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DISCUSSION GÉNÉRALE

2. L’adaptation de l’approche comportementale au fil des études

L’adaptation de la tâche comportementale aux besoins et contraintes intrinsèques de chaque étude permet d’étudier a posteriori l’influence d’autres facteurs sur la mémoire épisodique (Figure 30A). Trois facteurs principaux distinguent les 5 études présentées dans ce manuscrit : la répétition des odeurs lors de la phase de rappel (i.e., présentation unique ou répétée 5 à 6 fois), la virtualisation du protocole, associée à une dématérialisation des odeurs (i.e., utilisation de l’olfactomètre et symbolisation des emplacements des odeurs à l’écran), et le contexte du rappel, semblable ou non à celui de l’encodage (i.e., au laboratoire ou dans le scanner IRM). Chaque étude diffère sur un ou plusieurs de ces aspects, les études 1 et 5 étant les plus éloignées. Sur l’ensemble de ces études, 116 participants ont été recrutés (âge : 21.94 ± 3.70, l’ensemble des participants de l’étude 5 sont inclus). Pour étudier l’impact de ces facteurs sur les performances comportementales, nous étudions deux variables

comportementales : le score de mémoire (d’L) traduisant les performances de reconnaissance

des odeurs, et le ratio épisodique (RE) correspondant à la capacité des participants à rappeler

correctement les épisodes (WWW) au sein des odeurs qu’ils ont correctement reconnues (Hit) (Figure 30B, C). Dans cette méta-analyse, pour pouvoir inclure les études 1 & 2 dans

lesquelles les emplacements sont regroupés par 3 sur la planche expérimentale, le choix de l’emplacement est considéré comme correct quand il fait partie de l’un des 3 emplacements du contexte, associés à une odeur pendant l’encodage. Ces deux scores sont choisis car ils ne dépendent pas du nombre de présentation des odeurs lors du rappel et permettent de distinguer les performances de reconnaissance des odeurs, des performances de rappel épisodique ultérieures.

La méta-analyse met en évidence que les performances de reconnaissance et de rappel

épisodique sont distinctes d’une étude à l’autre [Reconnaissance : F(4, 111) = 6.73, p = 7.10-5 ;

Rappel Episodique : F(4, 111) = 17.85, p = 2.10-11, ANOVAs à mesures répétées] (Figure 30B,

C). Ces résultats démontrent que malgré les bonnes performances des participants dans l’ensemble des études, les différences méthodologiques, propres à chaque étude, impactent les performances mnésiques des participants (Figure 30A). Les effets de ces facteurs sont analysés grâce à des ANOVAs à mesures répétées et sont détaillés séparément ci-dessous.

Figure 30. Bilan comportemental. A) Présentation des facteurs spécifiques à chaque expérience. Les facteurs indiqués dans chaque case correspondent aux facteurs présents dans l’étude indiquée en début de ligne et absent dans l’étude avec laquelle elle est comparée en colonne. B) Score moyen de reconnaissance des odeurs (d’L) et C) Ratio épisodique moyen (RE) dans les 5 expériences présentées dans ce manuscrit. Ø, absence ; les barres verticales représentent les déviations standards (SD) ; * p < 0.05; ** p < 0.01; *** p < 0.001 ; Quand une condition est différente de toutes les autres, les statistiques sont placées au-dessus de la condition.

2.1. Effet des répétitions des odeurs

La répétition des odeurs dans les expériences 2, 3 et 5 génère des performances de

reconnaissance [F(1, 114) = 9.95, p = 0.002] et de rappel épisodique [F(1, 114) = 12.14, p = 7.10-4]

plus faibles que lorsque les odeurs ne sont présentées qu’une seule fois. Ces résultats sont en accord avec la littérature qui prédit que la présentation répétée des items augmente leur familiarité et de ce fait les fausses reconnaissances (Jehl et al., 1995; Castel & Craik, 2003).

La familiarité des odeurs, de plus en plus grande au cours du rappel, peut favoriser les fausses

reconnaissances et de ce fait participer à la diminution du score de reconnaissance (d’L).

D’autre part, la présentation répétée des odeurs anciennes induit la réactivation des souvenirs qui leur sont associés (Nader et al., 2000). Les souvenirs réactivés sont alors de nouveau dans un état labile dans lequel ils peuvent être modifiés et mis à jour, on parle de

reconsolidation (Hupbach et al., 2007). La réactivation incorrecte d’un souvenir peut induire

l’intégration de nouvelles informations erronées en mémoire qui deviennent alors associées au souvenir. Ces informations seront ensuite rappelées lors des réactivations futures, et peuvent de ce fait diminuer les performances de rappel épisodique. Cependant, du fait de la réactivation très rapprochée des souvenirs, on peut se demander si le temps séparant deux réactivations au cours du rappel est suffisant pour permettre au souvenir d’être de nouveau stabilisé. Le délai entre deux réactivations est ici de l’ordre de la dizaine de minutes, alors que des expériences chez l’animal montrent que le délai de stabilisation d’un souvenir après réactivation avoisine l’heure (Przybyslawski & Sara, 1997). Chez l’Homme, la reconsolidation a également été mise en évidence (Forcato et al., 2007; Hupbach et al., 2007), mais le temps nécessaire à la reconsolidation, encore peu étudié, serait supérieur à l’heure (Kroes et al., 2013). Pendant le rappel, bien que les souvenirs n’aient donc probablement pas eu le temps d’être totalement reconsolidés, la reconsolidation en cours des épisodes ainsi que l’encodage et l’intégration de nouvelles informations à ces souvenirs pourraient troubler le rappel. La labilité des souvenirs favoriserait le rappel d’informations erronées.

2.2. La virtualisation de l’approche

Dans les deux premières études, non virtualisées, les odeurs sont présentées dans des flacons positionnés sur la planche expérimentale, que les participants ouvrent librement. Dans les études virtualisées, les odeurs sont présentées via l’olfactomètre et leurs emplacements sont symbolisés par des cercles surimposés sur le contexte visuel projeté à l’écran. Les participants déclenchent l’envoi des odeurs en cliquant librement à l’aide d’un trackball sur ces cercles. Les odeurs arrivent ensuite au nez des participants via des canules nasales. Les études non virtualisées sont caractérisées par de meilleures performances de reconnaissance [F(1, 114) = 10.38, p = 0.002] et des performances de rappel épisodique équivalentes [F(1, 114) = 2.22, p = 0.14] par rapport aux expériences virtualisées. On ne peut pas parler ici d’expérience de réalité virtuelle, mais plutôt d’une dématérialisation des odeurs, qui sont d’abord associées à un flacon localisé à un endroit précis d’une planche, puis à un cercle projeté à l’écran. Cette dématérialisation se traduit par une diminution de l’investissement des participants au cours de l’exploration des épisodes. Dans les deux premières études, l’exploration des épisodes est active et motrice, alors qu’elle est plus passive et nécessite moins d’interactions avec l’environnement lorsqu’elle se fait avec le trackball. En réalité virtuelle, l’exploration active d’un environnement a été montrée comme un facteur améliorant les performances de mémoire (Plancher et al., 2013; Sauzéon et al., 2011). Cette diminution de l’implication des participants dans la phase d’encodage peut donc expliquer les performances de reconnaissance plus basses. De plus, dans les expériences non virtualisées, la perception des odeurs est associée à la perception tactile et visuelle du flacon dans la main. L’encodage est donc multi-sensoriel, ce qui est connu pour favoriser l’apprentissage (Shams & Seitz, 2008).

A l’inverse, la virtualisation n’affecte pas les performances de mémoire épisodique. Il est possible que la présentation des emplacements à l’écran rende plus saillantes les associations odeurs – emplacements – images. Cette perception simultanée des trois dimensions de l’épisode serait plus facilement intégrée et pourrait être plus saillante pour les participants car plus proche d’une situation réelle. Le caractère écologique des épisodes peut améliorer les performances mnésiques (Neisser, 1982; Winograd, 1988; Neisser & Winograd, 1995). Dans les expériences virtualisées, l’exploration plus passive des participants et l’absence de perception mutli-sensorielle de l’odeur diminueraient les performances de reconnaissance ; mais la présentation simultanée et plus écologique des épisodes permettrait le maintien des performances de mémoire épisodique.

2.3. Le contexte de rappel

La passation du test de rappel dans un environnement différent de celui de l’encodage

diminue les performances de reconnaissance [F(1, 114) = 13.82, p = 3. 10-4] et de rappel

épisodique [F(1, 114) = 19.42, p = 2.10-5]. Par définition, la mémoire épisodique est très

dépendante du contexte (Tulving, 1972; Tulving & Thomson, 1973). Cependant la notion même de contexte est large et peut être discutée (Robertson et al., 2015). En effet, le contexte peut tout aussi bien regrouper l’ensemble des informations incidentes, encodées avec l’objet à mémoriser (e.g., la voix de l’expérimentateur, le décor de la salle d’expérimentation), que se limiter aux informations contrôlées dans l’expérience menée (i.e., un fond musical, une scène visuelle, un environnement olfactif). Dans notre expérience, le contexte de l’encodage est défini par les dimensions de l’épisode (i.e., la photographie d’un paysage et les emplacements), mais aussi par les conditions dans lesquelles les participants se trouvaient (e.g., leur état émotionnel, les caractéristiques de la salle d’expérimentation, le dispositif expérimental). La restauration du contexte d’encodage lors du rappel est bien connue pour améliorer les performances de rappel (Godden & Baddeley, 1975), particulièrement quand l’étude met l’accent, comme c’est le cas dans notre protocole, sur les objets et le contexte lors de l’encodage (Hockley, 2008). Dans notre étude IRM, le rappel se déroule dans un tout autre endroit de Lyon et dans des conditions différentes. Les participants sont placés en position allongée, ils voient les consignes via un miroir placé au-dessus de leur tête et, une fois en marche, le scanner fait un bruit très fort pouvant perturber les participants. Enfin, il est également possible que le stress et l’anxiété associés à la passation de l’expérience dans le scanner (Tessner et al., 2006), un endroit confiné et bruyant, aient aussi participé à la diminution des performances de rappel épisodiques (Wolf, 2009).

2.4. Conclusions

Quand on compare l’ensemble des études, on observe deux différences principales. La baisse des performances de reconnaissance entre les études 3 et 5 et la baisse des performances de rappel épisodique entre les études 2 et 5. En reconnaissance, comme lors du rappel épisodique, l’étude 5 est très impactée. Le rappel des épisodes dans un environnement différent de celui de l’encodage, et qui plus est stressant, semble donc fortement délétère pour les performances de mémoire. D’autre part, l’analyse des autres études révèle que la répétition et la virtualisation des odeurs sont interdépendantes. La virtualisation n’a pas d’effet sur les performances de mémoire (reconnaissance et épisodique) quand les odeurs ne sont pas

répétées. Par contre, quand les odeurs sont répétées, la virtualisation des odeurs diminue les performances de reconnaissance des odeurs (Exp2 < Exp3), mais augmente les performances de rappel épisodique. En conclusion, le contexte dans lequel se déroule la session de rappel semble avoir les plus fortes répercussions sur les performances mnésiques. Les répétitions des odeurs diminueraient également les performances de rappel épisodique, bien que la virtualisation compense en partie cet effet.