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Autres critiques de la guerre juste

Chapitre 2 : Les critiques de la guerre juste

2.5 Autres critiques de la guerre juste

Il reste trois autres critiques, identifiées par Orend (2000A : 8), que nous devons examiner. Celles-ci nous permettront également de faire le tri entre les diverses justifications proposées pour les critères de la guerre juste.

La première de ces critiques affirme que la théorie de la guerre juste ne pourrait pas se séparer de ses origines chrétiennes. Parmi les différentes stratégies employées pour justifier les critères de la guerre juste que nous avons identifiée au premier chapitre, il est vrai que la stratégie des auteurs chrétiens était la plus présente et qu'elle parvenait à justifier la grande majorité des critères. Il est également possible que certains des auteurs employant d'autres stratégies aient été influencés par les valeurs chrétiennes prévalant dans leur contexte de sorte que le lien entre christianisme et guerre juste serait particulièrement présent. Le problème serait qu'une théorie trop fortement attachée aux valeurs chrétiennes ne serait pas recevable par les autres systèmes de valeurs, de sorte qu'elle serait inapte à réguler efficacement la guerre au plan international. Cette critique néglige cependant l'importance des justifications de la guerre juste proposées par des auteurs d'autres religions ou d'autres contextes; pensons à Cicéron ou à Walzer. De plus, dans la mesure où les critiques subjectivistes et positivistes portent, elles permettent de rejeter toutes justifications basées sur des concepts métaphysiques flous comme celui de Dieu. Cette critique semble trop rapide et manque la cible. Néanmoins, elle nous invite à nous assurer que les justifications

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retenues ne dépendent pas d'un ensemble de croyances appartenant à un groupe restreint, lequel ne pourrait pas s'étendre aux autres cultures.

La seconde critique identifiée par Orend affirme que la guerre juste date d'une autre époque et est désuète (2000A : 8). Cependant, les auteurs contemporains identifient deux raisons selon lesquelles la guerre juste serait encore d'actualité. La première vient des risques de l'ère nucléaire. Comme l'affirme Susan Khin Zaw : « Les armes nucléaires ont changé notre monde moral » (: 234). Nous avons des moyens de destruction techniquement illimités qui ne peuvent être limités que par les choix que nous faisons : « Les limites d'aujourd'hui doivent provenir avant tout des choix humains, auparavant, ces limitations étaient également le produit de la nature des armes disponibles, des restrictions imposées par les saisons de l'année, ainsi que des bases économiques et sociales sur lesquelles la guerre était menée » (Turner : 70). La seconde raison vient de la diminution des guerres interétatiques et de l’augmentation des guerres civiles et guérillas qui entraînent une augmentation des pertes civiles ainsi que l'usage de tactiques de plus en plus moralement discutables : cibles indiscriminées, terrorisme, etc. (Orend, 2000 : 8-9; David : 131). Cette critique, plutôt que de menacer la guerre juste, lui demande de se moderniser pour répondre aux nouveaux défis. Plutôt que de rejeter le projet d'établir une théorie de la guerre juste, cette critique nous invite à nous assurer que la théorie de la guerre juste soit falsifiable et évolutive afin d'être apte à répondre aux nouveaux défis pouvant survenir et de ne pas s'ancrer dans un âge révolu pour devenir complètement désuète.

Finalement, la troisième critique identifiée par Orend est la plus sévère. Elle affirme que la guerre juste est une théorie inefficace et dont il est facile d’abuser. Dans les termes de Nadeau et Saada (p.7) :

La plupart des critères classiques qui définissent la justice de la guerre semblent inutiles, car inapplicables. Si les doctrines de la guerre juste doivent permettre de fonder des choix, les critères qu'elles proposent n'aident pas à établir les distinctions dont on aurait précisément besoin. La juste cause peut être invoquée par les deux belligérants. Le critère de l'ultime recours est inapplicable – car on ne sait jamais à partir de quel moment toutes les mesures de règlements pacifiques des différends n’ont été envisagées (un blocus peut toujours être poursuivi, une nouvelle résolution prise, de nouveaux échanges diplomatiques engagés) – de même que celui de la nécessité de la guerre elle-même.

51 Orend reconnaît ce manque de force pratique des théories de la guerre juste (2000 : 10) et, pour répondre à cette critique, il faudra que les justifications et les critères retenus aient une véritable puissance normative. Lors du prochain chapitre, nous examinerons deux théories contemporaines de la guerre juste : l'une fondée sur une théorie kantienne proposant des normes objectivement construites par la Raison, et l'autre fondée sur une vision contextualiste. En les confrontant à cette critique, nous pourrons probablement voir émerger des éléments nous permettant de lui répondre plus facilement. Il s'agit alors d'illustrer comment une théorie peut être non seulement endossée, mais également appliquée efficacement, dans un système international pluraliste. Mon hypothèse est que pour rallier différentes cultures à l'endosser, cette théorie devra être une théorie de la justice adoptant une vision du bien minimal ou neutre, et que pour être efficacement appliquée, elle doit être compatible et cohérente avec les valeurs et les institutions prévalant sur la scène internationale. Une théorie du bien cohérentiste et contextualiste me semble donc l'hypothèse la plus efficace pour défendre une théorie de la guerre juste efficace a l'internationale.