• Aucun résultat trouvé

Le rôle spécifique du droit de la concurrence

et l’adoption du « paquet législatif Énergie/Climat »

III. Les trois objectifs de la politique énergétique européenne : inventaire et questions en suspens

3.1. Accès à l’énergie à un prix abordable

3.1.2. Le rôle spécifique du droit de la concurrence

En s’assurant que les ressources sont distribuées selon la loi de l’offre et la demande, le processus concurrentiel contribue à la réalisation de l’objectif de l’accès à l’énergie à un prix abordable. La Commission a utilisé les règles de la concurrence de trois manières différentes en vue de favoriser une concurrence efficace sur les marchés de l’énergie.

Premièrement, elle a fait preuve de créativité en développant de nouvelles théories

de préjudices dans des affaires de contrôle des opérations de concentration.

Les transactions frontalières réalisées par et entre grands acteurs nationaux ont très souvent déclenché la compétence exclusive de l’Union dans ce domaine. La volonté de la Commission d’améliorer les structures du marché a souvent porté au-delà du préjudice concurrentiel évalué dans une transaction donnée.

Par exemple, dans l’affaire EDF/ENBW65, la Commission a considéré que l’acqui-

sition par EDF du contrôle commun sur ENBW a conduit à l’élimination d’ENBW en tant que concurrent potentiel qui aurait pu mettre à mal la position dominante d’EDF sur le marché français. Afin d’éviter une décision d’interdiction, EDF a accepté de vendre une partie de sa capacité française sous régime de l’enchère (les centrales virtuelles). De même, E.ON était également prêt à offrir des enga- gements ambitieux quand il a acquis les installations de gros et de stockage de

MOL en Hongrie.66 Ces engagements ont conduit à l’élimination de tous les liens

64. En fait, le troisième paquet de mesures relatives au marché intérieur de l’énergie introduira un cadre commun de lignes directrices et des codes de réseau qui - sur proposition de la Commission européenne - pourra passer par la procédure de comitologie qui rendrait chaque code réseau contraignant.

65. Affaire COMP/M.1853 — EDF/EnBW. 66. Affaire COMP/M.3696 — E.ON/MOL.

transport. E.ON a également proposé de vendre des quantités importantes de gaz aux nouveaux venus, améliorant de ce fait la fluidité sur les marchés hongrois de vente de gaz en gros.

La Commission a utilisé cette approche pragmatique et novatrice dans plusieurs affaires (DONG67, Hidrocantàbrico)68, parfois en agissant de concert avec les autorités

nationales de la concurrence (Veba/VIag)69. Cependant, lorsqu’aucun engage-

ment n’était envisageable, la Commission n’a pas hésité à interdire la création de

nouveaux géants de l’énergie (EDF/GDF/ENI)70. Par ailleurs, les fusions strictement

nationales, sans la moindre dimension communautaire (c’est-à-dire lorsque la majeure partie du chiffre d’affaires des parties participant à la fusion est réalisée dans un seul et même État membre) ne tombent pas sous la compétence de la Commission. Ces concentrations purement nationales peuvent donc conduire à la constitution de champions nationaux que la Commission est contrainte de tolérer

(E.ON/Ruhrgas, Gas Natural/Endesa, etc.).71

Deuxièmement, la Commission, en appliquant la règlementation anti-trust, comptait

également demander divers engagements dans des affaires d’abus de position

dominante comme moyen d’orienter les marchés, conformément à l’article 9 du

règlement 1/200372. Par exemple, menacé de lourdes amendes pour comporte-

ment abusif sur le marché allemand de vente en gros d’électricité, E.ON a accepté de céder son réseau électrique à haute tension, ainsi qu’un portefeuille important et varié de capacité de production. De même, Distrigaz a présenté un arrangement complexe de mesures pour garantir la liquidité du marché en Belgique. Avec cet arrangement, Distrigaz garantissait qu’au moins 70 % de ses clients seraient soumis à la libre concurrence pour des nouveaux venus chaque année. Une fois encore, les conséquences, pour les entreprises qui choisissent de ne pas entrer

67. Affaire COMP/M.3868-DONG/Elsam/Energi E2.

68. Affaire COMP/M.2684 – EnBW / EDP / CAJASTUR / HIDROCANTÁBRICO. 69. Affaire COMP/M.1383 – Exxon/Mobil et Affaire COMP/M.1673 – VEBA/VIAG.

70. Affaire COMP/39 315 – ENI ; COMP/39 316 – Verrouillage présumé du marché par GDF ; COMP/39 386 – Utilisation

de contrats de fourniture à long terme avec de gros acheteurs industriels d’électricité en France ;

COMP/39 387 – Utilisation de contrats de fourniture à long terme avec de gros acheteurs industriels d’électricité

en Belgique ; COMP/39 401 Collusion E.On/GDF ; COMP/39 442 – Marché de gros français de l’électricité ; et

COMP/39 351 – Svenska Kraftnät.

71. Concentrations : la Commission interdit l’acquisition de GDF par EDF et ENI à propos de E.ON-Ruhrgas en Allemagne ;

Endesa-Gas Natural en Espagne et GDF-Suez, IP/04/1455 du 9 décembre 2004.

72. Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité.

dans le jeu de la Commission, peuvent se payer très cher, comme en témoignent les expériences vécues par GDF et E.ON pour leurs pratiques relatives au partage des marchés conclu dans le cadre de l’exploitation commune d’un gazoduc.

Troisièmement, la Commission a étendu l’application des règles du Traité relatives

aux aides d’État. Elle est notamment intervenue à deux reprises, en Pologne et en Hongrie, contre des contrats d’achat d’électricité à long terme conclus entre des producteurs en place et des entreprises publiques de distribution, en raison du fait que les conditions des contrats d’achat revenaient à transférer des aides d’État

aux producteurs.73

Mais cette approche concurrentielle proactive de la Commission dans le secteur de l’énergie, par laquelle elle utilise la gamme complète des outils à sa disposition, a ses limites. Les règles de la concurrence ne s’appliquent que si elles sont déclenchées par des événements spécifiques : pratiques restrictives pour les articles 81 et 82 du

Traité CE, concentrations conformes au règlement 139/200474

et aides d’État pour l’application des articles 87 et 88 du Traité CE. Les règles de la concurrence ne s’appliquent qu’ad hoc, et les solutions ad hoc ne sont pas un remède universel aux défaillances structurelles du marché.