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Les préoccupations avancées jusqu’à maintenant « imposent », d’une certaine façon, une approche de type inductif. Comme on tente de comprendre la logique de développement et les mécanismes d’implantation d’un nouveau paysage audiovisuel au Québec en se demandant notamment s’il est semblable à ce qui se retrouve ailleurs, on tentera donc d’en identifier les acteurs de même que les stratégies utilisées par ces derniers pour s’ancrer davantage dans leur environnement. On s’attardera évidemment sur les conséquences à court et à moyen terme sur les autres acteurs des stratégies en cause. Naturellement, on tentera de déterminer jusqu’à quel point l’environnement a pu influencer un tel développement et on s’interrogera sur la nature des échanges et des interrelations entre organisations et environnement.

Le chercheur se trouve alors à adopter une approche strictement exploratoire qu’il ne récuse pas. En évitant soigneusement de formuler des hypothèses qu’il lui faudrait essayer de démontrer ou d’infirmer selon les approches « classiques » (Quivy et Van Campenhoudt 1994, p. 131-137), il ne fait donc pas appel aux méthodes déductives. De telles préoccupations le rapprochent grandement du courant néo-fonctionnaliste tel que défini par Jeffrey Alexander (Alexander 1985, p. 7-18). Rappelons que ce courant n’est pas une « théorie » au sens classique du terme ni même un ensemble de concepts, un modèle ou encore une idéologie. Par fonctionnalisme, il faut plutôt entendre une tradition qui cherche non pas à présenter un modèle ou une explication de la société, mais plutôt à décrire un tableau d’interrelations entre ses diverses composantes ou parties. Chaque partie de la société entre en interaction avec les autres parties de la société selon un processus (« a pattern ») très variable selon les cas. Ces parties de la société sont en symbiose les unes avec les autres et interagissent les unes avec les autres sans qu’il n’y ait de direction précise. En fait, avance Alexander, un tel processus n’est pas gouverné par une seule force motrice (« a governing force ») contrairement au système hégélien ou marxiste dans lequel les parties de la société sont des variations ou mieux une modulation de tout le système selon un déterminisme monocausal. Le fonctionnalisme suggère plutôt une ouverture et une pluralité de causes dans le tout social et le résultat d’un tel processus reste toujours ouvert et d’une

Chapitre deux 58

certaine façon « incertain » par rapport au grand nombre de possibilités. Le fonctionnalisme va donc se concentrer aussi bien sur l’action que sur la structure en se posant des questions aussi bien sur l’action sociale elle-même que sur les fins poursuivies et les moyens pour y parvenir. Par exemple, on se demandera si les fins poursuivies réussissent à réguler ou encore à justifier les moyens utilisés pour y parvenir. Selon Alexander, une telle approche s’écarte résolument du sociologisme de Durkheim et de l’utilitarisme de Radcliffe-Brown.

Le fonctionnalisme considère l’intégration comme une possibilité et la déviance et les processus de contrôle social comme des faits. L’équilibre de l’ensemble devient donc un point de référence pour les chercheurs et non pas pour ceux qui participent au système social étudié. Alexander note également que ce point d’équilibre est très variable selon les auteurs. Pour certains, il est homéostatique, c’est-à-dire qu’il a tendance à se régulariser de lui-même. D’autres préfèrent le considérer comme étant en devenir ou encore en mouvement constant et ils tentent alors d’en décrire la croissance et le changement dans le système social étudié.

Certes, une telle approche, issue de la pensée de Parsons, a été lourdement critiquée aux États-Unis. Toujours selon Alexander, on a taxé bien à tort le fonctionnalisme de conservateur. On lui a notamment reproché d’être hostile au changement, de fuir les données empiriques et de rejeter les données reliées au développement des individus. Il semblerait que les temps changent et que plusieurs Américains et Européens, notamment les Allemands, ont redécouvert aussi bien les vertus du fonctionnalisme que la pensée de Parsons. Selon Alexander, le fonctionnalisme représente une approche conceptuelle sophistiquée (« sophisticated »). En fait, il est temps de faire référence à un néo- fonctionnalisme comme on reconnaît maintenant l’existence d’un néo-marxisme. Aux divers éléments venant d’être énoncés, Alexander rappelle que l’on intègre désormais à une telle approche une lecture de plus en plus critique de la réalité sociale (« Virtually every contributor pushes functionalism to the left », Alexander 1985, p. 14). Cette lecture critique de la société est désormais axée, entre autres, sur les conflits. Désormais, on n’hésite plus à souligner les facteurs économiques et politiques et non les seuls facteurs culturels dans l’organisation sociale. On fera appel en tout ou en partie à des auteurs tout à fait contradictoires: Tocqueville, Weber, Marx et Habermas, par exemple. Enfin, dans un tel courant néo-fonctionnaliste, on cherche des données empiriques pour faire ressortir ou éclairer les questions reliées aux notions de pouvoir et de conflits dans une société. Une telle

étude d’interactions et de conflits fait apparaître la réalité sociale à plusieurs égards comme indéterminée. Cette indétermination s’explique par les échanges constants entre la subjectivité des acteurs et les contraintes purement sociales. Il y a donc possibilité de choix individuels et de processus interactionnels entre divers groupes.

Ce qu’il faut retenir du courant néo-fonctionnaliste, c’est que, contrairement au marxisme et au néo-marxisme, les références matérialistes ne sont jamais séparées de la culture et de la personnalité. Les notions de contingence sont reliées à un processus en mouvement constant. Avec une approche aussi « plurielle », un tel courant ne peut évidemment être uniforme, les auteurs manifestant souvent entre eux des désaccords importants (Alexander et Turner 1985, p. 7-18).

Cela étant, même en adoptant une approche dite « néo-fonctionnaliste » au sens où Alexander l’entend, il est important de définir comment, concrètement, on procédera dans l’étude des organisations télévisuelles. Dans un premier temps, il nous faut nous demander ce qu’il faut entendre par environnement et organisation. Par la suite, nous pourrons nous interroger sur les échanges entre environnement et organisation.

2 Les organisations dans un environnement donné