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2.1 Les pratiques en sciences expérimentales à transposer en classe

2.1.5 Les chercheurs sociaux et intéressés

Le chercheur est fréquemment imaginé coupé de son milieu, séparé du reste du monde et cherchant par ses propres ressources à solutionner des énigmes ou mettre à jour des phénomènes (Latour, 1989). « L’image du savant isolé dans son cabinet de travail ou dans son laboratoire et affrontant seul des faits déjà connus qui ont jusque-là résisté à toute explication convenable hante encore notre imaginaire » (Nadeau et Désautels, 1984, p. 42). Selon cette vision, l’esprit scientifique est mû par la soif de connaitre et l’appétit pour la vérité, motivé par l’idéal associé au développement de la connaissance. La subjectivité dans l’activité scientifique est réduite au minimum et cette dernière ne comprend aucun élément personnel du chercheur, que ce soit ses intérêts ou ses aspirations professionnelles. Le contexte n’entre pas en ligne de compte, pas plus que les éléments d’ordre socioculturels. La communauté scientifique peut se définir comme un groupe capable de manier un certain type de savoirs, et elle peut n’apparaitre que comme un élément externe aux sciences et à ses résultats. Ce mythe de l’esprit scientifique désincarné est persistant et est évidemment peu représentatif des scientifiques37.

Au contraire, la profession de recherche scientifique est plutôt caractérisée par une forte socialité. Loin d’être isolés, les scientifiques ont d’abord inévitablement besoin les uns des autres. Un laboratoire est performant en grande partie parce que son personnel est

37 Nadeau et Désautels affirment que « croire que le jeu de rôles particulier qui définit socialement la pratique de la science interdit d’avoir des passions, neutralise les éventuels intérêts individuels de tout un chacun et n’est axé que sur la seule volonté de savoir, c’est tomber dans l’idéalisme aveugle » (1984, p. 46).

bien organisé et parce que dans les unités de recherche, la communication, le dialogue et la critique circulent bien (Fourez, 1998). « La méthode de production des sciences passe donc par les processus sociaux permettant la constitution d’équipes stables et efficaces » (Fourez, 1998, p. 96). Que les chercheurs bénéficient du travail fait par d’autres avant eux ainsi que de celui de leurs collègues ou de leurs rivaux, qu’ils l’approuvent ou qu’ils tentent de l’invalider, la production des savoirs scientifiques est une affaire collective qui ne s’accomplit pas en vase clos38,39.

Ensuite, les chercheurs sont des individus intéressés, guidés par leurs buts personnels. L’objectivité requise en sciences n’est pas une attitude face à la nature exigeant de se débarrasser de ses préjugés et de ses motivations. C’est plutôt une attitude d’ouverture à l’égard des arguments explicatifs des autres et de la discussion. Ainsi, « l’intérêt ne fait pas obstacle à la connaissance scientifique objective, il lui donne plutôt son impulsion » (Nadeau et Désautels, 1984, p. 44). De ce fait, la production des savoirs se déroule dans un monde de négociations et de controverses traversé d’une diversité d’enjeux. Il s’y produit des conflits. Une négociation des savoirs peut être constituée, par

38 Le caractère social et interdisciplinaire des sciences a été bien illustré par Bernard : « Il arrive le plus souvent que, dans l’évolution de la science, les diverses parties du raisonnement expérimental sont le partage de plusieurs hommes. Ainsi il en est qui, soit en médecine, soit en histoire naturelle, n’ont fait que recueillir et rassembler des observations; d’autres ont pu émettre des hypothèses plus ou moins ingénieuses et plus ou moins probables fondées sur ces observations; puis d’autres sont venus réaliser expérimentalement les conditions propres à faire naître l’expérience qui devait contrôler ces hypothèses; enfin il en est d’autres qui se sont appliqués plus particulièrement à généraliser et à systématiser les résultats obtenus par les divers observateurs et expérimentateurs » (Bernard, 1865, p. 45).

39 Selon Fourez (1998), la démarche scientifique ne devrait même pas être analysée indépendamment de la communauté scientifique, quoiqu’elle le soit la plupart du temps.

exemple, par la publication ou non des fruits d’une recherche. Le simple fait de vouloir communiquer à l’aide de publications scientifiques nécessite que l’auteur se soit conformé aux règles du journal ou de l’éditeur pour qu’il soit reçu comme article scientifique valable. Les recherches doivent avoir été rédigées et exposées selon un modèle défini et la validité est évaluée par les pairs. Puisqu’il existe au sein de la communauté scientifique différents schèmes de pensées qui guident les chercheurs vers une voie de recherche plutôt qu’une autre, le scientifique doit habituellement se conformer aux balises placées par la communauté s’il veut pouvoir continuer, ne serait-ce que par la terminologie qu’il doit employer.

Enfin, par les intérêts de chacun, la communauté scientifique s’amalgame à une société de développements technologiques propulsée par les incitatifs économiques (brevets, contrats, crédits, etc.). Ce sont les participants d’un univers culturel et linguistique dans lequel ils insèrent leurs projets individuels et collectifs (Latour, 1989).

Par le caractère éminemment social des sciences, le paradigme épistémologique constructiviste peut évoluer. On parlera ainsi du socioconstructivisme, un terme bien connu des épistémologues des sciences40.

40 Ce n’est pas le paradigme, une matrice d’interprétation, qui va dicter la façon de faire de la recherche. Le paradigme, c’est une clé de lecture nantie par des penseurs qui évaluent les sphères de l’activité scientifique.

2.2 Le rapport entre la posture épistémologique de l’enseignant et son choix