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Arguments contre le contextualisme

Chapitre 4 : Vers une théorie contextualiste et cohérentiste

4.1 Contextualisme

4.1.1 Arguments contre le contextualisme

Avant d'argumenter plus fortement en faveur d'une approche contextualiste, il faut avant tout présenter certaines critiques et y répondre.

La première critique habituellement adressée au contextualisme est que cette conception de la moralité est relativiste et complaisante envers les désaccords moraux (Brogaard, 2008. 387). Pour reprendre l'exemple que donne Berit Brogaard, si deux personnes, issues de milieux différents, discutent d'un enjeu moral controversé tel que l'infibulation, l'une d'entre elles peut très bien affirmer que cette pratique est mauvaise et l'autre peut alléguer qu’elle est bonne, et ce, sans qu'aucune soit, pour un contextualiste, en contradiction, puisque la valeur de vérité de cette affirmation dépend uniquement du

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contexte. Un autre exemple est celui donné par Marc Richard qui illustre que le terme « riche » prend un sens différent selon son contexte, ce qui en fait une vérité relative (2008 : 227). Ainsi, à l'instar de l'attribution de l'adjectif « riche » qui ne réfère pas à la même réalité dans les sociétés occidentales que dans les pays défavorisés, les termes moraux pourraient aussi renvoyer à des réalités différentes selon les contextes et seraient ainsi relatifs.

L'erreur de cette critique est que, du point de vue contextualiste, si l'un des agents affirme que l'infibulation est immorale, il n'émet pas un jugement universel, mais un jugement contextuel signifiant en fait « dans mon contexte moral l'infibulation est mauvaise ». Boggard (2008 : 388) fait un parallèle avec la taille de Michael Jordan qui peut être dit « grand » par rapport à la moyenne des hommes, ou « moyen » par rapport aux autres joueurs de basket-ball. Les opérateurs « grand », « moyen », « bon » ou « mauvais » ont une valeur dépendant du contexte, mais seraient objectifs dans un contexte donné. Ainsi, affirmer que l'infibulation est considérée comme mauvaise dans un contexte donné n'est absolument pas contradictoire et incompatible avec l'affirmation qu'elle est considérée comme bonne dans un autre contexte.

Cependant, cette critique est tout de même problématique pour notre projet d'établir une théorie de la guerre juste apte à contraindre la conduite des États. La pluralité de cadres moraux existants à l'international risque de rendre notre projet très limité, voire impossible s'il n'existe aucune zone de consensus suffisante. Plutôt que d'avoir une théorie de la guerre juste universelle peut-être serons-nous limités à une théorie acceptable uniquement dans les contextes démocratiques et libéraux ou à une théorie asymétrique entre les deux parties impliquées dans une guerre. Par exemple, supposons que l'un des camps ne verrait aucun problème à enrôler des enfants soldats et à exercer des représailles contre les civils, alors que l'autre considérerait ces pratiques comme inacceptables. De plus, supposons aussi que la définition à laquelle renvoie le terme « enfant » varie énormément d'une société à l'autre. Par exemple, même si nous nous entendons sur le fait qu'il ne faut pas enrôler d'enfants soldats, et que nous considérons comme enfant toute personne n'ayant pas atteint la majorité civile, certains États, tels que l'Iran, pourraient débuter l'enrôlement dès 15 ans, alors que d'autres, tels

83 que le Cameroun ou l'Égypte, considéreraient le recrutement de jeunes de moins de 21 ans comme une pratique immorale. Ainsi, le fait d'accepter une norme commune ne règle pas entièrement le problème si l'interprétation accordée à cette norme n'est pas la même entre les États; il faudrait qu'une théorie contextualiste de la guerre juste soit en mesure de mettre en évidence des normes morales suffisamment générales pour avoir une extension quasi universelle, tout en étant assez spécifiques pour assurer une interprétation suffisamment unifiée de ces normes.

Une autre critique associée à cette première est que, si la valeur morale dépend uniquement du contexte, on peut imaginer que, dans un contexte injuste, on attribuerait une valeur morale positive à un acte pourtant immoral. Un exemple classique de cette critique consiste à affirmer qu'à une certaine époque, il était moralement acceptable de réduire les gens de couleur à l’esclavage. Cependant, cette critique doit encore démontrer l'existence d'une telle norme objective apte à résister aux réponses subjectiviste et positiviste.

Une troisième critique consiste à affirmer que le contextualisme, principalement sous sa forme cohérentiste, ne peut expliquer de manière convaincante la formation des jugements moraux. Son explication serait nécessairement circulaire. La valeur morale de X dépend de notre croyance en sa valeur morale. Autrement dit, ma croyance que X est moral n'est vraie que si j'ai une telle croyance (Ibid. : 396). Les croyances morales auraient alors un caractère autoréférentiel qui empêcherait de les former par des inférences valides.

Une dernière critique, présentée par Mark Hunyadi, est que le contextualisme ne serait pas en mesure d'expliquer la validité normative, ou la capacité à inciter à l'agir moral, de nos jugements moraux; cette vision ne donnerait pas de raisons morales suffisantes (2008 : 10).

Ces deux dernières critiques ne s'adresseraient particulièrement qu'aux formes faibles de contextualisme qui ne font qu'affirmer le rôle du contexte de manière

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sémantique, épistémologique ou pratique, sans parvenir à « s'approprier de manière convaincante des thèmes majeurs de ses adversaires, et en donner une version plus plausible » (Ibid. : 10).

Pour répondre à ces critiques, je procéderai en deux étapes. Premièrement, je présenterai les arguments qui nous poussent à favoriser le contextualisme par rapport aux autres approches pour notre projet d'une éthique militaire; certains de ces avantages invalideront certaines des critiques présentées. Ensuite, je présenterai une vision concrète du contextualisme, celle de Mark Hunyadi, qui serait apte à répondre aux critiques plus substantielles.