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IDEOLOGIQUE DE L’ANTIQUITE

Section 1. Le droit constitutionnel

et l’organisation horizontale du pouvoir politique

Depuis la Révolution, en raison de la théorie du contrat social (sans lequel il n’existait pas de société), toute constitution devait être écrite a priori ; pendant les Cent-Jours, Napoléon Ier ne manqua pas de la rappeler :

« La constitution est notre point de ralliement ; elle doit être notre Étoile polaire dans ses moments d'orage. Toute discussion publique qui tendrait à diminuer directement ou indirectement la confiance

287Ibid., Chambre des députés, 25 juin 1814, p. 66 col. droite.

qu'on doit avoir dans ces dispositions, serait un malheur pour l'État : nous nous trouverions au milieu des écueils, sans boussole et sans direction. »289

Pour autant, l’expérience révolutionnaire où les textes, malgré leurs qualités et leurs cohérences théoriques, n’avaient pas résisté à la pratique et aux circonstances politiques, il est vrai exceptionnelles, conduit certains à considérer qu’il ne fallait pas négliger « le temps qui forme l’opinion du peuple » : au-delà de la raison, « il est un législateur invisible dont l’action est lente »290. Ce fut donc dans la combinaison de ces deux éléments – le constitutionnalisme écrit et l’expérience historique – qu’il faut analyser la recherche du bon régime politique faite, notamment, en lien avec les précédents antiques. Le régime mixte pensé chez les Anciens (§ 1) permit d’envisager une séparation moderne des pouvoirs (§ 2).

§ 1. L’équilibre antique des pouvoirs dans le cadre du régime mixte

Après dix ans d’effervescence révolutionnaire et quinze ans d’un gouvernement devenu au fur et à mesure de plus en plus autoritaire, il était naturel que les hommes du XIXe siècle fussent à la recherche d’un régime politique équilibré, modéré – en opposition à la dictature291 (1) – dont ils pensaient voir l’idéal dans le système mixte mis en valeur par Polybe et Cicéron (2).

Au passage, il n’est pas inutile et inintéressant de noter que, dans une orientation très personnelle, résolument spiritualiste, et bien éloignée des considérations techniques (dignes de « mécaniciens politiques »292) des auteurs de l’Antiquité, Pierre Leroux fit également l’apologie d’un ordre constitutionnel composé par la coordination de plusieurs principes, une sorte de régime mixte, en somme. Le philosophe socialiste croyait dans un progrès continu de l’homme et de la nature devant atteindre une perfection consistant dans une sorte de trinité, la fameuse et mystérieuse « triade », au sein de laquelle devaient s’harmoniser trois composantes (la sensation, le sentiment et l’intelligence) :

289Ibid., Chambre des représentants, 12 juin 1815, p. 415 col. gauche (Napoléon Ier).

290Ibid., Chambre des représentants, 20 juin 1815, p. 501 col. droite (Jay).

291 Ch. BRUSCHI, « La dictature romaine dans l’histoire des idées politiques de Machiavel à la Révolution française », in L’influence de l’Antiquité sur la pensée politique européenne (XVIe-XXe siècles), préf. de M. Ganzin, Aix, PUAM, 1996, p. 195-218.

292 P. LEROUX, Projet d'une constitution démocratique et sociale, fondée sur la loi même de la vie, et donnant, par une organisation véritable de l'État, la possibilité de détruire à jamais la monarchie, l'aristocratie…, Paris, Sandré, 1848, p. 85 (séance du 5 septembre 1848) : « cette nombreuse cohorte de mécaniciens politiques se divise à l'infini. La plupart, il est vrai, au lieu d'idées, n’ont pour se diriger que leurs passions et leurs intérêts privés ; mais les plus théoriciens même et les plus désintéressés manquent d'un principe. Vainement donc le soin des destinées sociales leur est confié : ils sont comme dit Homère, les pasteurs du peuple ; mais, suivant le mot de l'Évangile, ce sont des aveugles qui conduisent d'autres aveugles. (Hilarité) ».

« Toutes les constitutions des États ont été fondées sur le principe que je vous supplie d’employer, sur la Trinité. Et comment n'aurait-elle pas été fondé sur ce principe, puisque ce principe est la loi même de la vie ? Les travaux des écrivains politiques depuis Platon et Aristote jusqu'à Montesquieu et Rousseau n'ont eu pour but que de mettre l'esprit humain à même de s'emparer par la réflexion de ce principe de toutes les constitutions qui ont joui de quelque durée sur la terre, afin de pouvoir l'appliquer à une constitution définitive. »293

Cette démarche s’inscrivait dans le cadre de la quête, engagée une quinzaine d’années plus tôt, en compagnie notamment de George Sand, d’une religion philosophique. Il l’appuya sur le concept de triade qui décrivait une triple tendance présente en chaque homme. La « triade » combinait le sentiment (pouvant conduire au mysticisme voire à la folie), la sensation (qui était à l’origine du sensualisme, du matérialisme et de l’athéisme) et la connaissance (ayant mené au rationalisme puis au positivisme). La connaissance siégeait dans l’âme, la sensation dans le corps et le sentiment formait la relation entre le corps et l’âme. Dans cette doctrine trinitaire, l’homme était à la fois un et triple, les trois éléments étant solidaires pour former un être vivant indécomposable. La « triade »294 comme principe d’organisation politique295

n’emporta pas, dans les débats constitutionnels de 1848, de franc enthousiasme ; ce fut même l’inverse : il lui valut des sarcasmes, ce dont il se plaignit amèrement296.

1. Le rejet du régime dictatorial malgré la définition antique

Au lendemain des Cent-Jours, certains auteurs osèrent affirmer que des circonstances exceptionnelles297 pouvaient rendre nécessaire l’établissement d’un régime comparable à la dictature romaine (régime temporaire mis en œuvre lorsque le salut de la res publica était en jeu) :

« Il est reconnu que dans les circonstances ou se trouve la nation, il faut faire quelques sacrifices de nos libertés individuelles, pour assurer à jamais la liberté publique. (…) Quand jadis le peuple romain suspendait ses lois constitutionnelles pour établir un dictateur, quand, chez une nation dont le nom ne

293Ibid., p. II.

294Ibid., p. 80 : « Ce projet de constitution n'est qu'une application du principe universel d'organisation que nous avons découvert, et que nous appelons triade. »

295 Cf. P. CHARLOT, « De l'influence de la Triade sur le droit constitutionnel rêvé ; le projet de Constitution de Pierre Leroux (septembre 1848) », in Le droit et les institutions en Révolution, XVIIIe-XIXe siècles, Aix, PUAM, 2005, p. 123-132.

296 LEROUX, op. cit., p. 80 : « Comment une idée qui doit affranchir les hommes de toute tyrannie n'aurait-elle pas provoqué les répulsions que toute vérité importante n’à jamais manquer de rencontrer ? Toutefois voici un spectacle bien étrange ! C'est au nom de la tradition, c'est au nom du dogme fondamental du christianisme que nous présentions notre idée ; et dans une assemblée où l'on parle à tout propos du christianisme pour l'opposer comme un frein et comme une digue au philosophe et aux novateurs, dans une assemblée où siège des prélats catholiques et des pasteurs protestants, il ne s'est pas trouvé une seule voix pour réclamer contre les rires et les murmures qui ont accueilli le grand nom de Trinité ! Pas un orateur n'a relevé le défi que nous portions à notre tour à ces 900 représentants du peuple, soit comme chrétien, soit comme incrédule ? On n’a su qu’étouffer notre voix par des clameurs. »

doit pas retentir à cette tribune, l'acte d'Habeas corpus est aussi suspendu, la liberté individuelle était environnée de toute la sécurité que les mœurs et les habitudes de respect pour elle lui garantissaient. »298 ; « Tous les hommes qui ne se laissent pas abuser par les mots ne peuvent pas ne pas reconnaître qu'en certaines circonstances, il est indispensable de donner ce pouvoir discrétionnaire au gouvernement, sous peine de voir dissoudre la société. (…) Jamais ni Rome ni aucun autre État, ne se trouvèrent dans une situation où il fut plus légitime et plus urgent de prononcer la formule caveant consules [laisser les consuls, sous entendu, agir]. »299

Cependant, cette tendance fut combattue – « J'avoue que cette institution violente [la dictature] me paraît s’accorder mal avec la liberté »300 – et resta minoritaire (comme en 1848 quand le débat sur le caveant consules fut relancé à la suite de la grande manifestation des Républicains progressistes du 15 mai301), tout autant que le courant qui entendaient rétablir, en 1815, la première constitution révolutionnaire, celle de 1791302. En fait, s’il y eut un régime romain que le XIXe siècle apprécia tout particulièrement, ce fut bien celui de la Res publica :

« J’honore la République » affirma François Guizot en novembre 1830 ; « c’est une forme de gouvernement qui repose sur de nobles principes, qui élève dans l’âme de nobles sentiments, des pensées généreuses. Et s’il m’était permis de le dire, je répéterais ici les paroles que Tacite met dans la bouche du vieux Galba [3 av. J.-C.-69 ap. J.-C.)] : si la République pouvait être rétablie, nous étions dignes qu’elle commençât par nous. »303

Mais, au-delà de ces généralités, la République était, concrètement, d’autant plus estimée qu’elle apparaissait dans son interprétation de régime mixte due à Polybe et reprise par Cicéron :

« L’Angleterre offrait l’exemple de cette forme de gouvernement prévue par la sagacité du plus grand orateur, et par celle du plus profond historien de Rome où la monarchie l’aristocratie et la démocratie, justement tempérées, se renferment dans les limites tracées. Monsieur de Lally[-Tolendal] pensait que tel était le gouvernement qu’il fallait donner, ou plutôt rendre à la France. »304

298 AP, op. cit., Chambre des représentants, 25 juin 1815, p. 544 col. gauche (Bérenger) ; ibid., Chambre des pairs, 26 juin 1815, p. 549 col. gauche (Gilbert de Voisins) : « Les Romains, dans les temps difficiles, proclamaient la formule si connue qui investissait les consuls d'un pouvoir sans bornes (…) ».

299Ibid., Chambre des députés, 21 octobre 1815, p. 92 col. gauche (Bellart).

300Ibid., Chambre des députés, 23 octobre 1815, p. 93 col. droite (Tournemine).

301 Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale, op. cit., 17 mai 1848, p. 245 col. gauche (Vivien) : « Mais pour les cas en dehors de toutes les prévisions ou la patrie est en péril, où le salut public commande quelque chose. d'immédiat, il y a la loi de salut public , comme je le disais, le cas du caveant consules : c'est dans ce sens que vous avez voté. Vous avez donné des garanties à tout le monde dans les cas ordinaires, et vous n'avez rien enlevé aux nécessités des cas extraordinaires. » ; ibid., 17 mai 1848, p. 246 col. gauche (Dupin) : « M. le Rapporteur, en vous disant qu'on n'avait pas voulu exclure rigoureusement le cas d'une mesure qui intéresserait le salut public et qui tomberait dans cette formule générale qui n'a pas besoin toujours d'être expliquée, mais dont l'application cependant peut donner lieu souvent à des difficultés, le caveant consules, ne laisserait la question que dans l'examen d'un point de fait : est-ce en effet ou non une mesure de salut public ? »

302AP, op. cit., Chambre des représentants, 28 juin 1815, p. 567 col. gauche (Gamon) : « adopter sans hésiter la constitution de 1791 ».

303Ibid., Chambre des députés, 9 novembre 1830, p. 313 (Guizot).

Les Anciens, Aristote en tête305, avaient distingué d'une part les gouvernements justes et injustes en fonction de leur finalité, et d'autre part les types de gouvernement en fonction du nombre de personnes qui l'exerçaient. Cette analyse fut reprise au Moyen-Âge par la scolastique et, évidemment, saint Thomas d’Aquin (1224-1274). Un être étant dirigé avec rectitude quand il était conduit vers la fin qui lui convenait306, le gouvernement injuste et pervers était donc celui qui était ordonné au bien privé de celui qui gouvernait : la tyrannie, l'oligarchie et la démocratie, puisque le bien privé d'un individu, d'un petit nombre ou du grand nombre s'éloignaient du bien commun307. En revanche, le gouvernement, du roi, de l'aristocratie (les meilleurs), ou de la république (politia), quand il visait le bien commun, était juste308. Si certains auteurs modernes, parmi les plus importants, comme Jean Bodin (1529-1596) et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), s’étaient opposés au régime politique mixte309, cette formule avait pourtant été chère à nombre d’auteurs depuis l’Antiquité, comme Claude de Seyssel (1450-1520), dans La grant’ Monarchie de France (1519)310. Idéal à l’époque médiévale, le régime mixte connut une éclipse à l’époque moderne311 avant de revenir au goût du jour au XIXe siècle.

En 1848, avec une petite dose de pédanterie (universitaire ?), Édouard de Laboulaye fit l’apologie du régime mixte en affirmant que la ruine des gouvernements purs était inéluctable parce qu’ils étaient absolus et tournaient inéluctablement en tyrannie :

« Et les Anciens, qui ont pratiqué la démocratie sur une si large échelle, ne nous ont-ils rien laissé sur les conditions essentielles d'une bonne république, sur les dangers de la démagogie, sur la ruine prochaine de tous les gouvernements purs, parce qu'étant absolus, ils sont forcément tyranniques ? Si aujourd'hui on avait le temps de lire autre chose qu'un journal, on serait tout étonné, en ouvrant la

Politique d'Aristote ou la République de Cicéron, d'entendre la voix grave et impartiale des siècles prononcer sur les destinées de notre jeune gouvernement. »312 « En étudiant séparément les monarchies, les démocraties, les aristocraties pures, Aristote et Cicéron avaient parfaitement démêlé que chacun de

305 ARISTOTE, La politique, éd. J. Tricot, Paris, Vrin, 1970.

306 THOMAS D'AQUIN, De Regno, ad regem Cypri (1265-1267), éd. M. Martin-Cottier, Paris, 1946, Liv. I, chap. I, p. 30.

307Ibid., Liv. I, chap. I, p. 30-31 et L. I, chap. III, p. 41-43.

308Ibid., Liv. I, chap. I, p. 30-31.

309 J. BODIN, Methodus ad facilem historiarum cognitionem, éd. P. Mesnard, Paris, PUF, 1951, chap. VI, p. 361 : « Ainsi, dans tout État faut-il d'abord considérer qui peut donner ou retirer le pouvoir aux magistrats, qui peut promulguer et abroger les lois : si c'est un seul homme, ou la minorité, ou la majorité des citoyens. Cela une fois fixé, il est facile de déterminer quelle est la constitution de l'État, car il n'existe pas de quatrième mode et l'on ne saurait même pas en imaginer un. » ; J. BODIN, Les six livres de la République, Lyon, 10e ed., 1593, éd. Ch. Frémont, M.-D. Couzinet, H. Rochais, Paris, Fayard, 1986, 6 vol., t. II, Liv. II, Chap. 1, p. 8 : « Puis donc que la qualité ne change point la nature des choses, nous dirons qu'il n'y a que trois estats, ou trois sortes de Republiques, à sçavoir la Monarchie, l'Aristocratie et la Democratie : (...) ».

310 S. GOYARD-FABRE, Philosophie politique, XVIe-XXe siècle, Paris, PUF, 1987, p. 78.

311 Cf. M. GAILLE-NIKODIMOV, sous la dir., Le gouvernement mixte, De l’idéal politique au monstre constitutionnel en Europe (XIIIe-XVIIe siècle), Saint-Étienne, PUSE, 2005.

ces gouvernements avait sa raison d'être dans un principe vrai, mais qui tournait nécessairement à la tyrannie, parce qu'il immolait deux forces vives de l'État au développement exagéré d'une seule. »313

2. L’attirance pour le régime mixte dans sa définition antique

Grec emmené comme otage à Rome, Polybe fut l’historien des luttes de cette dernière contre Carthage : il rédigea des Histoires, reprenant le titre d’ouvrage dont s’était déjà servi Hérodote (v. 484-v. 420 av. J.-C.)314. Convaincu que l’initiation la plus complète à l’art du gouvernement était l’histoire, il développa (au Livre VI) une étude générale des régimes politiques afin de mieux situer le cas romain. Chez ses prédécesseurs grecs, il avait trouvé les trois régimes classiques : la royauté, l’aristocratie et la démocratie ; il y ajouta la monarchie, l’oligarchie et l’ochlocratie, qui étaient les perversions des trois premières formes pures. On peut remarquer au passage que Polybe admet la démocratie comme forme correcte, et lui oppose comme déviation l’ochlocratie, ou gouvernement pernicieux de la populace.

Le cycle des régimes qu’il décrivit se réclamait expressément de Platon. Une monarchie, mise en place de manière spontanée, dégénère peu à peu en tyrannie ; la réaction contre elle étant supposée s’opérer à partir d’une élite, cela entraîne l’avènement de l’aristocratie. Mais, la vertu des aristocrates s’épuisant, le régime se transforme en oligarchie. Une nouvelle réaction engendre la démocratie, ou pouvoir régulier du plus grand nombre, respectueux de la morale et des lois. Là encore, au bout de quelques générations, une pente défavorable mène au régime populacier de la force brutale, à l’ochlocratie qui prélude à une retombée dans la condition quasi animale du despotisme primitif. Les livres VIII-IX de la

République de Platon retraçaient une évolution à peu près analogue, aussi inexorable en tout cas, encore que les étapes en fussent différentes, menant de la Cité parfaite à la tyrannie en passant par la timocratie, l’oligarchie et la démocratie.

Pour Polybe, les révolutions dépendaient moins de causes sociales que psychologiques et morales : c’était le comportement du groupe dominant qui, par cupidité, dégénérait avec le temps. En tout cas, comme chez Aristote, le meilleur régime était la constitution mixte, même si l’expression ne se rencontre pas textuellement chez Polybe. En l’établissant, les Romains avaient donc pu retarder, sinon arrêter, le mouvement de dégénérescence cyclique. Bien avant

313Ibid., p. 62 (1848).

314 POLYBE, Histoire, trad. D. Roussel, Paris, Gallimard, 2003 ; sur cet auteur, cf. not. : M.-R. GUELFUCCI, « Polybe, le regard politique, la structure des Histoires et la construction du sens », in Cahiers des études anciennes, 2010, XLVII, p. 329-357 ; M. DUBUISSON, Le latin de Polybe, Les implications historiques d’un cas de bilinguisme, Paris, Klincksieck, 2000.

eux, Lycurgue (fin du IXe siècle av. J.-C.) avait imaginé une solution analogue pour Sparte315, mais les Lacédémoniens n’avaient pas su se tenir à ce programme. A l’inverse, les Romains avaient réussi à mettre en place une constitution d’une mixité si parfaite316 que personne ne saurait dire quel élément l’emportait sur les autres : à ne considérer que les pouvoirs des consuls, on pourrait croire à une royauté ; en présence du Sénat, à une aristocratie ; et les prérogatives du peuple étaient celles d’une démocratie. Cependant, toutes ces institutions étaient interdépendantes.

Cela dit, s’il y eut une institution politique de l’Antiquité romaine qui était devenue mythique, et l’était restée au XIXe siècle, c’était bien le Sénat, symbole de pouvoir et d’honneur317, bien avant les Comices ou les magistratures : « vous avez donné et vous donnerez l'exemple du courage, et, à l'exemple des sénateurs romains, qui vous ont été cité tant de fois, vous saurez mourir sur vos chaises curules »318. Déjà sous l’Ancien régime, les Parlements avaient prétendu en être sinon la réincarnation du moins la continuité319. Avec les Cent-Jours, l’empereur utilisa une comparaison propre à flatter l’orgueil du personnel politique pour le fidéliser :

« Vous, pairs et représentants, donnez à la nation l'exemple de la confiance, de l'énergie et du patriotisme ; et, comme le Sénat du grand peuple de l'Antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera ! »320

Il existait, selon Polybe, une sorte de loi de nature, applicable aux régimes politiques comme à tous les vivants : ils atteignaient une maturité (akmé), puis étaient condamnés à dépérir et à disparaître selon une sorte de déterminisme biologique. Celui-ci devait-il aussi jouer pour les constitutions mixtes ? Polybe ne fut pas totalement explicite à ce sujet. En tout cas, nombre de ses analyses furent reprises par un authentique Romain, Cicéron321, dont la vie et l’œuvre le placent entre la position du philosophe (ce qu’il revendiquait) et celle d’un « politicien sans conviction, sans loyauté, et sans courage » au jugement (très dur) de Jérôme

315 J. CHRISTIEN, Fr. RUZÉ, Sparte, Géographie, mythes et histoire, Paris, Armand Colin, 2007 ; Ed. LÉVY,

Sparte, Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Paris, Seuil, 2003.

316 Ch. CARSANA, La teoria della « costituzione mista » nell'età imperiale romana, Côme, Ed. New Press, 1990.

317AP, op. cit., Chambre des pairs, 23 juin 1815, p. 525 col. droite (Drouot) : « Après la bataille de Cannes, le Sénat romain vota des remerciements au général vaincu, parce qu'il n'avait pas désespéré du salut de la république, et s'occupa sans relâche de lui donner des moyens de réparer les désastres qu'il avait occasionnés par son entêtement et ses mauvaises dispositions. »

318Ibid., Chambre des représentants, 28 juin 1815, p. 569 col. gauche (Lacoste).

319 Sur cette question, cf. not. : Ph. PICHOT-BRAVARD, Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle),

Paris, LGDJ, 2011.

320AP, op. cit., Chambre des représentants, 7 juin 1815, p. 409 col. gauche (Napoléon Ier).

Carcopino (1881-1970), historien romaniste de renom mais, lui-même, contesté322. Il suivit un