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LE GLOBE - TOME 160 - 2020 L'Arboreto salvatico

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L'importance de l'arbre se manifeste dans l'arboreto, un terrain près de sa maison qu'il a planté d'arbres. Avec Arboreto salvatico Mario Rigoni Stern consacrera un recueil de récits à cet arboretum. Se définissant lui-même comme "botaniste amateur, un peu poète" (Rigoni Stern, 1996 : 86), il décrit avec précision les essences d'arbres se trouvant dans sa région.

L'auteur raconte comment il a entrepris de planter le premier arbre dans le jardin qui borde sa maison nouvellement construite, sur un terrain qu'il a dû au préalable rendre cultivable, après l'avoir défriché et débarrassé des restes de la guerre, grenades, cartouches, ossements humains...

L'opération de retour à la vie et à la paix d'un territoire est bien sûr une métaphore de la seconde partie de son existence, après son retour de la guerre. C'est en se promenant dans les bois avec son fils qu'il trouve le premier arbre à planter, et c'est en pensant à ses petits-neveux qu'il constitue, année après année, cet arboretum : "Si les hommes ont de la sagesse, et si nous avons des descendants, les enfants de mes petits-enfants pourront dire : 'ces pins, c'est notre arrière-grand-père qui les a plantés'" (Rigoni Stern, 1996 : 23). Tout au long de l'ouvrage, l'arbre accompagne la vie de l'homme, souvenirs d'enfance, jalons de son histoire intime : "[Ces peupliers] avaient grandi avec nous, enfants de la Via Monte Ortigara, et comme à chaque saison, ils avaient suivi nos jeux.

Surtout les longues soirées de juin quand les papillons blancs sortaient des chrysalides. Nous les chassions alors avec nos mouchoirs, les faisant tomber au sol pour ensuite les ramasser et les offrir aux jeunes-filles."

(Rigoni Stern, 1996 : 81).

Le lien étroit entre nature et culture se réalise à travers l'utilisation des éléments de l'environnement, sorte de pont entre l'individu, sa vie sociale, culturelle et artistique, ses paysages... Ainsi, le hêtre est coupé dans le bois autour de la maison, puis déposé pendant une année contre un mur exposé au soleil afin de sécher. L'hiver, il est porté à l'intérieur de la maison avant l'aube pour y être brulé, et par sa fumée il retourne au bois, après avoir

"offert" à l'homme sa lumière, sa tiédeur, son odeur, un moment de forte valeur existentielle : "Maintenant, le hêtre brûle avec une flamme claire à l'intérieur du poêle, me donnant une chaleur saine et bienfaisante ; de sorte qu'en levant la tête de la table et en voyant l'hiver sur les montagnes et dans les bois, il est encore plus agréable de reprendre la lecture ou une

LE GLOBE - TOME 160 - 2020 feuille de papier blanc pour écrire à un ami" (Rigoni Stern, 1996 : 29). La forêt, l'arbre et le bois constituent une suite symbolique de valeurs que Mario Rigoni Stern exprimera jusqu'à la fin de sa vie : "Je suis revenu vivant d'une guerre. J'ai eu une bonne épouse et de bons enfants. J'ai écrit des livres. J'ai coupé du bois. Cela me suffit, maintenant je peux mourir en paix" (in Rumiz, 2008).

L'identification homme-nature

L'analogie de l'homme à l'arbre est une image récurrente chez Mario Rigoni Stern : "Le bouleau est comparé à une femme : élégant, apparemment fragile mais résistant aux tempêtes et aux changements brusques de température. Le mélèze est comme lui, solide et résistant aux intempéries, peu exigeant, avec des racines profondes qui retiennent la terre" (Mendicino, 2018). Le mélèze est un arbre fétiche pour l'auteur ; c'est d'ailleurs la première essence décrite dans Arboreto salvatico, "un arbre cosmique, le long duquel descendent le soleil et la lune" (Rigoni Stern, 1996 : 3). De la même façon, les récits comportent des scènes anthropomorphiques du règne animal. Les abeilles sont comparées à des paysans fatigués : "Le soir, des centaines d'abeilles fatiguées et échaudées se reposaient en prenant un peu d'air frais sur le seuil de la ruche, tout comme les paysans qui au moment de la récolte ou de la fenaison se reposent dans la cour de leur ferme" (Rigoni Stern, 1998 : 131) ; le pic vert est semblable à un ouvrier dérangé dans son travail : "À un moment donné, comme un artisan gêné d'avoir été trop observé dans son travail, il se fatigua de ma présence, s'envola sur un sapin et resta immobile sur une branche" (Rigoni Stern, 1998 : 70). Mais plus souvent encore, il inverse la comparaison, en identifiant l'homme à un chevreuil, un taureau ou un ours... : "Un matin d'été, alors qu'il travaillait comme d'habitude avec sa pioche pour déplacer et choisir des troncs, en bougeant avec la grâce d'un chevreuil et la force d'un taureau..." (Rigoni Stern, 2008 : 318), ou encore :

"[le vieil homme] au visage enfantin nous salua de la main et nous fit un clin d'œil de ses yeux vifs, puis retourna à l'intérieur pour commencer sa léthargie" (Rigoni Stern, 2000 : 173). Parfois, c'est le regard de l'homme qui adopte celui de l'animal, comme dans le passage du lièvre blessé cité précédemment, ou encore dans cette admirable envolée de l'auteur sur les oiseaux : "Les oiseaux migrateurs passaient contre le bleu du ciel : des pinsons des montagnes, des tarins, des gros-becs, des grives. Ils venaient

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du nord-est et allaient à l'ouest. Je pensais à leurs longues routes aériennes, aux pays qu'ils avaient survolés, que j'avais vus en partie et que je revoyais maintenant à travers leur vol" (Rigoni Stern, 2000 : 19).

Fig. 3 : Mario Rigoni Stern avec son chien Cimbro. L'auteur envoya cette image le 10 oct. 1973 à Claudio Menapace avec le texte : "Tu vois Claudio, moi je suis celui avec le chapeau". (Source : Mendicino, 2016 : 221)

Ces anthropomorphismes sont en réalité l'expression d'une symbiose idéale entre l'auteur et la faune qui peuple ses bois et ses montagnes, autour de sa maison. Cette relation d'entente mutuelle est exprimée dès ses premiers récits, à l'image de cette scène dans Temporale di primavera, où une biche menacée par un violent orage met au monde son faon près des bûcherons pour chercher leur aide... Une scène idyllique aux accents de conte pour enfants. Michele Buzzi parlera même de "fable" (1985 : 111), pour évoquer cette harmonie édénique entre animaux et hommes (Rigoni Stern, 1998 : 35). Entre eux, les animaux entretiennent également des relations affectives aux accents humains : après avoir protégé du froid un oisillon en le tenant entre ses pattes, "Cimbro, un chien de chasse sauvage

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