• Aucun résultat trouvé

La quête d’une République sociale ignorée de l’Antiquité

PARTIE II. LA NEUTRALISATION SCIENTIFIQUE DE L’ANTIQUITE

Section 2. La quête d’une République sociale ignorée de l’Antiquité

Puisque la droite (même si elle était idéologiquement divisée) se réunissait pour préférer un régime de type monarchique, elle laissa, d’une certaine manière, le monopole de la République à la gauche (§ 1). Et, comme les réactionnaires (et autres catholiques sociaux) furent politiquement marginalisés à partir de 1830 (même s’ils restèrent intellectuellement influents), se dégagea la tendance consistant à assimiler la droite avec le libéralisme économique et le conservatisme social. Par conséquent, les idées sociales furent essentiellement portées par la gauche… républicaine (§ 2). La République sociale était en marche et elle était nécessairement une configuration politique nouvelle, bien différente des modèles antiques.

§ 1. La difficile émergence de la République

Étant donné que beaucoup considéraient que les Bourbons étaient revenus dans les fourgons de l’étranger et que leur régime n’était pas assis sur une acceptation réelle du corps

868 Lucius Quinctius Cincinnatus (v. 519-v. 430 av. J.-C.) est un personnage quelque peu légendaire : considéré comme un héros de la République romaine, il fut consul (en 460 av. J.-C.) et dictateur à deux reprises (en 458 et en 439 av. J.-C.).

social – c’est ce qui fut particulièrement affirmé pendant les Cent-Jours870 –, la question de la République fut sans cesse remise en avant, en particulier à chaque changement de régime871 : hésitée en 1830, elle fut finalement rétablie en 1848872 (1), pour être assassinée en 1851-1852873 avant d’être de retour sinon en 1870 (lors de sa proclamation) du moins en 1875 avec les lois constitutionnelles de février et juillet de cette année (2).

1. De la République hésitée (1830) à la République idéalisée (1848)

Avec la Révolution de juillet 1830, se posa la question de la restauration de la République ou du maintien d’une monarchie constitutionnelle. Chateaubriand plaida pour la seconde solution, mettant en avant l’expérience sanglante de la tentative de régime avec la Convention et le Directoire (1792-1799) :

« Une république ou une monarchie nouvelle offre-t-elle à la France des garanties suffisantes de durée, de force et de repos ? Une république aurait d’abord contre elle les souvenirs de la république même. Ces souvenirs ne sont nullement effacés ; on n’a pas oublié le temps où la mort, entre la liberté et l’égalité, marchait appuyée sur leurs bras. »874

Finalement, l’on sait que le général Gilbert du Motier, marquis de La Fayette (1757-1834)875

contribua à faire approuver le nouveau régime, le prince orléaniste au pouvoir étant « ce que nous avons pu faire de plus républicain » ! D’ailleurs, d’aucuns justifièrent de prêter serment au roi des Français au nom de l’un des principes supérieurs de la République romaine :

« Dans les dernières séances je n’ai pas cru pouvoir prendre part aux délibérations de la chambre sur la vacance du trône, non plus qu’à la déclaration qui en a été la suite. Mais dans les circonstances graves, extraordinaires, urgentes où nous nous trouvons, une seule considération me frappe : salus populi suprema lex. Dans l’intérêt de mon pays et par ce seul motif : je jure »876.

Le régime avait cependant tout intérêt à ne pas trop évoquer le premier siècle avant notre ère. Tout en se ralliant à l’orléanisme, le comte Xavier de Sade (1777-1846) dénonça la nouvelle décoration de la chambre des députés qu’il n’appréciait guère parce que (même si la salle

870AP, op. cit., Rapport à l’empereur sur la situation des différents pays d’Europe par M. Caulaincourt, duc de Vicence, ministre des Affaires étrangères, 12 avril 1815, p. 380, col. droite : les Bourbons étaient présentés comme « une dynastie repoussée par l'opinion publique ».

871 Cl. NICOLET, L'idée républicaine en France, Essai d'histoire critique (1789-1924), Paris, Gallimard, 1995.

872 P. de LA GORCE, Histoire de la seconde République française, Paris, Plon, 1887, 2 vol. ; L. GIRARD, La IIe République, Naissance et mort, Paris, Calmann-Lévy, 1968 ; F. LUCHAIRE, Naissance d’une Constitution : 1848, Paris, Fayard, 1998 ; Ph. VIGIER, La seconde République, Paris, PUF, 8e éd., 2001.

873 H. GUILLEMIN, Le coup d’État du 2 décembre (1951), Bats, Éd. d’Utovie, 2006.

874AP, op. cit., Chambre des pairs, 7 août 1830, p. 85 col. gauche (Chateaubriand).

875 De cet auteur, cf. G. du Motier, marquis de LA FAYETTE, Mémoires, correspondance et manuscrits du général La Fayette, Paris, Fournier, 1837-1838, 13 vol.

avait conservé la forme d’un amphithéâtre877) ressemblant trop, selon lui, à celle d’une salle de spectacle :

« S’il me tardait de ne plus voir vos orateurs vous adresser la parole dans une salle ornée des plâtres de Brutus je crois et de Léonidas et monté sur une tribune ornée de je ne sais quelles divinités païennes, je n’en suis pas plus pressé de voir cette décoration remplacée par une copie assez exacte de l’opéra »878.

Le nouveau régime fit sans doute bien de faire disparaître les statues de Brutus, car le comportement du duc d’Orléans fut déloyal, authentiquement déshonorant. En effet, Charles X avait cherché à trouver une solution de compromis avec le duc d’Orléans qui avait accepté la lieutenance générale du royaume offerte par la Chambre des députés. À l’instigation du maréchal Auguste de Marmont (1774-1852) et du baron Ange Hyacinthe de Damas (1785-1862), Charles X se résolut à abdiquer, le 2 août, en faveur de son petit-fils, Henri d’Artois (1820-1883) dont le père Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry (1778-1820), avait été assassiné879, à obtenir avec quelques difficultés le consentement de Louis-Antoine d’Artois, duc d’Angoulème (1775-1844) de se retirer au profit de son neveu et à demander au duc d’Orléans de proclamer l’avènement d’Henri V880. Contre le principe d’indisponibilité de la couronne, le duc d’Angoulème accepta de céder sa place par stratégie politique ; pour sauver la situation, il parut logique de mettre la couronne sur la tête d’une personne à qui aucun des événements politiques récents ne pouvait être imputé : Charles X tablait sur l’innocence de son petit-fils, le duc de Bordeaux puis comte de Chambord, pour qu’il pût régner en tant qu’Henri V881. Or, le duc d’Orléans promulgua bien la renonciation de Charles X et de Louis XIX à leurs droits, mais dissimula (en particulier à la Chambre) qu’ils l’avaient fait en faveur d’Henri V. Puis, pour que le trône devînt (effectivement) vacant (et qu’il put s’en emparer), il provoqua (par un coup de bluff militaire) la fuite pour Cherbourg de la famille royale882. La Chambre des députés (celle des Pairs n’ayant eu aucune influence dans l’événement), modifia d’autorité la charte de 1814, proposa au duc d’Orléans d’y adhérer, moyennant quoi il obtint (le 7 août) le titre de « Roi des Français » : ce fut l’avènement de Louis-Philippe Ier883.

877Ibid., Chambre des députés, 11 août 1830, p. 113 col. gauche (Dupin) : « Cette commission n’opéra pas à la légère ; elle prit en considération les objection que l’on reproduit aujourd’hui et qui ne peuvent résister au motif fondé sur l’expérience pour conserver la forme d’un amphithéâtre primitivement adopté pour la chambre des députés. »

878Ibid., Chambre des députés, 11 août 1830, p. 113 col. gauche (Sade).

879 MU, op. cit., Corps législatif, 26 juin 1852, p. 978 (Bonjean, Président de section au Conseil d’État, Commissaire du gouvernement) : « la mort du duc de Berry, assassiné en 1820 ».

880 D. de MONTPLAISIR, Le comte de Chambord, dernier roi de France, Paris, Perrin, 2008, p. 82-88.

881Ibid., p. 88, 97-99.

882Ibid., p. 90-94.

En 1848, la monarchie put être comparée au « festin de Balthazar »884 – thème représenté et popularisé par un tableau de Rembrandt (1606-1669) –, dans un discours de Francisque Bouvet. Il faisait allusion au récit biblique tiré du livre de Daniel où un écrit apparu de manière surnaturelle prédit la chute de Babylone (VIe siècle av. J.-C.). En effet, le roi Balthazar ordonna, à l’occasion d’un banquet fort arrosé, que lui soient apportées les coupes d’or rapportées du temple de Salomon à Jérusalem par Nabuchodonosor II (en 586 av. J.-C.). Lui et ses convives utilisèrent cette vaisselle sacrée pour faire ripaille. Des mots s’inscrivirent alors sur les murs du palais ; aucune personne présente ne put en comprendre le sens. Le roi envoya quérir Daniel, un juif capturé par son père, qui remplissait l’office de chef des mages et des astrologues. Celui-ci réussit à déchiffrer et à interpréter le texte : le royaume babylonien était très proche de sa fin et serait divisé en deux entre les Mèdes et les Perses. La nuit même, Balthazar fut assassiné et le Mède Darius Ier (v. 550-486 av. J.-C.), dit Darius le Grand, s’empara du pouvoir. On était désormais bien loin du sage Salomon (roi de 970 à 931 av. J.-C.) servant de modèle au roi et de caution à la monarchie.

Avec l’établissement de la République en 1848, ce fut comme la revanche des tribuns de la Plèbe sur les patriciens des monarchies constitutionnelles. Cependant, l’enthousiasme ne fut pas partagé par tous. En juillet 1848, à l’occasion de la discussion du décret (voté le 28) sur les clubs politiques et les associations ouvrières (où finalement seules les sociétés secrètes furent interdites), un houleux conflit opposa les partisans de la démocratie directe d’un côté et de celle représentative de l’autre. À ceux qui, comme Jean-Jacques Fayet (1786-1849) – évêque d’Orléans et député de la Lozère, sa terre natale, digne successeur au moins sur ce point d’un certain Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836) –, voulaient maintenir le monopole du débat politique légitime dans le cadre des assemblées représentatives en affirmant que « c'est ici le forum ! » (ou encore : « je dis que le forum c'est la tribune où vous êtes »)885, d’autres, à l’instar de Louis-Edmond Baume (1803-1863) qui fut successivement mousse, charpentier puis parvint à devenir avocat, entendirent défendre la souveraineté populaire :

« on cherche à maintenir dans la loi le chacun chez soi, le chacun pour soi ; (…) on ne veut pas s'habituer aux luttes du forum, à cette vie publique, à ces discussions libres qui est de l'essence de tous les gouvernements démocratiques. (…) le forum est partout où les citoyens ne trouvent pas la loi qui les empêche… (Bruit) le forum n'est pas dans cette enceinte ; nous ne sommes que les élus du forum général, de la France tout entière »886.

884 Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale, op. cit., 30 mai 1848, p. 434 col. gauche (Bouvet) : « Quand l'enjeu des vengeances populaires vint renverser ce festin de Balthazar appelé la monarchie (…) ».

885Ibid., 26 juillet 1848, p. 266 col. droite (Fayet).

Oubliant, d’un côté, la déception de la Convention et du Directoire et, de l’autre, la naissance du régime parlementaire sous la monarchie, la République était idéalisée et comme assimilée à la démocratie (même si la plupart des défenseurs de la République s’en tenaient à la démocratie représentative).

Par conséquent, si beaucoup considéraient que le basculement de la monarchie à la République, en 1848, avait été un événement d’importance, d’autres comme Proudhon, minoraient (et même niaient) l’importance du changement : « La République de février ne fut que la continuation de la Monarchie de Juillet, mutatis mutandis, exceptis excipiendis. Tout se bornait, pensait-on, à simplifier le pacte, en éliminant la royauté devenue un organe impossible ; à développer certains principes, dont on avait fait qu'une demie application ; à restreindre certaines influences, conservées d’un autre âge, et que la nécessité des transitions avait fait respecter. »887 Et Proudhon de conclure : « Telle avait été la bourgeoisie en 1830, confiante en ses maximes, et d'autant plus présomptueuse888 ; telle se montra la démocratie en 1848. »889

2. De la République assassinée (1851-1852) à la République balancée (1870-1875)

Hippolyte-Louis de Lorgeril considérait que la réussite du coup de force de 1851 s’expliquait par les mêmes raisons profondes que celles qui avaient conduit à l’instauration du Consulat sur les ruines de la République : le rejet du désordre politique et de l’aventure sociale. Mais, à la différence de 1799, c’était moins le régime en place que les théories hasardées dans l’opinion publique qui avaient affolé la population :

« C'est encore là ce qui fit vivre le gouvernement qui remplaça la République de 1848. Croyez-vous que, si la France eut été réellement attachée à la forme républicaine, le coup d'État eut si complètement triomphé ? Non, Messieurs, la haine de l'anarchie, comme au 18 brumaire, permit d'inaugurer cette constitution faite par un seul. »890

Il mettait particulièrement en accusation les doctrines d’Étienne Cabet (1788-1856), de Charles Fourier (1772-1837), de Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825) et de Pierre-Joseph Proudhon. Effrayée par de telles théories utopistes, la France s’était rendue au pouvoir garantissant l’ordre :

887 PROUDHON, Théorie du mouvement constitutionnel…, op. cit., p. 46.

888Ibid., p. 46 : « comme leurs devanciers, les bourgeois de la Charte, ils ne doutent de rien, ils marchent dans la plénitude de leurs illusions ».

889Ibid., p. 46.

« Elle avait été assourdie par les clameurs des extravagants qui descendaient tous les jours, l'arme au bras, dans la rue proclamer l’Icarie, la Phalange, le saint-simonisme, le socialisme de Proudhon, autant de variétés de république entre lesquels elle ne voulait pas choisir, parce qu'elle ne pouvait faire qu'un choix détestable. »891

Au début de l’année 1870, le député bonapartiste de l’Orne, Joseph Henri Dugué de la Fauconnerie (1835-1914), fit l’apologie du régime en place892. La République, ce n’était pas, selon lui, les excès de 1793 ni la parodie de 1848 :

« Et si vous voulez savoir pourquoi nous ne voulons pas de cette République je vais vous le dire. Nous n'en voulons pas, parce que nous sommes les petits-fils des hommes de 89 ; parce que nous sommes bonapartistes et démocrate. (Exclamations et rire à gauche, approbation sur d'autres bancs) Parce que nous avons conservé avec le respect de la mémoire de nos pères, le respect de la République, et que nous ne voulons pas voir flétrir, au fond de nos cœurs, l'idéal que nous y conservons, ce dieu inconnu des Athéniens893 (oh ! oh !) ; Parce que nous nous ne voulons pas, la voir flétrir par des drames sanglants comme ceux de 93, ou par des comédies comme celle de 1848 ! (Réclamations à gauche). »894

Il n’y avait donc pas eu, selon lui, de travestissement du régime en 1852. À l’inverse, d’autres partisans du régime, comme le baron de Butenval, considéraient qu’avec l’Empire, la République était bien morte :

« il est absolument impossible sous peine de mettre en question, l’unité même de la monarchie, l'unité même de l'empire, je dirais même l’unité de la république, pour parler non pas la langue d'aujourd'hui mais celle d'autrefois, il est impossible de comprendre, sans compromettre cette unité, des maires nommés par une autre puissance, une autre autorité que le pouvoir exécutif, à moins qu'on ne suppose un corps municipal, un negotiorum gestor, et à côté de lui le représentant de l'autorité. »895

Sur l’autre bord de l’échiquier politique, le Républicain Nadier de Montjau qualifia, en 1875, le second empire de « détestable régime » qui « tint captif » le pays « pendant 18 ans »896. Quelques semaines plus tard, Pascal Duprat évoqua « les souvenirs sinistres et sanglants du 2 décembre »897. En 1869, alors que le régime était encore en place, Félix Pyat était encore plus vindicatif (et courageux) ; il affirmait que, sous le second Empire, les Français étaient comme des esclaves : « Oui, tout Français doit se déshonorer et se suicider comme Judas ou lutter comme Spartacus [qui dirigea la troisième guerre servile de 73 à 71 av. J.-C.]. Il faut en

891Ibid., Assemblée nationale, 26 février 1875, p. 277 (Lorgeril).

892 De cet auteur, sur la même position, cf. : J.-H. DUGUE DE LA FAUCONNERIE, Si l'Empire revenait, Paris, Dentu, 1875 ; du même auteur : La conciliation, Paris, Debons, 1878 ; Ma trahison, Lettre à mes électeurs, Paris, Debons, 1878.

893 Agnostos theos (le dieu inconnu) était une divinité adorée par les anciens Hellènes en plus des douze principaux dieux. Il y avait, à Athènes, un temple qui lui était spécialement dédié.

894MU, op. cit., Corps législatif, 25 février 1870, p. 302 (Dugué de la Fauconnerie).

895Ibid., Sénat, 21 avril 1870, p. 595 (Butenval).

896Ibid., Assemblée nationale, 27 juin 1875, p. 851 (Nadier de Montjau).

prendre son parti. »898 Il établit un parallèle entre la dégénérescence des régimes politiques dans l’Antiquité et dans la France contemporaine :

« La Grèce républicaine, en perdant sa conscience amphyctionique, vit son peuple se dissoudre et tomber aux mains d'Alexandre. La Rome républicaine, en perdant sa conscience capitoline, vit son peuple se dissoudre et tomber aux mains de César. La France républicaine, en perdant sa conscience jacobine, vit son peuple se dissoudre et tomber aux mains de Bonaparte. Comme Athènes et Rome sont restés sous leur maître, Paris restera-t-il sous le sien ? »899

Ce qui est certain, c’est qu’avec la chute de l’Empire, le nouveau régime fut, malgré tout, longuement hésité (entre au moins 1871 et 1875)900. Outre qu’elle s’effritait au fur et à mesure des élections, la majorité royaliste était divisée (entre légitimistes901 et orléanistes902). Aussi, l’Assemblée nationale ne parvint pas, entre 1871 et 1875, à mettre en place un régime politique définitif. En 1873, à la suite de la démission d’Adolphe Thiers de la fonction intuitu personae de président de la République, il avait été donné un mandat de sept ans à Patrice de Mac Mahon (1808-1893) de telle manière que cela laissât du temps aux différents camps de s’organiser pour l’emporter903 :

« Qu'est-ce que la loi du 20 novembre 1873 ? Elle laisse à tout le monde, jusqu'en 1880, le droit de conserver des espérances et de préparer pour cette date l'avènement du régime politique qui peut avoir ses préférences. »904

Dans ces conditions, Edgar Raoul-Duval (1832-1887) considérait donc qu’il fallait retourner devant les électeurs ; il fallait détruire l’assemblée comme d’autres avaient régulièrement demandé de détruire Carthage :

« J'ai déjà eu l'honneur de le dire à cette tribune je cesserai de le répéter, comme le Delendae Carthago

du vieux Romain. Puisqu'il est évident que l'assemblée ne contient pas de majorité pour faire quelque

898 PYAT, Les Inassermentés, op. cit., p. 9.

899Ibid., p. 9.

900 J.-M. MAYEUR, Les débuts de la troisième République (1871-1898), Paris, Seuil, 1973 ; du même auteur :

La vie politique sous la troisième République (1870-1940), Paris, Seuil, 1984. Cf. égal. D. LEJEUNE, La France des débuts de la IIIe République (1870-1896), Paris, Armand Colin, 5e éd., 2011.

901MU, op. cit., Assemblée nationale, 26 février 1875, p. 277 (Duval) : « essayer de rétablir dans notre pays le régime de la monarchie traditionnelle, héréditaire et légitime ». Sur ce courant de pensée, cf. S. RIALS, Le légitimisme, Paris, PUF, 1983.

902 MU, op. cit., Assemblée nationale, 14 février 1875, p. 220 (Gambetta) : « le parti orléaniste (…) né d'un accident, ne peut vivre qu'à l'aide d'une oligarchie la plus restreinte, laquelle se dissipe et disparaît à la grande lumière de la souveraineté nationale ». Sur ce courant de pensée, cf. H. ROBERT, L’orléanisme, Paris, PUF, 1992. Pour une analyse de cette période par l’un des principaux protagonistes, cf. V. de BROGLIE, Vues sur le gouvernement de la France. Paris, Michel Lévy, 1870, 2e éd., 1872.

903 MU, op. cit., Assemblée nationale, 31 janvier 1875, p. 159 (Ferdinand Boyer, 1823-1885) : « lorsque l'assemblée a posé le principe d'une seconde chambre, elle se proposait de donner à la France un gouvernement définitif. Nous espérions revenir dans nos provinces, après avoir entièrement accompli notre mandat qui consistait principalement à faire la paix et à donner un gouvernement à la France. Ce gouvernement, pour moi c'était la monarchie. »

chose de clair, de net, de précis et de catégorique, il faut qu'elle retourne devant le pays. Voilà la vérité de la situation. »905

Il est certain que la difficulté d’érection de la République906 fut tout autant le résultat de l’opposition des monarchistes907 que de la divergence entre ceux qui considéraient qu’elle pouvait être présidentielle et ceux qui ne l’envisageaient que parlementaire. C’est ce qui mit en exergue, au début de janvier 1875, Émile Lenoël (1827-1893) qui, quelques jours plus tard, devait voter l’amendement d’Henri Wallon (1812-1904)908 :

« On vous demande de voter en faveur du président l’irresponsabilité et le droit de dissolution qu’on vous représente justement comme incompatible avec un établissement républicain lorsque vous les auriez votés, on se retournerait bientôt vers le maréchal de Mac Mahon, et on dirait : mais, voyez, ce droit de dissolution, cette irresponsabilité sont des droits régaliens absolument incompatibles avec l'existence d’un président de la république ; donc, disparaissez et faites la place à un monarque dont nous aurons préparé l'avènement, parce que vous, président de la république, ne pouvez pas concilier votre existence avec les droits que nous avons consacré. »909

Finalement, la République ne put l’emporter que par le renfort d’une partie des orléanistes : « la majorité qui a sanctionné hier les articles du projet de loi qui sera dans une heure la