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DISCUSSION GÉNÉRALE

4. Le réseau neuronal complet du rappel épisodique correct

4.1. Le rappel épisodique correct, lors de la perception de l’odeur

Dès les premiers instants suivant la perception des odeurs, le réseau neuronal recruté diffère radicalement suivant la véracité et la richesse du souvenir rappelé. Seul l’HC postérieur est impliqué dans la reconnaissance des odeurs, quelle que soit la véracité du souvenir épisodique. A l’inverse, un large réseau neuronal est spécifiquement activé lors du rappel correct et complet de l’épisode associé à l’odeur. Ce résultat traduit la complexité des processus mentaux menant au rappel épisodique correct. L’activation d’une grande partie du LTM, des régions olfactives, ainsi que des régions appartenant au réseau des mémoires

autobiographique et sémantique, signe l’exactitude du rappel épisodique ultérieur. De plus, de nombreuses interactions cérébrales spécifiques sont nécessaires au cours du rappel épisodique correct (Figure 32A). La représentation sous forme de graphe du réseau du rappel épisodique correct met en évidence l’importance de certaines régions. Le gyrus frontal inférieur gauche (IFGtr.L), le cortex cingulaire antérieur droit (pACC.R), la substance noire (Snigra.R) et diverses régions du gyrus frontal supérieur (SFG) jouent un rôle clef dans la communication au sein du réseau. Pour étudier le rôle précis du LTM et des régions olfactives, ainsi que l’existence d’interactions entre ces régions, nous nous focalisons sur les interactions les concernant au sein du réseau du rappel épisodique correct (Figure 32C). Seul le gyrus frontal inférieur ne communique pas avec les régions olfactives et mnésiques du LTM, pourtant primordiales dans ce processus mnésique. Les régions olfactives et mnésiques interagissent avec des régions néocorticales différentes et semblent donc posséder un rôle spécifique. De plus, aucune communication directe entre ces régions n’est nécessaire lors du rappel épisodique correct, la majorité des interactions se faisant au sein du néocortex, hors du LTM.

Ces résultats révèlent l’implication, bien que modérée, du LTM dans le rappel à long-terme des souvenirs épisodiques, ainsi que le rôle essentiel des interactions néocorticales. Ces résultats pourraient concorder avec la théorie de la trace multiple qui défend le rôle de l’HC pour ré-évoquer des souvenirs vivaces lointains, tout en pointant l’importance des régions néocorticales (Nadel & Moscovitch, 1997, 1998; Nadel et al., 2000). Certaines régions néocorticales dont le cortex préfrontal, le cortex cingulaire antérieur et les cortex pariétal et retrosplénial, sont connues pour prendre le relais de l’HC lors du rappel de souvenirs lointains (Maviel et al., 2004; Bonnici et al., 2012b). Ces dernières sont justement mises en évidence dans notre étude comme jouant un rôle central lors du rappel de souvenirs épisodiques corrects. La prépondérance des régions préfrontales peut également s’expliquer par leur implication au cours de la consolidation dans l’inhibition croissante de l’HC (Frankland & Bontempi, 2005). Cependant, selon la théorie standard de la consolidation, on peut aussi imaginer que ces souvenirs ne soient pas encore complètement consolidés après quelques jours, et de ce fait dépendent encore de l’HC (Marr, 1971; Squire et al., 1984).

Nos résultats soutiennent le rôle du CP dans le rappel d’associations cross-modales (Gottfried et al., 2004) et suggèrent également l’importance de ses interactions avec les régions temporales associatives (MTG/ITG), postérieures visuelles (Ang/pSTG) et frontales. Une partie du souvenir épisodique, encodée et stockée dans les cortex sensoriels olfactifs, est réactivée lors de la perception de l’odeur connue et déclenche la réactivation des informations qui lui sont associées.

Figure 32. Mécanismes cérébraux sous tendant la mémoire épisodique correcte. Représentation de l’ensemble des interactions cérébrales ayant lieu A) du rappel épisodique indicé par la perception de l’odeur à B) la ré-expérience du souvenir. Représentation restreinte aux interactions concernant le LTM et les régions olfactives C) du rappel épisodique indicé par la perception de l’odeur à D) la ré-expérience du souvenir. Les liens correspondent à des interactions spécifiques du rappel épisodique correct, retrouvées chez plus de 50% des participants. La taille des points est proportionnelle au nombre de liens que cette région possède et reflète l’importance des régions au sein du réseau. Les régions du LTM sont représentées en bleu et les régions sensorielles olfactives sont représentées en jaune.

4.2. La ré-expérience des souvenirs épisodiques corrects

L’élaboration du souvenir épisodique consiste à réactiver la représentation mentale de l’épisode, à le restaurer et à le revivre. Cette reviviscence est également l’occasion de modifier le souvenir épisodique. En effet, la réactivation rend le souvenir épisodique de nouveau labile, dans un état non stabilisé, dans lequel il peut être modifié (Nader et al., 2000; Nader & Hardt, 2009). Il est très probable que, lors de la réactivation, de nouvelles informations portant sur le contexte au sens large (e.g., état émotionnel, cadre environnemental du scanner) soient intégrées au souvenir épisodique (St. Jacques et al., 2013; St Jacques & Schacter, 2013). La réactivation recrute alors le LTM permettant d’encoder et d’intégrer ces nouvelles informations et de les lier pour ne former qu’une représentation

mnésique unique (Squire & Zola-Morgan, 1991; Squire, 1992b). Ce processus mental implique également les régions du « réseau par défaut » (Default Mode Network, en anglais), crucial pour le rappel de souvenirs autobiographiques et la création de scènes mentales (Andrews-Hanna et al., 2014; Philippi et al., 2014).

Des processus d’imagerie mentale olfactive sous-tendus par le CP accompagnent la ré-expériencecorrecte des souvenirs épisodiques (Plailly et al., 2012; Arshamian et al., 2013). Cette ré-expérience mentale de l’épisode se caractérise également par l’activation de régions du cortex cingulaire médian et postérieur, ainsi que du cortex rétrosplénial. Ces structures sont impliquées dans la recollection d’information contextuelles, l’élaboration de scène visuelle et l’imagination (Johnson et al., 2009; Vann et al., 2009). Globalement, la ré-expérience du souvenir met en jeu des processus d’imageries mentales olfactive et visuelle développés qui témoignent de la vivacité et du détail des souvenirs réels ré-évoqués mentalement par les participants.

Cette élaboration mentale correcte est permise par de nombreuses interactions spécifiques, au sein desquelles le precuneus couplé au cortex cingulaire postérieur (PCUN/dPCC.L), les régions temporales médiane-inférieure (MTG/ITG.R) et supérieure (aSTG), ainsi que les régions frontales inférieure (IGFtr.L) et frontopolaire médiane (MFPG.L), occupent des rôles centraux (Figure 32B). Ces régions sont connues pour être impliquées dans les processus de recollection, d’intégration sensorielle multimodale et de mémoire sémantique (Woodruff et al., 2005; Binder & Desai, 2011). Toutes ces structures interagissent directement avec une ou plusieurs régions olfactives et mnésiques du LTM (Figure 32D). A l’inverse du rappel épisodique, lors de la ré-expérience, les régions mnésiques communiquent entre elles et il en va de même pour les régions sensorielles. Bien que n’interagissant pas directement ensemble, les régions mnésiques et sensorielles se projettent parfois sur les mêmes régions néocorticales (e.g., MTG/ITG.R, PCUN/dPCC.L). En revanche, on observe toujours une vaste communication néocorticale, indépendante du LTM, qui pourrait témoigner de la progression du processus de consolidation du souvenir (Frankland & Bontempi, 2005). La réactivation induit le remodelage et le renforcement progressif des réseaux neuronaux néocorticaux sous-tendant la représentation cérébrale des souvenirs épisodiques (Frankland & Bontempi, 2005).

4.3. Conclusions

La plupart des régions corticales, recrutées lors du rappel épisodique et de la ré-expérience des souvenirs corrects, sont présentes dans le réseau central de la mémoire épisodique. Leurs implications à elles seules ne reflètent cependant pas l’exactitude des souvenirs rappelés ; ce sont les interactions entre ces structures qui signent l’exactitude du souvenir. On peut imaginer que c’est la communication entre ces différentes régions, et donc le transfert d’informations au sein de ce réseau, qui est essentiel au rappel épisodique correct. Ces processus cognitifs (e.g., recherche, imagerie mentale visuelle) seraient tous interdépendants et complémentaires au rappel épisodique correct. Cette idée est confortée par la littérature qui montre qu’une activité synchronisée des régions au sein d’un réseau (i.e., mise en évidence dans cette étude par leurs interactions) améliore la communication neuronale et ainsi facilite la coordination des régions (Fell & Axmacher, 2011). D’autre part,

plus les régions cérébrales interagissent, plus les performances de mémoire sont élevées (Watrous et al., 2013; Meunier et al., 2014; King et al., 2015).

Plus que la quantité globale d’interactions au sein du cerveau, notre étude souligne également l’importance d’interactions spécifiques, dont certaines attestent de l’exactitude de la mémoire épisodique. Au cours du rappel épisodique, les régions olfactives et mnésiques n’interagissent pas ensemble. Les régions du LTM ne sont donc pas réactivées directement par les régions olfactives. Lors de la perception des odeurs, elles interagissent principalement avec les régions pariétales postérieures (e.g., rétrosplénial cortex, sulcus intra-pariétal, gyrus précentral), responsables de l’expérience de recollection, de la mémoire de reconnaissance des odeurs, et de l’intégration olfacto-visuelle (Savic et al., 2000; Gottfried & Dolan, 2003; Royet et al., 2011; Meunier et al., 2014). Ces interactions semblent essentielles à la récupération des souvenirs épisodiques olfacto-visuo-spatiaux. Au sein du LTM, nos résultats semblent en accord avec l’idée que le CPH code l’environnement visuel et spatial, tandis que l’HC sous-tend la combinaison des différentes dimensions du souvenir épisodique (Eichenbaum et al., 2007; Ranganath, 2010). Lors de la ré-expérience du souvenir, l’HC et le CPH interagissent ensemble, ainsi qu’avec le cortex cingulaire antérieur, médian et postérieur. Ces interactions pourraient révéler l’encodage de nouvelles informations, propres au contexte de rappel, qui seraient ainsi liées à la trace préexistante du souvenir épisodique, grâce à l’HC. L’environnement visuo-spatial et l’état émotionnel et personnel des participants seraient associés au souvenir grâce au recrutement du CPH et du cortex cingulaire antérieur et postérieur (Summerfield et al., 2009; Ranganath, 2010; Torta & Cauda, 2011; Aminoff et al., 2013; Poppenk et al., 2013). De nouvelles informations sémantiques et conceptuelles associées à l’odeur pourraient également être intégrées au souvenir via les interactions entre le gyrus temporal inférieur et médian (MTG/ITG), les régions olfactives et le CPH postérieur (Binder & Desai, 2011).

5. Modèle des mécanismes cérébraux du rappel épisodique correct indicé