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1. Introduction théorique

1.5 Le Reading Span comme mesure de l’interférence proactive

Selon May et coll. (1999) un effet d’interférence proactive est présent dans la tâche du Reading Span de Daneman et Carpenter (1980). Dans cette tâche, des séries de phrases (variant de 2 à 5 phrases) sont présentées et les participants doivent juger sémantiquement la phrase présente tout en se rappelant du dernier mot de celle-ci. Généralement la plus grande quantité de phrases jugées sémantiquement et le nombre de mots correctement rappelé est un index utilisé pour mesurer la capacité en mémoire de travail. Cependant, l’administration successive des ensembles de phrases exige l’efficacité de la fonction de suppression, car le participant doit être concentré uniquement sur l’ensemble de phrases proposé actuellement. Si la fonction de suppression est inefficace, les mots des ensembles de phrases présentés antérieurement ne seraient pas complètement supprimés, ce qui créerait de l’interférence, laissant moins de ressources disponibles pour maintenir les mots pertinents, réduisant ainsi la capacité de rappel des mots actuels. Le fait de ne pas supprimer les mots vus antérieurement permet à l’interférence proactive de s’accumuler au travers de l’épreuve et ainsi d’exercer des effets néfastes sur les scores de rappel en mémoire de travail. En effet, l’étude de May et coll.

(1999) a mis en évidence que les individus ayant des capacités inhibitrices inefficaces et particulièrement dans la fonction de suppression, tendent à produire un plus grand nombre d’intrusions avec un rappel de mots inférieur, suite à l’accumulation de l’interférence proactive.

Selon ces auteurs, l’interférence proactive affecterait les performances dans les mesures d’empan mnésique. Ils postulent que l’interférence s’accumulerait de façon différentielle selon la structure de la tâche. Ainsi, le nombre d’items non pertinents actifs diminueraient l’espace disponible pour les informations pertinentes, au vu du fait que l’espace à disposition en mémoire de travail, servant à traiter et temporairement stocker l’information, est limité. Afin de vérifier cela, ces auteurs ont mené une étude sur de jeunes et adultes âgés en administrant le Reading Span dans un ordre croissant (ascendant), d’une part, et dans un ordre décroissant (descendant), d’autre part. Précisons que dans la condition ascendante, il s’agit d’administrer aux participants des blocs de phrases dans un ordre croissant de difficulté (de 2 à 5 phrases), tandis que dans la version descendante l’ordre d’administration est

renversé et les plus grands blocs de phrases sont présentés en premier (de 5 à 2 phrases). En d’autres termes, ils ont présenté aux participants les plus grands ensembles de phrases en premier, avant que l’interférence proactive ait eu le temps de s’accumuler. Autrement dit, la condition descendante devrait réduire l’accumulation d’interférence proactive au travers de l’épreuve et ainsi diminuer le nombre d’intrusions produites et augmenter le rappel correct de mots. Selon May et coll. (1999), cette modification ne devrait avoir aucun effet sur la mesure de la capacité en mémoire de travail, si toutefois cette capacité reflète simplement la quantité d’information qu’un individu peut traiter et stocker en mémoire de travail. Cependant, si la fonction de suppression (et l’interférence proactive) est impliquée dans la tâche d’empan, la manipulation de l’ordre de présentation des items devrait affecter la quantité d’informations non pertinentes en concurrence avec les items à rappeler actuellement. Par ailleurs, May et coll. (1999), prédisent que l’effet de la manipulation de l’ordre de présentation est d’autant plus marqué chez des individus qui présentent des processus d’inhibition déficitaires, comme le suggère leur hypothèse sur les adultes âgés. Les prédictions des auteurs vont être confirmées par leur étude. Les résultats mettent en évidence une interaction entre les conditions de la tâche (ascendant vs descendant) et les groupes d’âge (jeunes adultes vs adultes âgés). En effet, les résultats ont démontré que les personnes ayant un déficit au niveau de la fonction de suppression (adultes âgés) présentent d’autant plus de difficultés en produisant plus d’intrusions et un nombre réduit de mots corrects. Ils ont également montré que les performances des adultes âgés étaient facilitées par le format descendant. En effet, les adultes âgés rappellent un nombre plus important de mots et moins d’intrusions dans ce format. Par ailleurs, dans la condition descendante les performances des adultes âgés ne sont pas significativement différentes de celles des jeunes adultes, au vu de la réduction de l’interférence proactive dans cette condition. Rappelons que dans la condition descendante, les plus grands blocs de phrases sont présentés en premier avant que l’interférence proactive n’ait eu le temps de s’accumuler (contrairement à la condition ascendante). Cela permet donc au participant d’augmenter son rappel correct de mots, car dans cette condition il arrivera à rappeler des blocs de cinq phrases ce qui n’est pas le cas dans la condition ascendante. En effet, dans la condition ascendante l’interférence proactive s’accumule au travers la tâche et exerce des effets néfastes sur les grands blocs de phrases qui sont les derniers de la série. Or, dans la condition descendante les grands blocs sont présentés en premier et le participant n’ayant pas encore d’informations non pertinentes en mémoire à supprimer, rappellera un plus grand nombre de mots (May & coll., 1999). De plus, dans cette condition, plus le participant avance dans l’épreuve plus les items deviennent faciles. Les performances différentielles en

fonction du format de présentation de l’épreuve s’observent également au travers du nombre d’intrusions produites. Dans la condition ascendante, suite à l’accumulation de l’interférence proactive, le participant aura tendance à produire, lors du rappel, des mots qui ne sont pas dans les items à rappeler (intrusions). Tandis que dans la condition descendante, l’interférence proactive étant réduite, le nombre d’intrusions sera moins élevé. Cette étude met donc en évidence que, d’une part, les adultes âgés, ayant un déficit de suppression, sont plus sensibles à l’interférence proactive que les jeunes adultes. D’autre part, cela montre qu’il est possible de réduire cet effet au sein de la tâche en modifiant l’ordre de présentation des items. En effet, la modification de l’ordre facilite les performances des individus ayant de faibles capacités inhibitrices. Enfin, cela confirme que les capacités inhibitrices varient en fonction de l’âge en influençant les performances cognitives des individus (May & coll., 1999).

En outre, en plus d’être influencée par les changements liés à l’âge, l’interférence proactive est également influencée par les préférences circadiennes des individus. L’étude de Hasher et coll. (2002) illustre l’influence des préférences circadiennes sur la sensibilité à l’interférence proactive chez des adultes jeunes et âgés. En utilisant le paradigme classique d’interférence proactive (explicité précédemment), ces auteurs ont évalué de jeunes et adultes âgés tôt le matin ou tard dans l’après midi. Les résultats mettent en évidence que la fonction de suppression varie avec les préférences circadiennes, les individus étant plus susceptibles à l’interférence proactive à leur moment non optimal de la journée. Les individus ont montré un rappel plus important de mots corrects ainsi qu’une diminution de la production du nombre d’intrusions lorsqu’ils étaient évalués à leur moment optimal de la journée (le matin pour les adultes âgés et l’après-midi pour les jeunes adultes). Cet effet du « Time-of-Day » s’observe dans les deux populations avec un effet plus marqué pour les adultes âgés. Cependant, il est a noter que les performances des adultes âgés restent inférieures à celles des jeunes adultes au vu de leurs faibles capacités inhibitrices. Le fait d’avoir des capacités inhibitrices inefficientes engendre une difficulté à résister à l’interférence chez ces individus, et ce à tous les moments de la journée, même si dans les heures optimales leurs performances se rapprochent de celles des jeunes adultes. L’augmentation relative des performances aux heures optimales est ainsi plus importante chez les adultes âgés, révélant ainsi une interaction entre l’âge et le moment optimal ou non de la journée.

Il est à noter que les diverses études évaluant ces phénomènes ont été effectuées uniquement sur des populations d’adultes, la population d’enfants n’ayant jamais été testée avec une approche expérimentale comparable.

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