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La fonction intimiste de la lettre dans l’œuvre proustienne et woolfienne

détournement des genres intimes

4. La fonction intimiste de la lettre dans l’œuvre proustienne et woolfienne

Parmi les écritures du moi, la correspondance établit une double intimité relationnelle et personnelle. Insérée dans la narration comme un objet intimiste privilégié, la lettre participe de la dynamique diégétique, de l’analyse psychologique et de l’investigation de la subjectivité. La présence déterminante de la lettre à des endroits stratégiques des textes ravive une autre écriture de l’intime au cœur du roman, ouvre l’espace romanesque sur l’espace du dedans dans un texte palimpseste qui mêle différents niveaux d’intimité. La lettre joue le rôle d’objet intimiste, de déclencheur introspectif et d’élément métapoétique.

A / Rôle diégétique de la lettre proustienne dans l’intimité relationnelle

Élément diégétique, la lettre revêt une fonction érotique et mondaine dans l’univers proustien et crée une intimité, même de manière artificielle et factice. Occupant un rôle relationnel, elle participe d’un double mouvement d’intimisation et de complexification des relations. La lettre permet d’abord d’établir les relations mondaines : la Recherche est tissée sur un réseau de lettres d’invitation, de rumeurs, ou de dénonciation – sur d’éventuelles tromperies, comme celle d’Odette avec de Forcheville, ou révélations, comme celle sur la véritable nature homosexuelle de personnages482. Dans ce jeu de relations, la lettre participe alors d’une scénographie intimiste feinte, où la rhétorique faussement intime de la lettre instaure les différents cercles mondains. Ce mensonge de l’intime est largement exploité pour

481 WOOLF Virginia, Journal intégral : 1915-1941, op.cit., 11 février 1940, p. 1434 / “I think there’s something in the psycho-analysis idea: that the L.Tower writer couldn’t describe society; had therefore to describe himself, as the product, or victim”, The Diary of Virginia Woolf, Vol.V: 1936-41, op.cit., p. 267.

482

« Un jour il reçut une lettre anonyme qui lui disait qu’Odette avait été la maîtresse d’innombrables hommes (dont on lui citait quelques-uns, parmi lesquels Forcheville, M. de Bréauté et le peintre), de femmes, et qu’elle fréquentait des maisons de passe », DCS, I, p. 350.

187 décrire les relations des deux cousines Guermantes – duchesse et princesse – notamment dans leur échange épistolaire :

(…) le caractère intime n’entraînait pourtant pas plus d’intimité entre vous et l’épistolière que si celle-ci avait été Pline le Jeune ou Mme de Simiane483.

Nous soulignons ici le double emploi du terme. Le spectre sémantique et oxymorique de l’intime permet d’opposer une scénographie de l’intime permise par la lettre à la vraie relation à l’autre. Dans cet exemple, l’intime est de l’ordre de la feinte, du langage mensonger, des formules toutes faites

Cette stratégie de la feinte se retrouve dans le cas de scripteurs masculins woolfiens. Ainsi en est-il de la lettre écrite par Bernard dans The Waves, qui détourne la rhétorique intimiste au profit de la séduction libertine :

Je puis écrire d’un jet cette lettre tant de fois recommencée (…) Je vais rédiger d’une écriture rapide, serrée, minuscule, exagérant le jambage du y et barrant le t comme ça – d’un trait. Il n’y aura comme date que mardi, le 17, suivi d’un point d’interrogation. Mais il faut aussi que je lui donne l’impression que même s’il – car ce personnage n’est pas moi – écrit avec une telle désinvolture, un tel laisser-aller, il y a une note subtile d’intimité et de respect484.

Participant de la dichotomie entre le moi profond et le moi social, cette scène d’écriture est ainsi le lieu de déploiement d’un « moi d’emprunt485

», c’est-à-dire de l’invention de soi sur le mode du fictionnel.

Si la lettre participe des intrigues mondaines dans le jeu social, elle médiatise donc surtout l’intrigue amoureuse486

. Toutes les lettres de la Recherche ont partie liée avec l’action extérieure, mais surtout avec l’événement intime qui concerne l’amour. La lettre et sa variante, le télégramme, sont des accélérateurs de l’action intérieure, qu’il s’agisse de l’amour ou de l’enquête intérieure. Dessinant des scènes d’attente ou de tension, la lettre noue l’action dramatique autour des différentes dispositions de la vie intime : attente, désir, fantasme. La lettre est donc un objet intimiste privilégié, dont le rôle est de déterminer les relations intimes

483 CG, II, p. 737.

484 Les Vagues, II, p. 465-6 / “But also I must give her the impression that though he – for this is not myself – is writing in such an off-hand, such a slap-dash way, there is some subtle suggestion of intimacy and respect”, W, p. 63.

485 « Mon vrai moi se sépare de mon moi d’emprunt », Les Vagues, II, p. 466 / “My true self breaks off from my assumed”, W, p. 64.

486 Voir le chapitre consacré à la place de la lettre dans le récit de l’attente amoureuse, dans la thèse d’ABIGNENTE Elisabetha,L’attesta amore nel romanzo del NovecentoÀ la recherche du temps perdu de Marcel

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à l’autre et de creuser la relation à soi. Dans la relation amoureuse, notamment celle avec Albertine, la lettre, est une parade, qu’il s’agisse du mensonge sur soi ou du mensonge à l’autre. Les lettres adressées à Albertine ou écrites par elles créent l’illusion d’une intimité amoureuse : le jeu d’appellation en est la preuve « Mon chéri », « Mon Marcel », « Mon ami » sont autant de signes d’affection, qui relèvent du jeu amoureux. Lettre de rupture, lettre d’explication, la lettre est un moteur de la dynamique amoureuse. L’hybridité du texte, la forme qui instaure un régime épistolaire au cœur du romanesque, actualise le jeu amoureux et les mensonges. À chaque fois la lettre, intégrée dans l’aventure du héros, va accélérer les découvertes intimes. Dans les Jeunes filles en fleurs, le héros et Gilberte luttent pour récupérer la lettre du héros écrite à Swann pour justifier la sincérité de ses sentiments. Or cette lutte se transforme en jouissance sexuelle. À la découverte du plaisir, permise par la présence de l’objet-lettre, s’ajoute le pouvoir de désillusion lorsqu’Aimé raconte au héros la vraie nature d’Albertine et les mœurs saphistes de cette dernière dans Albertine disparue. Enfin les lettres funestes, qui annoncent mort d’Albertine, ouvrent le héros à une souffrance expérimentale, qui le conduit à une connaissance de soi. Ainsi Proust s’empare d’un objet romanesque, propre au roman d’intrigue et au roman d’aventure, pour l’intégrer dans une aventure intime, au double sens d’intimité personnelle et d’intimité amoureuse.

B / Fonction introspective de l’épistolaire

Insérée dans un dispositif intimiste, la lettre participe de la constitution d’une scénographie de l’intime. Non seulement lecture et écriture de la lettre nécessitent l’espace particulier du retrait, mais elles requièrent une parole solitaire. La lettre peut alors déclencher l’introspection. Albertine disparue est le roman par lettres de la Recherche, dans lequel Proust associe la lettre aux motifs de l’enquête, du dévoilement et de l’introspection. Si jusqu’ici la lettre était davantage dévolue à la sphère mondaine, à partir d’Albertine disparue, elle devient le lieu du soliloque, déclenchant le discours introspectif du personnage. La retranscription de la lettre d’Albertine au début du volume va permettre de confronter le héros à la réalité et de mesurer les mensonges que le héros se fait à lui-même. Cette présence textuelle et écrite d’Albertine vient renforcer l’obsession du personnage dont la voix et la présence hantent le héros comme le lecteur. Dans cet épisode, le héros tisse un dialogue avec cette lettre, un dialogue intérieur qui relève de l’enquête sémiologique et du décryptage. Proust joue sur les

189 codes du roman policier, en réactualisant la lettre-preuve, mais il en intimise l’usage, puisque le déchiffrement des signes va se tourner vers l’intérieur. L’épisode de la lecture de la lettre d’Albertine est en ce sens révélateur : si la tentative de décryptage est d’abord tournée vers les relations à l’autre, elle se recentre rapidement sur le sujet. Cette lettre de rupture est rapidement contredite par les illusions du sujet qui refuse d’admettre le départ de la femme aimée :

Adieu je vous laisse le meilleur de moi-même. Albertine.

Tout cela ne signifie rien, me dis-je, c’est même meilleur que je ne pensais, car comme elle ne pense rien de tout cela, elle ne l’a évidemment écrit que pour frapper un grand coup, afin que je prenne peur487.

La transcription de la lettre vise ici à montrer l’aliénation du sujet à lui-même. Cette ironie narrative révèle les illusions du héros, qui refuse de lire ce que le lecteur et lui-même ont sous leurs yeux : une lettre de rupture. Cet humour, qui met à distance la douleur, renforce le jeu de l’auteur qui se sert de la lettre comme d’un révélateur paradoxal de l’aliénation du sujet à ses croyances. À cette illusion sur soi succède le second mensonge, celui que le héros fait à l’autre. Parodiant et détournant la fonction révélatrice de la lettre, censée être authentique et sincère, le personnage écrit une lettre de rupture à Albertine, contredite par toute l’introspection qui vient d’avoir lieu dans le texte. L’espace textuel prend alors deux dimensions : la lettre est retranscrite, assortie du commentaire du héros qui décrit ses motivations et ses sentiments :

Hélas cette lettre feinte, en l’écrivant pour avoir l’air de ne pas tenir à elle (seule fierté qui restât de mon ancien amour pour Gilberte dans mon amour pour Albertine) et aussi pour la douceur de dire certaines choses qui ne pouvaient émouvoir que moi et non elle, j’aurais dû d’abord prévoir qu’il était possible qu’elle eût pour effet une réponse négative488.

Le texte mime alors les hypothèses, les soubresauts et les contradictions du héros : « Mais aussitôt je changeais d’avis ; je souhaitais qu’Albertine ne revînt pas489 ». Ainsi le roman intime permet de creuser l’espace épistolaire, de l’enrichir de l’espace diariste et installe définitivement un genre intime hybride, triplement épistolaire, diariste et romanesque. Ce feuilleté textuel exemplifie les contradictions intimes du sujet, dont la vie intérieure est partagée entre désir et amour-propre. Le texte déploie alors une intimité à trois dimensions,

Márquez, sous la direction de Piero Boitani et de Karen Haddad, p. 231-266. 487

AD, IV, p. 5.

488

AD, IV, p. 40.

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sociale, affective, et secrète. Cette triple caractéristique de la lettre permet au narrateur de comprendre les rouages de la vie intime :

Mais la manière désastreuse dont est construit l’univers psychopathologique veut que l’acte maladroit, l’acte qu’il faudrait avant tout éviter, soit justement l’acte calmant, l’acte qui, ouvrant pour nous, jusqu’à ce que nous en sachions le résultat, de nouvelles perspectives d’espérance, nous débarrasse momentanément de la douleur intolérable que le refus a fait naître en nous490.

Les différents fonctions diégétiques de la lettre se trouvent réappropriées par l’univers intimiste du héros et s’inscrivent dans une dynamique intérieure qui refonde le pouvoir romanesque de l’épistolaire. La lettre concourt à une dramatisation de l’intime, en marquant un isolement complet du sujet, un enfermement en soi. La lettre d’adieu, la lettre du héros à Albertine, les différentes lettres de révélation sur la véritable nature de la femme aimée, le quiproquo sur la signature de Gilberte et d’Albertine, finissent de construire l’univers soliptique du héros qui assiste aux mariages de ses amis – l’annonce des mariages de Saint Loup avec Gilberte et de Mlle d’Oloron avec le jeune Cambremer se fait logiquement sur le mode épistolier à la fin d’Albertine disparue – tandis que lui s’enferme dans l’isolement. Porteuse de mort – mort d’Albertine – et de mécanique sentimentale, la lettre inscrit dans la vie du sujet une fatalité, mais une fatalité strictement intimiste, où le sujet active sa propre tragédie. Au début d’Albertine disparue, sur trois pages, deux télégrammes et deux lettres achèvent de sceller la destinée du héros, en jouant sur la distance de l’autre : se croisent le télégramme de Mme Bontemps qui annonce au héros la mort d’Albertine, le télégramme du héros qui demande à Albertine de revenir, et les deux dernières lettres d’Albertine dont une amorçait la réconciliation. Ce feuilleté énonciatif et ironique, ajouté au feuilleté intimiste, opère un tournant dans la narration intérieure et dans le tissu diégétique, amorçant un total repli sur soi. Dans cette scène intérieure, les deux lettres d’Aimé, compte-rendu sur la vie passée d’Albertine, agissent sur le héros, comme un calmant intérieur : elles sont moins des enquêtes sur Albertine que les étapes nécessaires au travail de deuil. Là encore, la lettre est dessaisie de son rôle communicationnel, pour se retrancher dans la seule sphère de l’intime et contribuer à une quête intérieure :

Aussi ce qu’atteignait la réponse d’Aimé (…) c’était bien en Albertine, en moi, les profondeurs491.

490 Ibid.

191 La lettre rythme et enclenche la dynamique diégétique intimiste, accélérant les révélations, permettant l’introspection et la quête de soi. Elle vient signifier l’absence et rejouer le drame originel de la séparation. En manifestant l’irréductible absence de l’autre, la lettre construit donc une tragédie intérieure, dans un terrible face à face avec soi.

Au cœur de cet univers épistolaire, Les Lettres de Mme de Sévigné ont une place structurelle dans le roman proustien. Littérature de la Mère (figurée par la grand-mère), la correspondance sévignéenne est une forme littérarisée et une mise en abyme du drame de la séparation. Les lettres sont pour la grand-mère du héros, comme pour Mme de Sévigné, la forme suprême du lien à sa fille : la grand-mère se fait alors à la fois le double du héros et de Mme de Sévigné, rejouant sur le mode épistolaire le drame de la séparation. Le voyage à Balbec est l’occasion pour elle d’imiter la relation de Mme de Sévigné à sa fille :

(…) elle qui répétait pour Maman les mots de Mme de Sévigné : « Dès que j’ai reçu une lettre, j’en voudrais tout à l’heure une autre, je ne respire que d’en recevoir. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je ressens492 ».

La lettre est alors un lien, un substitut fantasmatique et une compensation.

À chaque fois, la lettre crée un double dispositif intimiste à soi et à l’autre. Dernière forme désespérée du sujet, elle s’ancre dans une situation critique pour la vie intime du sujet. Lors du drame du coucher de « Combray », la lettre vient remplir la place manquante, laissée par la mère, combler son absence. Transfigurée par l’imaginaire de l’enfant, elle se dote d’un pouvoir performatif et magique. À travers l’intermédiaire de Françoise, le lecteur suit le trajet de la lettre comme réceptacle de l’intimité et de la souffrance du héros proustien. Cette fonction métaphorique et affective de la lettre établit un double rapport thérapeutique et désirable à l’écrit, devenu la forme privilégiée de la souffrance et du désir. Pragmatique, la lettre doit ramener l’absente et agir contre la mort imaginée par l’enfant : elle relève bien d’ « une ruse de condamné493

». Ainsi la lettre va construire les relations aux femmes, incarnées par la mère, et à soi sous le double signe du désir et de la mort.

Occupant également une fonction de relance affective, la lettre de l’autre déclenche l’univers du sujet, ses rêveries, dans un véritable fantasme graphique. Ainsi, dans « Nom de pays : le nom », la lettre d’invitation de Gilberte cristallise le désir du héros, déploie son imaginaire en même temps qu’elle est le lieu d’une réflexion sur la réalité mentale :

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Le bonheur, le bonheur par Gilberte, c’était une chose à laquelle j’avais constamment songé, une chose toute en pensées, c’était, comme disait Léonard de la peinture, cosa mentale. Une feuille de papier couverte de caractères, la pensée ne s’assimile pas à cela tout de suite. Mais dès que j’eus terminé la lettre, je pensai à elle, elle devint un objet de rêverie, elle devint, elle aussi, cosa mentale et je l’aimais déjà tant que toutes les cinq minutes il me fallait la relire, l’embrasser. Alors je connus mon bonheur494.

Le jeu avec le genre épistolaire, redonne une fonction intimiste et métapoétique à la lettre, qui instaure un mode affectif d’écriture et de lecture, et met en jeu l’intimité relationnelle et personnelle du héros. La lettre exhibe le mode de fonctionnement du « livre intérieur » puisque l’écrit devient le lieu de cristallisation de l’univers intime, que le héros soit en position de lecteur ou de scripteur.

Qu’elle soit écrite ou lue, la lettre délimite également des scènes d’intimité avec soi chez Woolf, engageant un acte de retrait, d’isolement, de mise à distance du monde. Les scènes woolfiennes d’écriture épistolaire creusent au cœur du texte des ilots d’intimité qui échappent tant au lecteur qu’aux personnages spectateurs. Topique de l’univers intimiste woolfien, ce type d’épisode repose sur des invariants : attachée aux personnages féminins, l’écriture de la lettre prend place dans un espace du dehors, qui se trouve intimisé par le geste scripturaire du personnage. L’écrit n’est pas intégralement retranscrit, ce qui permet de creuser un indicible et un invisible qui relèvent de l’intériorité.

Jacob’s room s’ouvre sur ce type de scénographie : apparaît progressivement la figure maternelle de Betty Flanders, qui pleure la mort de son mari alors même qu’elle écrit une lettre. Des bribes de cette lettre s’immiscent dans le tissu narratif. Woolf met en scène une écriture du deuil, de la perte dès les premières lignes du texte :

S’écoulant lentement de la pointe de sa plume d’or, de l’encre bleu pâle noya le point final ; car c’est là que son stylo s’était arrêté : ses yeux devinrent fixes, et ils se remplirent lentement, doucement de larmes495.

Le texte juxtapose l’écriture à la pensée du personnage. Forme matricielle et hydrique qui préside au roman, l’écriture se fait tache496

, « griffonnage497 »: 492 JF, II, p. 57. 493 DCS, I, p. 28. 494 JF, I, p. 491

495 La chambre de Jacob, I, p. 891 / “Slowly welling from the point of her gold nib, pale blue ink dissolved the full stop; for there her pen stuck; her eyes fixed, and tears slowly filled them”, JR, p. 3.

496 « la tache d’encre s’était agrandie », La chambre de Jacob, I, p. 891 / “but the blot had spread”, JR, p. 3

193 Telles étaient les lettres que Betty Flanders écrivait au capitaine Barfoot –

interminables et marquées de larmes498.

Les larmes maternelles se prolongent et se matérialisent dans l’encre du stylo, inscrivant dans un même mouvement scripturaire les motifs de la perte, de l’exil et de la tache. D’événement diégétique, la lettre devient événement intime, et sa présence inaugurale instaure une écriture de l’affect au cœur du texte. Cette image primitive d’une femme écrivant, en souffrance, actualise la genèse de l’écriture woolfienne, placée sous le signe de la perte et de l’émotion. Cette position se retrouve au chapitre VIII :

(…) la pauvre Betty Flanders, écrivant le nom de son fils Jacob Alan Flanders, Esq., comme le font les mères, et l’encre pâle, profuse, faisant entrevoir comment les mères là-bas à Scarborough griffonnent au coin du feu, les pieds sur le garde-cendres, après que le thé a été débarrassé, sans jamais, et ne parviennent jamais, jamais, quoique ce soit dont il s’agisse499.

Transposée dans l’espace domestique et protecteur du foyer, la lettre favorise la constitution d’une sphère de retrait : au lieu d’être dialogique, la lettre constitue un espace de repli sur soi. Tournée vers la plénitude intime et vers l’absence de l’autre, la lettre inscrit une