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Gouvernance foncière : acteurs, arènes,

2. Acteurs et arènes

3.2 Le marché comme élément du dispositif de gouvernance

Si la gouvernance est affaire de régulations, le marché comme institution apparaît comme constitutif de celle-ci. Sans entrer dans le détail de ce débat (voir le chapitre de Jean-Philippe Colin), on peut souligner ici un certain nombre d’éléments pertinents pour notre analyse.

Si l’on se place dans une perspective de “transition foncière”, on peut en observer les modalités d’institutionnalisation à travers tout un ensemble d’actions et de procédures non planifiées et peu coordonnées. On pense au jeu de la “coutume administrative” occupant une zone grise dans la validation locale de transactions et la résolution des conflits liés aux achats/ventes de terres. Les “petits papiers” et contrats informels font aussi partie des tactiques visant à instiller de la prévisibilité et de la stabilité dans le jeu foncier marchand. Enfin, les courtiers fonciers déjà évoqués jouent un rôle actif dans le fonctionnement des marchés fonciers.

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Bénin. Lorsque la chefferie néo-coutumière au centre du Bénin revendique un rôle d’institution publique de

contrôle des étrangers installés localement en tentant de leur imposer une redevance, elle se positionne en institution tutrice des migrants, entrant dans une relation complexe avec les “tuteurs individuels”, entre compétition et alliance, et jouant sur le contrôle de l’information sur le passé (les trajectoires historiques d’installation) et le présent (les installations de migrants) (Le Meur, 2006b).

Côte d’Ivoire. L’institution coutumière du tutorat n’a pas seulement constitué la pierre angulaire des

relations de foncières (c’est une dimension couramment mise en avant par la littérature consacrée à l’histoire agraire de la Côte d’Ivoire contemporaine) mais aussi un fondement de la politique des appartenances au sein de communautés rurales multiethniques, et finalement une condition politique de la construction de l’Etat. On retrouve ces mêmes éléments dans le contexte actuel de fermeture de la frontière agraire, leur interaction produisant de nouveaux effets en raison des difficultés du mode de gouvernance de type “Etat paysan” à les intégrer (Chauveau, 2006).

22Voir la notion d’Etat-paysan (Bauernstaat) développée par G. Spittler (1981) pour l’AOF et reprise par J.-P. Chauveau dans le cas

Second point, le marché apparaît dans certains contextes jouer un rôle central d’institution de régulation des relations foncières contribuant à la production d’une gouvernance fortement marchande. Les cas observés correspondant à des zones frontières (ouest du Burkina Faso, sud-est de la Côte d’Ivoire) sont instructifs à cet égard, mais sans doute très différents. Dans le cas de la basse Côte d’Ivoire, J.-P. Colin fait l’hypothèse d’un lien entre émergence du marché et faiblesse de l’autochtonie. Il montre aussi le caractère non-évolutionniste (involutif en l’occurrence) de l’émergence d’un marché de la terre. Dans l’ouest du Burkina Faso, la floraison des transactions foncières n’est pas synonyme d’émergence de ventes “complètes” et les revendications d’autochtonie tendent à se durcir.

L’émergence ultérieure d’un marché locatif dans le sud de la Côte d’Ivoire, en liaison avec le développement de la culture de l’ananas, jouera un rôle important dans la reproduction de la frontière entre “autochtones” et “étrangers” (du nord de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso). Si le marché peut contribuer de manière importante à la production de la gouvernance foncière, il ne fonctionne pas seul, mais en interaction avec d’autres modes d’accès et de contrôle de l’accès à la terre, et la légitimité des transactions peut être contestée, comme dans le cas de l’ouest burkinabé, amenant certains à parler de “transactions sans marché” au sens où la reconnaissance sociale de celles-ci est absente ou du moins disputée.

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Basse Côte d’Ivoire. La dimension économique de la frontière apparaît d’abord à travers la constitution

initiale de patrimoines fonciers, avec l’émergence spontanée de droits privatifs individuels sur la terre, n’excluant pas une évolution ultérieure induite par le passage, à la faveur de l’héritage, du patrimoine individuel du pionnier à un patrimoine familial. Le caractère de frontière de cette micro-région a également facilité l’émergence d’un marché foncier, dans la mesure où le droit du pionnier sur la terre ne venait pas d’un héritage coutumier et lui permettait donc de disposer de la terre en tant que bien propre – avec une involution ultérieure, ce marché se refermant parallèlement à la patrimonialisation familiale de la terre. Le caractère de frontière peut également être mobilisé pour expliquer que contrairement à ce que l’on observe fréquemment en zone forestière en Côte d’Ivoire, ces ventes de terres sont considérées comme “complètes”, comme libérant définitivement l’acquéreur de toute obligation vis-à-vis du vendeur. Les conditions initiales d’accès à la terre (pas de détenteurs coutumiers de droits fonciers, pas de tutorat, droit fondé dans le défrichement), l’absence de revendications foncières autochtones et le caractère de ventes “complètes” des transactions foncières sont autant d’éléments qui contribuent à expliquer l’absence de remise en cause des droits fonciers, y compris dans le contexte socio-politique actuel (Colin et al., 2004).

Ouest du Burkina Faso. La prise de conscience de la rareté et la précarité foncière a entraîné deux types de

stratégies. De plus en plus souvent, les autochtones tentent de récupérer les terres cédées aux migrants 20 ou 30 ans plus tôt (souvent par les parents des décideurs fonciers actuels), en leur retirant ces terres de façon plus ou moins unilatérale. Quant aux migrants qui peuvent se le permettre, ils tentent de plus en plus souvent d’obtenir ou de sécuriser leur maîtrise foncière sur les terres par des contreparties monétaires. A l’origine définies comme des cadeaux ou des aides faisant partie des bonnes relations inter-familiales, les contreparties monétaires tendent aujourd’hui (de façon très progressive et inégale suivant les zones) à être perçues plus clairement dans leur signification économique et comme le prix de la location des terres agricoles. (…) Les nouvelles transactions et les diverses pratiques de formalisation évoquées plus haut se situent dans un “entre- deux” entre coutume et modernité, entre la ‘terre des ancêtres’ et le marché, entre la sphère locale et celle des acquéreurs venus d’ailleurs. La terre s’échange ici contre de l’argent, mais en l’absence de marché. En effet, aucun des papiers décrits plus haut ne mentionne jamais les termes “ vente, achat “, ni le prix du bien (ou du droit de propriété) échangé dans la transaction. Il y a ici une transaction monétaire, et l’argent est bien la contrepartie du droit de propriété obtenu par l’acquéreur. Comme pratique sociale, la transaction est cependant hybride et inédite. Il s’agit de transactions monétaires sans marché et peut-être même sans marchandise, c’est-à-dire sans la reconnaissance sociale de ce que la terre peut circuler comme une marchandise (UCL, 2005 ; Mathieu et al., 2000 & 2002).