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Le refus des genres canoniques de l’intime

Première partie : Le roman intime

1. Le refus des genres canoniques de l’intime

L’enjeu de notre recherche est de constituer une poétique européenne de l’intime qui croise les territoires anglophone, francophone et lusophone, et qui instaure des intimités complexes. Nouveau champ d’exploration et d’expérimentation, l’intimité ouvre un espace de renouveau esthétique et devient un matériau narratif et fictionnel. Initiateur de cette « géopoétique » de l’intime, Proust détourne les genres de type « autobiographique » ou personnels, fixe des invariants diégétiques et thématiques, et assure, par là, une nouvelle tradition littéraire à Pessoa et Woolf.

Après avoir étudié le contexte culturel, littéraire et générique qui montre la nécessité de la réinvention du roman pour dire l’intime, nous verrons comment le roman intime proustien, woolfien et pessoen se construit sur les restes des genres dits autobiographiques, qu’il incorpore, fictionnalise et met à distance.

1. Le refus des genres canoniques de l’intime

Comme nous l’avons vu dans l’introduction, les années 1880 marquent un tournant dans la représentation et la conception de la vie intime. Le champ littéraire est alors occupé principalement par, d’un côté, le roman réaliste-naturaliste ou « matérialiste »48 pour reprendre l’expression de Woolf, de l’autre, les genres personnels que sont le journal, la correspondance, l’autobiographie ou les mémoires. Refusant le caractère autobiographique de leur œuvre, ainsi que l’héritage des genres intimistes du journal ou de la correspondance, Proust, Woolf et Pessoa inventent une poétique fictionnelle de l’intime, qui se sert de la fiction comme le déclencheur et le révélateur paradoxal de l’intime. Par sa complexité et ses ambiguïtés, l’intime devient un nouveau champ d’expérimentation romanesque et d’invention poétique.

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Dans « Modern fiction », Woolf oppose les écrivains « matérialistes » (Wells, Bennett, Galsworthy) aux écrivains « spirituels » (Joyce). Voir « Modern fiction » in The Essays of Virginia Woolf, vol.3, Londres, The Hogarth Press, édité parAndrew McNeillie et Stuart N. Clark, 1988, p. 30-37.

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Les propos de nos auteurs, tels qu’ils apparaissent dans le paratexte, témoignent d’une lutte contre l’usage personnel de la littérature et contre une lecture autoréférentielle de leurs œuvres. Ce refus catégorique des genres dits personnels marque une volonté très claire de se positionner dans le champ littéraire de l’époque et de refuser un héritage de type autoréférentiel, qui ne correspond ni à leur conception de la vie intime, ni à leurs innovations romanesques. Et si leurs œuvres jouent avec les limites du genre, et notamment avec la frontière entre roman et autobiographie, le discours auctorial affiche une volonté de sortir des classifications traditionnelles, et de s’émanciper des valeurs associées à la littérature personnelle, comme l’authenticité, la vraisemblance ou la sincérité.

Si les débuts d’écrivain sont marqués par ce refus catégorique de la littérature personnelle, l’étude du paratexte révèle, chez Proust comme chez Woolf, un infléchissement progressif vers le dire autobiographique, une fois que ces deux auteurs sont parvenus à occuper un terrain singulier dans le champ littéraire de l’époque.

Le jeune Proust se place d’abord dans le contexte générique de la littérature dite intime, en rejetant une lecture autoréférentielle de la Recherche. L’auteur refuse alors toute assimilation de son narrateur à lui-même. Dans une lettre à Antoine Bibesco, il écrit à propos du pacte narratif de Du côté de chez Swann :

Déjà dans ce premier volume le personnage qui raconte, qui dit ; « Je » (et qui n’est pas moi), retrouve tout d’un coup des années, des jardins, des êtres oubliés, dans le goût d’une gorgée de thé où il a trouvé un morceau de madeleine49.

Ce refus du pacte autobiographique se double d’un refus de toute lecture référentielle : « Cher ami, il n’y a pas de clefs pour les personnages de ce livre ; ou bien il y en a huit ou dix pour un seul50 », écrit-il à Jacques de Lacretelle le 20 avril 1918. Et quand il se défend contre le modèle des mémoires, dont il partage l’usage de la première personne, c’est pour revendiquer la construction romanesque de son oeuvre :

L’ouvrage est un roman ; si la liberté de ton l’apparente semble-t-il à des Mémoires, en réalité une composition très stricte (mais à ordre trop complexe pour être d’abord perceptible) le différencie au contraire extrêmement des mémoires51.

Proust multiplie les précautions pour revendiquer la nature fictionnelle et romanesque de La Recherche.

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Lettres de Marcel Proust à Bibesco, Lausanne, Édition de Clairefontaine, 1949, p. 176.

45 Mais, une fois son œuvre reconnue comme romanesque, le discours proustien s’infléchit. Il y a un écart remarquable entre ce que Proust revendique en privé et en public dans les entretiens par exemple, ou dans les lettres adressées à ses éditeurs qui peuvent être considérées comme une désignation mondaine de son œuvre – on sait que la parole à l’éditeur est biaisée, et qu’elle frôle le paratexte de l’œuvre puisque se met en place dans la correspondance une stratégie de lecture, et une stratégie publicitaire. Le moi mondain de Proust défend une lecture strictement fictionnelle de son œuvre, alors que le moi privé mêle les plans de la vie réelle et de la vie fictive. Le Carnet 1908 est révélateur de ce brouillage des sphères. Le pronom « je » est hybride : il désigne tantôt Proust, tantôt le narrateur, tantôt le héros, sans qu’aucune distinction réelle ne soit faite. Ce même brouillage entre le héros et l’auteur apparaît dans une dédicace à Marie Scheikévitich citée par Gérard Genette dans Palimpseste :

La manière dont Proust désigne et résume son œuvre n'est pas celle d'un auteur de « roman à la première personne » comme Gil Blas. Mais nous savons - et Proust sait mieux que personne - que cette œuvre n'est pas non plus une véritable autobiographie. Il faudrait décidément dégager pour la Recherche un concept intermédiaire, répondant le plus fidèlement possible à la situation que révèle ou confirme, subtilement et indirectement, mais sans équivoque, le 'contrat de lecture' du sommaire Scheikévitch, et qui est à peu près celle-ci : « Dans ce livre, je, Marcel Proust, raconte (fictivement) comment je rencontre une certaine Albertine, comment je m'en éprends, comment je la séquestre, etc. C'est à moi que dans ce livre je prête ces aventures, qui dans la réalité ne me sont nullement arrivées, du moins sous cette forme. » Autrement dit, je m'invente une vie et une personnalité qui ne sont pas exactement (« pas toujours ») les miennes52.

À côté de ces déclarations contradictoires, le texte lui-même fait l’objet d’études divergentes, qui montrent bien que la Recherche relève du pacte romanesque, mais qu’une présence autobiographique résiste à l’épreuve de la fiction. Vincent Ferré a très bien montré qu’il y avait bien un « je » autobiographique dans la Recherche53

, repérable non dans une quelconque mimésis diégétique, mais dans les passages théoriques où le « je » de Marcel Proust se porte garant d’une théorie de l’art. La difficile émergence d’une intimité totalement fictive déplace les débats sur la nature générique de la Recherche qui résiste aux désignations génériques, et qui suppose une affinité, non pas tant avec les genres personnels de l’époque

51 PROUST Marcel, Correspondance, tome XI, lettre à Antoine Bibesco, 24 octobre 1912, p. 235.

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GENETTE Gérard, Palimpsestes. La Littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 293.

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Voir FERRE Vincent, « The Nature and Status of Theory in Le Temps retrouvé » in Le Temps retrouvé Eighty

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contemporaine de Proust, qu’avec l’autofiction telle qu’elle est institutionnalisée par Serge Doubrovbsky, et dont Proust apparaît pour certains critiques comme l’inventeur54

.

Cette difficulté constante à assigner un genre à la Recherche, aussi bien de la part de Proust que de la part des critiques, tient sans doute à l’influence des topoï de la littérature intimiste sur la constitution de la poétique de la Recherche. L’exemple d’Albertine disparue est révélateur de cette emprise des genres intimes sur la poétique romanesque proustienne. Parce que Proust n’a pas eu le temps de finir les retouches et les remaniements de ce volume, et d’opérer le travail de distanciation critique et de remodelage fictionnel et romanesque des genres dits intimes55, propre au reste de la Recherche, Albertine disparue constitue le roman le plus personnel de Proust. Il se rapproche sur bien des aspects des genres personnels du journal intime, de la correspondance et du genre poétique de l’élégie. L’auteur y redéfinit les modalités et l’hybridité générique d’un roman intime qu’il place sous les auspices de la douleur de la perte, donnant une fonction cathartique et thérapeutique à l’entreprise romanesque. La souffrance devient l’objet du roman, avec des caractéristiques de l’écriture du moi comme la « plainte de l’âme », l’interaction entre le « monologue » et le réel :

Si bien que cette longue plainte de l’âme qui croit vivre enfermée en elle-même n’est un monologue qu’en apparence, puisque les échos de la réalité le font dévier, et que telle vie est comme un essai de psychologie subjective spontanément poursuivi, mais qui fournit à quelque distance son « action » au roman purement réaliste, d’une autre réalité, d’une autre existence et duquel à leur tour les péripéties viennent infléchir la courbe et changer la direction de l’essai psychologique56

.

Essai, psychologie, plainte de l’âme, monologue, telle sont les caractéristiques de ce roman intime et hybride qu’est devenue la Recherche au fil de l’écriture. Dans cet essai de définition métapoétique et autotélique du livre intérieur, Proust donne les clefs d’écriture de son roman. Non seulement, Albertine disparue constitue le volume le plus autobiographique au sens référentiel du terme (la mort de la mère réelle associée à celle d’Agostinelli se rejoue dans celle du personnage d’Albertine qui rappelle elle-même celle de la grand-mère fictive), mais il est le tome le plus intimiste au sens thématique – sincérité des confessions, des confidences – et au sens générique avec la présence diffuse des caractéristiques du journal, de la lettre, de la plainte, et du lyrisme. Cet ultime volume dans l’ordre de la génétique marque un tournant générique dans la Recherche.

54 Voir CARRIER-LAFLEUR Thomas, « Proust et l’autofiction : vers un montage des identités », http://www.revue-analyses.org/index.php?id=1695.

47 Cette double posture de refus originel du modèle autobiographique, puis d’infléchissement progressif vers les genres personnels, se retrouve chez Virginia Woolf. L’auteur n’a de cesse de réfléchir sur l’inscription générique de ses œuvres dans son journal : The Waves relève des « soliloques dramatiques57 », The Years du « roman-essai », Mrs. Dalloway renvoie à l’intime comme à la peinture sociale, Between the Acts mêle roman et théâtre tandis que, dans Orlando, Woolf parodie la procédure biographique en décloisonnant le temps (la vie d’Orlando se déroule sur cinq siècles) et les genres (le jeune homme Orlando devient une femme). Roman, poésie, essai mais aussi autobiographie se nouent dans les œuvres de Woolf. Si elle n’hésite pas à parler du matériau personnel qui participe de la constitution de sa fiction, la démarche reste toujours non référentielle. Lorsqu’elle se lance dans l’écriture de The Waves, elle mentionne dans son Journal qu’« on pourrait appeler cela : ‘autobiographie58’ », mais elle se reprend : « Ce sera l’enfance, mais ce ne doit pas être mon enfance59 ». Il s’agit donc toujours pour elle d’invention. Son écriture intime se sert de l’intimité biographique comme d’un tremplin pour inventer une intimité fictionnelle et pour intimiser les textes. Toute la réflexion sur la composition de To the Lighthouse et sur l’impersonnalité en témoigne :

Cela pourrait être un concentré de tous les personnages ; et de l’enfance, avec aussi cette chose impersonnelle que mes amis me défient d’y mettre la fuite du temps et ce qui en découle : une rupture d’unité dans mon dessein60.

Avec l’invention narrative de this impersonal thing, Woolf refuse l’assimilation de l’œuvre à l’auteur : l’intimité des fictions woolfiennes est moins dans la présence de l’auteur que dans la constitution d’une voix anonyme et pourtant subjectivante, qui relève d’une intimité partagée. Lorsqu’elle réfléchit à l’assignation générique de son œuvre, le terme d’autobiographie n’apparaît pas :

55 VoirMAURIAC DYER Nathalie, Proust inachevé, le dossier « Albertine disparue », op.cit.

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AD, IV, p. 82.

57 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, traduction de Marie-Colette Huet et Marie-Ange Dutartre, Paris Éditions Stock, 2002, 20 août 1930, « Les Vagues vont se réduire, je crois (j’en suis à la page cent) à une série de soliloques dramatiques. Ce qu’il faut, c’est conserver l’homogénéité de leur déroulement, des entrées et sorties sur le rythme de vagues », p. 831 / “The Waves is I think resolving itself (I am at page 100) into a series of dramatic soliloquies. The thing is to keep then running homogeneously in & out, in the rhytm of the waves”,

The Diary of Virginia Woolf, Vol.III: 1925-30, Anne Olivier Bell (dir.) Londres, Penguin, 1982, p. 312.

58 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, 28 mai 1929, p. 758 / “Autobiography it might be called”, The

Diary of Virginia Woolf, Vol.III: 1925-30, op.cit., p. 229.

59 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, op.cit., 28 mai 1929, 23 juin 1929, p. 765 / “this shall be the Childhood; but it must not be my childhood”, The Diary of Virginia Woolf, Vol.III: 1925-30, op.cit., p. 236.

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Je pense vaguement à inventer un nouveau terme que je substituerai à « roman ». Un nouveau… de Virginia Woolf. Mais quoi ? Une nouvelle élégie ?61

Pourtant Woolf est hantée par le caractère très personnel de ses romans. Le journal révèle un double processus d’intimisation de sa fiction et de fictionnalisation de sa vie, de telle sorte que roman et vie se confondent. Ainsi écrit-elle le 14 janvier 1920 : « Incidemment, je me demande si je ne fais pas bel et bien moi aussi de l’autobiographie en la prétendant fiction62 ». Après ce premier nivellement de la vie dans la fiction, Woolf décrit le processus de réinvention et de narrativisation de sa vie :

Mon esprit se met aussitôt à dévider un fil pour habiller cette histoire, à la place de Marjorie – à prévoir un jaune ici, un vert là pour représenter le bonheur ; et le reste à l’avenant (Romancière ou non, un certain instinct de l’art du récit intervient en moi)63.

Cette double tendance va hanter l’écriture de Woolf et son rapport fantasmé à la vie. L’écriture woolfienne s’oriente progressivement vers les genres référentiels. Non seulement elle rédige une biographie de Roger Fry, mais elle se met à écrire ce qu’elle appelle ses mémoires à partir de 1939, qui deviendront « A sketch of the past ». Elle commence alors à définir le travail d’écriture comme un travail psychanalytique :

Je crois que mon idée d’autopsychanalyse se tient en ce sens que l’écrivain se trouvant dans l’impossibilité de décrire la société, n’avait d’autre choix que se décrire lui-même en tant que produit de cette société ou en victime64.

Alors que chez Proust, la revendication de la nature romanesque de l’œuvre s’explique par la tentation référentielle du lecteur devant l’emploi de la première personne et le statut rétrospectif de la narration, chez Woolf, l’autobiographie irrigue la fiction alors que l’usage de la première personne n’est pas systématique. Le jeu pronominal établit une sorte

60 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, 20 juillet 1925, p. 595 / “It might contain all characters boiled down; & childhood; & then this impersonal thing, which I’m dared to do by my friends, the flight of time, & the consequent break of unity in my design”, The Diary of Virginia Woolf, Vol.III: 1925-30, op.cit., p. 36.

61 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, 27 juin 1925, p. 593 / “I have an idea that I will invent a new name for my books to supplant ‘novel’. A new – By Virginia Woolf. But what? Elegy?”, The Diary of Virginia

Woolf, Vol.III: 1925-30, op.cit., p. 34.

62 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, op.cit., 14 janvier 1920, p. 301 / “I wonder, parenthetically, whether I too, deal thus openly in autobiography and call it fiction”, The Diary of Virginia Woolf, Vol.II:

1920-24, Anne Olivier Bell (dir.), Londres, Penguin, 1981, p. 7. 63

WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, op.cit, p. 301 / “My brain at once spins to clothe her story for her – how happiness is to be represented by a green here; a yellow there & so on (novelist or not, some instinct of story telling is pretty quick in me”, The Diary of Virginia Woolf, Vol.II: 1920-24, op.cit., p. 8.

64 WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, op.cit, 9 février 1940, p. 1434/ “I think there’s something in the psycho-analysis idea: that the L.Tower writer couldn’t describe society; had therefore to describe himself, as the product, or victim”, The Diary of Virginia Woolf, Vol.V: 1936-41, Anne Olivier Bell (dir.) Londres, Penguin, 1985, p. 267.

49 d’équilibre et de compensation autobiographique qui vient dérégler le roman traditionnel à la troisième personne chez Woolf. Si chez elle, le roman traditionnel est subverti par l’inscription d’une intimité, d’une sensibilité qui tient à la personnalité de son auteur, chez Proust, c’est l’autobiographie traditionnelle qui est subvertie par le romanesque, le fictif. Le masque et la distance de la troisième personne semble permettre paradoxalement à Woolf de se réapproprier sa vie, de se raconter. Ainsi Jacob’s room est-il un hommage au frère mort de Virginia, Thoby, The Years est une peinture de la famille Stephen, Orlando un portrait de l’androgynie et l’homosexualité de Woolf, notamment avec Vita Sackville-West. Dans cet univers romanesque, To the Lighthouse, par sa nature mi-fictionnelle mi-autobiographique, occupe un espace très particulier. Il s’agit du roman le plus personnel de Woolf, d’une véritable autobiographie déguisée, que la lecture croisée du journal et de la correspondance vient refléter. Woolf décrit dans son journal comment l’écriture de To the Lighthouse avait été une transposition fictionnalisée de son enfance :

Je n’aspire plus maintenant qu’à abandonner le journalisme pour me consacrer à La

Promenade au phare. Ce sera passablement court ; tout y sera dans la personnalité

du Père, et de celle de maman, et Saint-Ives, et l’enfance et toutes les choses habituelles que j’essaie d’introduire : la vie, la mort, etc.65.

La réception de Vanessa Bell qui y reconnaît leurs parents et leur maison de St Ives est révélatrice de cette hybridation des deux genres.

De la même façon, lorsque Woolf décrit The Waves, elle redéfinit les caractéristiques de l’autobiographie :

Un esprit en train de penser. Ce pourrait être des îlots de lumière. Des îles au milieu du courant que j’essaye de représenter. Le vol fluide des phalènes suivrait irrésistiblement la même direction. Une lampe et une fleur en pot au centre. La fleur peut subir sans cesse une transformation. Mais entre chaque scène doit exister une unité que je ne parviens pas à trouver pour le moment. On pourrait appeler cela : « autobiographie »66.

L’autobiographie semble se dépersonnaliser, se poétiser. D’ailleurs, dans le conseil qu’elle donne à Desmond Mac McCarthy, Woolf différencie le plan de l’intime du plan

65WOOLF Virginia, Journal intégral : 1915-1941, op.cit., 14 mai 1925, p. 580 / “I’m now all on the strain with desire to stop journalism & get on To the Lighthouse. This is going to be fairly short: to have father’s character done complete in it; & mothers; & St Ives; & childhood; & all the usual things I try to put in – life, death &c.”,

The Diary of Virginia Woolf, Vol.III: 1925-30, op.cit., p. 18-9.

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WOOLF Virginia, Journal Intégral : 1915-1941, op.cit, 28 mai 1929, p. 758 / “A mind thinking. They might be islands of light – islands in the stream that I am trying to convey: life itself going on. The current of the moths flying strongly this way. A lamp & a flower pot in the centre. The flower can always be changing. But there

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autobiographique : « Je lui dis d’écrire ses pensées intimes plutôt que son autobiographie67 ».