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2.3 Un enseignement scientifique fondé sur l’investigation

2.3.2 Une approche authentique

Si l’on désire que l’élève agisse à la manière d’un chercheur, il faut le mettre en situation de recherche véritable. Une approche en ce sens est fréquemment nommée les enseignements scientifiques fondés sur les démarches d’investigation50. Elle fait contraste avec la pédagogie de la redécouverte où la situation des « chercheurs » est tout à fait artificielle (Gohau, 1987). L’adaptation réussie de la pratique des chercheurs par une

50 De anglais Inquiry-Based Science Teaching; IBST. En France, on parle plutôt de problèmes ouverts, de narration de recherche ou de situations complexes. Pour la suite de ce texte, l’acronyme ESFI (enseignements scientifiques fondés sur les démarches d’investigation) inclura ces terminologies, comme le suggère Grangeat (2013).

démarche d’investigation vécue en classe place les outils et les techniques dans les mains des élèves dans un contexte qui reflète la socialité de la pratique scientifique. Cette démarche est à la fois objet et moyen d’enseignement.

Si l’on vise que l’élève découvre (ou invente) vraiment et apporte un résultat inédit, il est évidemment impossible de lui faire effectuer une expérience préformatée. Puisque les sciences constituent une recherche de questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponses, et que les techniques et les résultats des recherches sont sujets à de constantes remises en question, Edelson (1998) souligne qu’une attitude scientifique à reproduire impérativement lors de la transposition didactique est l’esprit d’incertitude. L’ESFI est une approche pédagogique et didactique qui s’oppose à la pédagogie de la bonne réponse et propose à l’élève une démarche proche de celle des chercheurs en permettant une entrée se heurtant directement à la complexité et opérant par approximations successives :

Cette approche tolère explicitement des zones d’ombre ou de flou et des éclairages ponctuels, elle procède par tri et « structuration » de connaissances qui ont au départ des statuts très diversifiés et non questionnés (Larcher et Peterfalvi, 2006, p. 828)

Pour une appropriation individuelle, l’activité cognitive est incontournable et est davantage sollicitée explicitement que les méthodes traditionnelles (Larcher et Peterfalvi, 2006). C’est compte tenu de ce que l’élève sait déjà, mais aussi d’idées préalables qui font obstacle, qu’un problème peut exister, avec sa résolution possible par les élèves :

Mener une recherche, c’est tenter de répondre à des questions incluses dans une problématique. Ce n’est pas uniquement trouver des informations, c’est aussi les traiter, c’est-à-dire les mettre en relation avec le problème qui nous concerne et les utiliser pour élaborer une réponse aux questions que l’on se pose (De Vecchi et Carmona-Magnaldi, 2002, p. 32)

Tout comme les chercheurs, les élèves construisent aussi de la connaissance et de la compréhension au cours de la pose et de l’étude des questions de recherche. Lors d’un projet de recherche, avant d’entreprendre toute enquête, ils doivent acquérir suffisamment de connaissances pour poser des questions bien encadrées. L’exploration d’un objet ou d’un phénomène et la familiarisation avec des faits ou des gestes sont cruciales et souvent un préalable, car elles permettent ultérieurement la construction de l’espace du problème, et donc l’initiation de l’investigation (Larcher et Peterfalvi, 2006, p. 831). Vient ensuite une expérimentation de type hypothéticodéductive organisée par des hypothèses. Typiquement, au cours de la réalisation de l’investigation, les élèves doivent maîtriser les outils et les techniques qui leur permettent de générer et d’analyser des données significatives. Le résultat de ces activités d’apprentissage est une connaissance des élèves fermement située dans un contexte qui renforce à la fois l’applicabilité et la valeur de cette connaissance.

L’ESFI se démarque aussi d’une pédagogie magistrale, qui laisse peu de place au travail collectif. Nous avons constaté que les sciences ne sont pas que des recherches individuelles. Cela inclut le partage de résultats, de soucis et de questions à la communauté de chercheurs. Ces interactions sont un mélange de coopération et de concurrence, d’accord et d’argumentation, à la manière de toute activité sociale humaine. Mais les programmes actuels le permettent-ils?

On voit mal alors comment un savoir scolaire qui ne serait pas l’objet de discussions au sein de la classe et de confrontations aux connaissances empiriques des élèves, même si elles ne sont pas proprement expérimentales, pourrait prétendre à un véritable statut scientifique (Fabre et Orange, 1997, p. 41)

Pour pouvoir travailler ensemble, les élèves doivent développer un vocabulaire et un cadre pour leur compréhension qui leur permet de communiquer clairement au sujet des connaissances qu’ils développent.

Par ailleurs, puisque les sciences efficaces sont toujours caractérisées non pas seulement par une action, mais par une forte implication des personnes (Edelson, 1998), de la même façon qu’un chercheur poursuit des buts personnels importants, l’élève doit être engagé au maximum dans la résolution du problème. Ainsi, l’adaptation des pratiques scientifiques devrait forcément encourager ces attitudes pour prétendre à l’authenticité51. En somme, les élèves devraient avoir l’occasion de travailler conjointement sur des questions qui représentent une réelle incertitude dans leur monde. De plus, pour qu’ils se sentent engagés, le problème complexe devrait être ramifié de façon signifiante dans leurs systèmes de valeurs. Cela est absolument possible par un ESFI.

Comparativement à des approches plus traditionnelles, la cohérence entre l’objet et le moyen d’enseignement résulte en l’amélioration des connaissances relatives à la nature épistémologique des sciences chez les élèves (Coquidé et al., 1999). De plus, ces derniers obtiennent de meilleurs résultats, ou au moins égaux, aux tests de connaissances conceptuelles, procédurales et de capacité de raisonnement (Blanchard et al., 2010; Colburn, 2000; Hofstein et Lunetta, 2004; Minner, Levy, et Century, 2010; Wu et Hsieh,

51 D’ailleurs, une vague de recherches basées sur 1'apprentissage par investigation tente actuellement de réformer les expériences fermées de type recette ou Cookbook Labs afin de permettre une plus grande implication des élèves (Langlois, 2008).

2006), et ils ont une meilleure rétention à long terme de ces connaissances (Blanchard et al., 2010). Ils ont une attitude plus positive envers les sciences et cela augmente l’intérêt en classe (Hasni et Potvin, 2015) et pour les carrières scientifiques (Gibson et Chase, 2002; Lin, Hong, et Cheng, 2009).

En somme, l’ESFI est une approche résolument socioconstructiviste. Elle permet aux élèves d’enquêter sur des questions ouvertes pour lesquelles ils sont véritablement concernés, en utilisant des démarches analogues à celles des scientifiques, dont l’expérimentale52. Les questionnements de l’enseignant sont la clé de cette approche pédagogique assez large.