• Aucun résultat trouvé

Tableau 2 Détention des droits fonciers à Wibõ (Centre-Ouest Burkina)

5. Dimensions IFIG et genre

La situation de la femme en matière de contenu et d’étendue des droits fonciers dépend de sa double identité : elle est à la fois soeur dans sa famille d’origine et épouse dans sa famille d’alliance. Les groupes sociaux paraissent être pris entre deux positions contradictoires :

• une volonté de ne pas confier de droits trop forts aux femmes du fait que leur destin est de devenir, pour la ma- jorité d’entre elles, des épouses données ou reçues par le groupe. Il s’agit d’éviter que le patrimoine familial soit progressivement accaparé par une autre famille ou même un autre village, ce qui pourrait arriver si la soeur dis- posait de droits de transfert sur les terres de son lignage. Dans les représentations, toute fille est appelée à se marier un jour et à rejoindre une autre famille et elle ne peut ni physiquement ni légalement “transporter la terre

sur sa tête”. Réciproquement, pour la belle famille, la nouvelle mariée est une étrangère qui peut retourner (et

qui retourne effectivement) dans sa famille d’origine en cas de problème avec son mari ou sa famille d’alliance. Au Burkina, chez les Winye, l’épouse a accès à des “champs jetés” [ñãvigu], c’est-à-dire des champs dévolus à la jachère depuis peu par leurs époux et elles ne peuvent s’opposer, le cas échéant, à leur reprise dans le cadre d’un projet de production propre à l’ensemble de l’unité d’exploitation (champ collectif). Les jeunes hommes du groupe, producteurs de champs individuels, sont soumis aux mêmes contraintes ;

• une volonté de reconnaître aux femmes en tant que soeurs (ou filles d’un patrilignage) un statut de membres à part entière du groupe de descendance dont elles sont issues, ce qui se traduit par des droits d’usage (leurs fils, neveux utérins du groupe, peuvent également en bénéficier) et parfois même par des droits d’administration sur les terres du groupe, lorsqu’elles ne sont pas encore mariées ou (plus souvent) lorsqu’elles ne le sont plus. Lorsqu’elles le sont et demeurent avec leurs maris, la sollicitude de leurs groupes d’origine se maintient puisqu’en général, leurs responsables se font un devoir d’accepter les demandes de prêt exprimées par leurs beaux-frères, en arguant du fait que ces derniers ont besoin de terre pour “nourrir leur soeur”.

Pour aborder de manière plus complète la situation des femmes dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest, il convient d’évoquer deux points complémentaires :

a) En premier lieu, les effets de la marchandisation de la terre. Cette nouvelle donne a entraîné des transformations dans l’accès des femmes à la propriété foncière, tant sous l’influence de la jurisprudence, que du fait des décisions prises dans le cadre intra-familial. Les trois cas qui suivent, pris au Mali, illustrent ces nouvelles tendances. Ils ne font pas ressortir de manière évidente de dégradation de la situation de la femme du point de vue de l’accès au foncier. Les institutions traditionnelles et modernes semblent avoir pris conscience du fait que le lévirat ne constitue plus une solution permettant de pallier à l’insécurité économique de la femme une fois que celle-ci a perdu son mari et certains éléments de l’économie morale mentionnés plus haut (notamment le devoir d’assistance des frères envers leur soeur et les enfants de celle-ci) semblent persister et jouent dans le sens de la conservation des intérêts de la femme.

34

Le premier cas a pour cadre Dialakoroba, un chef-lieu de commune rurale situé à une soixantaine de kilo- mètres de Bamako. A la mort d’un grand propriétaire terrien de ce village, son jeune frère duquel il vivait séparé, profitant du fait que le défunt n’a pas d’héritier mâle, a accaparé ses terres qu’il a commencé à vendre. Une des filles du défunt réclame une partie des terres pour elle, ses soeurs et sa mère démunie. Les médiations villageoises ayant échoué, elle dépose en mai 2002 une requête devant le tribunal de Ouéléssébougou, territorialement compétent. Malgré les pressions exercées par les notabilités villageoises soucieuses de sauvegarder la coutume, l’affaire est enrôlée par le tribunal civil qui délibère le 26 décembre 2002.

Dans sa décision, le juge déclare recevable la requête et condamne le défendeur (l’oncle paternel) à restituer aux demandeurs 8 ha des terres cultivables dans la partie litigieuse. Il déboute la partie demanderesse du sur- plus de sa demande et condamne le défendeur aux dépens. Le juge fonde sa décision sur le fait qu’en mon- nayant les terres, l’oncle leur a enlevé le caractère coutumier. Il reconnaît comme régulière et bien fondée la demande de la nièce, dans la mesure où celle-ci affirme qu’elle veut entretenir sa vieille maman malade en vendant quelques terres. Toutefois, il trouve exorbitante sa réclamation relative à la totalité du reliquat de terres et juge opportun de la ramener à de justes proportions. La demanderesse a reçu les huit hectares qu’elle a vendus et a continué à assister sa mère, jusqu’au décès de cette dernière.

b) En second lieu interviennent les disponibilités en terres du domaine familial. Dans les situations de pression fon- cière et de besoins de plus en plus importants en numéraire, la situation de la femme paraît dépendre à la fois des disponibilités foncières de son groupe d’origine ou de son groupe d’alliance et de ses possibilités d’exercer des activités génératrices de revenus indépendamment ou non d’un investissement dans la terre.

Dans le cas où il n’existe pas d’alternatives économiques pour la création de revenus en dehors de la production agricole, les considérations holistes16sont utilisées en défaveur des femmes. Au sud Niger, comme le soulignent

M. Doka et M. Monimart, la raréfaction de la ressource entraîne un désaisissement volontaire des femmes, au profit notamment de leurs fils mariés : “je ne travaille plus au champ parce que je l’ai cédé à mon grand fils marié

qui n’a pas de terre. Comment puis-je encore cultiver à mon âge et laisser mon fils sans terre ? Il me donne en contrepartie deux bottes de mil après la récolte” (2004 : 7). Au Mali, le retrait des terres cultivées par les femmes

est imposé à ces dernières, et des ONG cherchent à sécuriser leur accès au foncier, en négociant auprès des chefs de village, des chefs de lignage ou de famille des lopins pour des groupements de femmes qu’elles encadrent, notamment pour des activités de maraîchage (voir exemple ci-dessous).

Dans les cas où il existe des activités génératrices de revenus en dehors de l’agriculture stricto sensu, les femmes utilisent les mêmes considérations holistes (priorité des demandes masculines) pour expliquer leurs désinvestissements fonciers.

35

16 Le dessaisissement des catégories statutairement inférieures au profit d’exploitants considérés comme prioritaires parce qu’ils

sont des hommes, des responsables d’exploitation et des chargés de famille.

La décision du juge de Ouéléssébougou n’est pas atypique. Il peut arriver que la coutume elle même recon- naisse le droit des femmes à la propriété foncière, comme ce fut le cas dans les deux exemples qui suivent. Ces deux cas ont pour cadre Banko, un village de la Commune Rurale de Sanankoroba situé à une trentaine de kilomètres de Bamako.

Il y a de cela quelques décennies, le lignage Massarana a attribué des terres à une famille jula originaire de Côte d’Ivoire. Lorsque le chef de famille jula décéda, un ressortissant du village vendit une partie des terres qui n’étaient plus entièrement exploitées à un étranger. Informé de cette transaction, le chef de lignage se battit pour récupérer les terres vendues et les mit à la disposition de la veuve du jula en lui précisant que le champ avait été attribué à son mari et que, en tant qu’héritière, il lui revenait le droit d’en faire ce qu’elle voulait. La veuve vendit une partie des terres pour subvenir à ses besoins. Cet acte consacre de façon explicite la reconnaissance des femmes à la propriété foncière, à travers la succession.

Dans le troisième cas, le même lignage Massarana avait attribué des terres très fertiles à un Guinéen installé dans le village et qui avait épousé une ressortissante du clan. Confronté à des difficultés financières, le beau- fils voulut vendre une partie des terres et demanda à cet effet l’avis des anciens du clan. Ceux-ci lui signifièrent que le champ était un don et qu’en conséquence il était libre d’en disposer comme il l’entendait. Toutefois, ils rappelèrent que le champ lui avait été offert à cause de sa femme, leur soeur, et que par conséquent, pour que ses enfants ne reprochent pas un jour à leurs oncles maternels d’avoir spolié leur soeur et de ne leur avoir rien cédé du patrimoine du clan, il serait de bon ton qu’il requière l’avis de cette dernière.

Au moment des enquêtes réalisées à Kongodjan (Basse Côte d’Ivoire), seules deux femmes (soeurs d’héritiers) ex- erçaient des droits d’usage sur des parcelles familiales. Cette faible participation des femmes aux activités pro- ductives ne renvoie pas à une absence de droits d’usage sur les terres familiales. Les femmes ont un droit d’accès clairement reconnu sur les terres de leur patrilignage mais, compte tenu du manque de terre, elles préfèrent y renoncer, jugeant les demandes masculines prioritaires.

A Kongodjan, les femmes sont très investies dans les activités de transformation, avec la fabrication d’huile de palme. L’introduction de la culture du palmier à huile sélectionné a en effet permis aux femmes, généralement peu impliquées dans les activités productives, de créer une activité génératrice de revenus. L’approvisionnement en graines de palme peut se faire par ramassage après la coupe des régimes de palme et/où par achats auprès des planteurs. Au sein des familles disposant d’une plantation de palmiers, il existe un “marché” interne au