• Aucun résultat trouvé

2.2 Le rapport entre la posture épistémologique de l’enseignant et son choix

2.2.2 Le rapport entre la posture et l’approche pédagogique/didactique

La consultation de nombreux ouvrages de recherche fait constater qu’un consensus existe chez les auteurs dans la rétention de deux grandes postures épistémologiques d’enseignants de sciences. Les pratiques sont ainsi teintées par les postures empiricoréalistes et socioconstructivistes.

41 Lorsque les idées, croyances et conceptions spontanées d’un enseignant à propos de l’idée de sciences, de son développement et de son enseignement sont réunies, on voit apparaitre une articulation cohérente fréquemment formulée sous le terme posture épistémologique (Ruel, Désautels, et Larochelle, 1997). Cette construction psychologique individuelle constitue une prise de position orientant les conduites et les communications sociales.

42 Aurousseau (2017) fait remarquer que « les postures épistémologiques des enseignants de S&T relativement aux sciences se révélant parfois opposées à celles adoptées en milieu de pratique » (p. 25), cela peut rendre difficile l’établissement de relations causales entre les conceptions de futurs enseignants et leurs pratiques d’enseignement. Ce phénomène est issu de différentes contraintes et sera approfondi ultérieurement.

2.2.2.1 La posture empiricoréaliste

Les recherches portant sur les représentations des sciences chez les enseignants ont montré clairement la présence d’une posture réunissant à la fois les caractères du réalisme scientifique et de l’empirisme. Selon le réalisme, les sciences décrivent une réalité objective, ce qui sous-entend une séparation nette entre l’apprenant et l’objet à apprendre. L’enseignement correspondant peut donc être basé sur la transmission des connaissances43. Les connaissances sont contenues dans des documents ou dans la tête de l’enseignant et doivent être organisées dans un discours sous forme de messages. L’art d’enseigner réside dans l’habileté à fabriquer et à transmettre des messages dénués d’ambiguïté et, l’art d’apprendre, dans l’habileté du récepteur (l’élève) à extraire la signification du message capté par ses sens et à le mémoriser44 (Zbidi, 2010).

Par ailleurs, selon l’empirisme, le savoir étant issu seulement de preuves ou de confirmations par des observations objectives permettant de découvrir des lois et des théories par induction, la primauté est accordée à la méthode expérimentale fondée sur l’observation et les faits. La qualité du travail et de l’appareil méthodologique utilisé fait valoir le succès d’une connaissance.

43 Il s’agit du modèle pédagogique dit de transmission-réception. Il y a un émetteur (source de connaissance), un canal de transmission (paroles, textes) et un récepteur (apprenant).

44 Par exemple, lors d’une lecture, c’est la compréhension de l’élève qui prédomine. « Dans ce cas, les propositions du texte semblent valoir pour elles-mêmes et indépendamment de tout contexte de recherche » (Fabre et Orange, 1997, p. 42).

C’est ainsi que, par amalgame, une posture épistémologique empiricoréaliste comprend les caractéristiques à la fois du réalisme et de l’empirisme (tableau 4). L’enseignant de S&T doit ainsi montrer pour être crédible, puisque la prétention est d’expliquer ce que l’on peut toucher; il choisit de montrer pour se démarquer de l’abstraction des sciences exactes comme les mathématiques. « Ce sont l’observation et l’expérience qui piloteront son enseignement, comme cela a prévalu longtemps dans la leçon de choses et comme cela reste encore bien souvent le cas » (Orange, 2012, p. 17). Il conçoit que la crédibilité des sciences expérimentales passe par leur capacité à produire des résultats conformes aux attentes ou aux théories, caractéristique qui peut se traduire par une utilisation exagérée de la logique formelle en guise d’argument d’autorité (Bomchil et Darley, 1998).

2.2.2.2 La posture socioconstructiviste

Reposant, entre autres, sur des repères épistémologiques plus modernes, plusieurs enseignants peuvent adopter une posture épistémologique constructiviste45. Le paradigme constructiviste véhicule que l’objet des sciences n’est pas donné, mais résulte d’une construction intellectuelle. Le chercheur est un inventeur, plutôt qu’un découvreur, et les modèles et les lois sont des représentations mises au point par les humains et ne sont pas le reflet d’une réalité préorganisée ou d’une vérité absolue. Lors des expérimentations,

45 Ne pas confondre avec le paradigme épistémologique du même nom, quoique la posture de l’enseignant découle de l’adhésion à ce paradigme.

l’instrument d’échange n’est donc pas la perception, comme le postule l’empirisme, mais bien l’action en elle-même.

Contrairement à la posture empiricoréaliste où les stratégies d’enseignement ne semblent que découler causalement des caractéristiques intrinsèques du réalisme et de l’empirisme, un aspect solide et distinctif de la posture constructiviste lui confère toute sa robustesse; elle offre une cohérence entre une épistémologie contemporaine et des avancées récentes en psychologie cognitive46. De la même façon que les savoirs scientifiques s’élaborent par les chercheurs, les enseignements correspondants reconnaissent le rôle joué par l’apprenant, ce dernier construisant ses connaissances par l’interprétation. À l’échelle individuelle, cela se fait par l’interaction entre le sujet et l’objet. Pour leur part, les travaux en psychologie du développement ajoutent que l’apprentissage s’effectue aussi par une dimension sociale où l’interaction avec l’autre est déterminante47. Cette contribution est primordiale pour les tenants de la posture constructiviste à dimension sociale – ou socioconstructivisme.

46 Entre autres, l’ouvrage Biologie et connaissance: essai sur les relations entre les régulations organiques

et les processus cognitifs de Piaget (1967), concernant le fonctionnement du cerveau lors des processus

d’apprentissages, fournit une contribution majeure. Il montre que le développement cognitif se fait par des adaptations successives aux contraintes du milieu par l’action réciproque de ce qu’il appelle l’assimilation et l’accommodation. Par l’assimilation, les nouvelles connaissances sont reliées à celles qui existent déjà dans les structures cognitives. Par l’accommodation, les activités cognitives sont modifiées en transformant les schèmes d’action inopérants dans une nouvelle situation qui constitue une perturbation externe. 47 Un concept-clé développé par Lev S. Vygotski (1896-1934) est le conflit sociocognitif, issu de la confrontation à un problème entre plusieurs personnes. Il est formateur dans la mesure où il permet à l’élève de prendre conscience du point de vue d’autrui et de reformuler le sien. Après avoir pris du recul sur le problème, il va construire son esprit en jaugeant laquelle des solutions est la plus adéquate (Vygotski, 1980).

Une approche pédagogique et didactique moins dogmatique découle de manière cohérente de cette dernière posture :

La didactique, par les résultats de ses travaux, s’inscrit profondément en rupture avec les démarches d’enseignement et d’apprentissage des sciences fondées sur la mise en évidence des phénomènes et l’acquisition passive des connaissances par imprégnation naturelle (Robardet, 1998, p. 42)

Astolfi, Darot et Ginsburger-Vogel (1997) rappellent que dans le projet constructiviste, « le savoir ne peut être imposé, ni dogmatiquement, ni même par des pratiques de pseudo-dialogue pédagogiques » (p. 61). Pour être qualifié de scientifique, Darley (1996) ajoute que cet enseignement doit :

Amener ceux à qui il est destiné à distinguer ce qui relève du traitement scientifique d’un problème de ce qui est de l’ordre de l’affirmation, de l’opinion, du dogme, voire de la supercherie. C’est cette qualité qui va distinguer cet enseignement d’un enseignement dogmatique (p. 32)

L’enseignant peut mettre l’accent sur le processus plutôt que le produit. Puisqu’il est l’artisan de ses propres connaissances, l’élève doit obligatoirement être impliqué dans ses apprentissages. Il fabrique le savoir et est formé à résoudre des problèmes de la meilleure façon possible :

Les connaissances ne pourraient être envisagées par les élèves que si la tâche proposée par l’enseignant se mue en problème, au sens où il leur devient loisible d’utiliser leur compréhension spontanée, de mettre en forme leurs attentes et d’esquisser une ébauche d’explication qui guidera leur explication ultérieure (Zbidi, 2010, p. 43)

Le problème peut être un moyen de fragiliser une conception ou de la transformer. Il est, dans d’autres cas, l’occasion pour l’élève de se former à une démarche scientifique. Des discussions peuvent prendre place entre les élèves, provoquant un conflit sociocognitif, moteur de l’apprentissage.

En somme, l’idée que l’enseignant se fait des sciences et des activités des chercheurs, mais aussi des processus cognitifs impliqués dans l’apprentissage, influent sur l’approche pédagogique privilégiée. Abordons maintenant plus précisément l’impact de cette posture épistémologique sur les activités expérimentales scolaires.