lemel et ROUDET Bernard, op.cit., page 103

51Sources :

LEMEL Yannick, ROUDET Bernard, Filles et garçons jusqu’à l’adolescence: Socialisations différentielles, L'Harmattan, Paris, 1999.

MEJIAS Jane, Sexe et société, Ed. Bréal, 2005

52LEMEL Yannick et ROULET Bernard, op.cit., pages 108-109

que les femmes soient fragiles et vulnérables pour les confiner dans les rôles et fonctions traditionnels auxquels elles sont dévolues.

Actuellement, les travailleurs sociaux effectuant leur activité professionnelle au sein des Centres de loisirs se questionnent sur la place des femmes. Effectivement, ils ont pu observer que les jeunes filles désertent les Centres ou qu’elles sont en minorité alors que ce sont des lieux qui se veulent mixtes. Serait-ce la recrudescence du machisme qui en serait la cause ? Autre hypothèse : le besoin pour les jeunes filles de se retrouver entre elles dans un endroit qui justement se verrait non mixte ?53