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Le pacifisme déontologique

Chapitre 2 : Les critiques de la guerre juste

2.1 La critique pacifique

2.1.2. Le pacifisme déontologique

Si les pacifistes conséquentialistes rejettent le recours à la guerre à cause de ses conséquences, les pacifistes déontologistes la rejettent à cause de la nature même de cette activité. Contrairement aux conséquentialistes qui affirment que la moralité d'une action est déterminée par la valeur de ses conséquences, les déontologistes affirment plutôt que la moralité d'une action est issue de normes ou de principes moraux absolus, qui s'appliqueraient indépendamment des circonstances (Ogien et coll. p.143).

Si les déontologues veulent condamner la guerre, ils doivent démontrer l'existence d'une norme morale que la guerre viole nécessairement. Généralement, la norme invoquée pour remplir ce rôle est l'interdiction de tuer. Afin de démontrer qu'il existe une telle norme, la principale méthode employée est de faire appel au réalisme moral. Pour être convaincante, il faut que la norme invoquée semble réelle et universelle. Par exemple, les défenseurs du droit naturel affirmeront l'existence d'un droit à la vie que chaque homme possède de par sa nature. En adoptant une conception hofeldienne des droits, selon laquelle le corollaire d'un droit est un devoir (Sumner : 20), on peut en dégager un devoir de ne pas tuer. Une autre stratégie est l'appel au réalisme surnaturaliste affirmant qu'il existe des normes surnaturelles demandant de ne pas tuer. Par exemple, c'est l'un des commandements de Dieu dans la tradition judéo- chrétienne. Une dernière possibilité est de baser cette norme sur les exigences de la Raison, comme le fait Kant. Précisons, toutefois, que même si selon la lecture traditionnelle de Kant, ce dernier semble hostile à la guerre, car elle entraîne

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nécessairement une violation des droits, la lecture qu'en fait Orend tend à démontrer que, principalement dans son projet de paix perpétuelle, Kant reconnaît la légitimité morale des interventions militaires dans une certaine mesure (Orend, 2001 : 43). Cependant, il est facile d'imaginer une théorie d'inspiration kantienne qui ferait découler des droits moraux de la Raison et qui démontrerait, dans un second temps, que la guerre porte nécessairement atteinte à ces droits et que, par conséquent, elle est immorale.

Comment les défenseurs de la guerre juste doivent-ils procéder pour résister à cette critique? Il semble y avoir deux solutions possibles : 1) démontrer que le respect strict d'une déontologie pacifiste nous pousse à devoir prendre des décisions négatives sur le plan moral, 2) rejeter l'existence de normes morales venant condamner la guerre. Généralement, les théoriciens de la guerre juste se contentent d'employer la première méthode en démontrant que la guerre est parfois justifiée, ou même nécessaire, sur le plan moral. La seconde stratégie est davantage employée par les réalistes politiques qui tentent de démontrer que la moralité ne doit jouer aucun rôle en politique et, pour ce faire, ils se basent généralement sur le subjectivisme moral ou le positivisme logique qui tente de démontrer l'inexistence de normes morales objectives.

Ainsi, les défenseurs de la guerre juste répondent généralement à cette critique que le statut moral de la guerre est dépendant des circonstances de sorte qu'une théorie morale basée sur des normes absolues, comme l'est l’approche déontologique, n'est pas une réponse acceptable pour juger de la valeur morale d'une intervention armée :

Nous ferions bien de nous souvenir ce qui, dans plusieurs de nos débats actuels, a soit été oublié, soit systématiquement ignoré : que certaines circonstances peuvent survenir dans l'histoire humaine selon lesquelles l'usage de la force, à un niveau approprié et discriminant les cibles, peut être le moyen préférable pour la protection et la préservation des valeurs. En oubliant ou en ignorant ceci, parfois au nom de considérations morales ostensibles, ceux qui rejettent un tel usage de la force choisissent, en fait, une solution moins morale que celle donnée par la tradition affirmant qu'une guerre juste doit également être une guerre limitée (Turner : 60).

Nous acceptons généralement que l'exigence de ne pas tuer ne soit pas absolue et que, dans certaines circonstances particulières telles que la légitime défense, elle admette quelques exceptions. Un exemple donné par G.E. Anscombe, et repris par

35 Orend, pour illustrer le rôle des circonstances revient à celui de la discrimination des victimes; selon eux, les exigences de la moralité ne s'appliquent pas également à tous dans des circonstances données. Ainsi, selon Anscombe, il faut « distinguer entre le ―sang des innocents‖ et le ―sang des coupables‖ » (Orend, 2000 : 153). Par exemple, si dans une prise d'otages, tuer un terroriste pouvait sauver de nombreux innocents, il semble difficile d'affirmer que le devoir de ne pas tuer soit plus important que le devoir de sauver des vies.

La critique pacifiste nous permet de voir une première caractéristique importante que doit avoir la guerre juste, soit qu'une théorie adéquate de la guerre juste doit essentiellement être une éthique appliquée apte à prendre en compte le rôle des circonstances dans le jugement moral, ce que la déontologie peine à faire. Ainsi, la justification du recours à la guerre et des moyens qu'elle emploie dépend grandement des circonstances. Pour illustrer cette caractéristique, je référerai à l'affirmation très juste de Walzer voulant que : « des critères moraux identiques produisent des verdicts moraux différents selon les guerres examinées » (2004A : 11.) Par exemple, si comme le prétend Walzer (2004 : 59), les tactiques du Bomber Command « (qui devait viser les maisons et non pas les existences des civils, comme s'il s'agissait de deux cibles distinctes) » (2004 : 59) était justifiée durant la Seconde Guerre mondiale, dans d'autres circonstances, nous devons reconnaître que cette tactique serait injustifiable. Dans le même ordre d'idées, les réponses militaires ou pacifiques peuvent être les réponses appropriées dans certains contextes, mais elles ne valent pas pour tous les contextes. La guerre juste doit donc se présenter nécessairement comme une éthique appliquée, donc contextuelle, déterminant le statut moral de la guerre et le mode d'intervention approprié en fonction des circonstances réelles et de l'éventail des réponses disponibles.