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Le dialogue des forestiers et des auteurs modernes

Office national des forêts, 2 rue Justin Blanc F-64000 PAU

2. Le dialogue des forestiers et des auteurs modernes

Le XIXe siècle marque véritablement l'irruption des forestiers dans le débat relatif au statut

taxonomique des espèces arborescentes.

La locution pins sauvages, bien qu’imprécise, demeure encore usitée au début du XIXe

siècle sous la plume de Dralet, conservateur des Eaux et Forêts, lorsqu’il évoque les paysages du Donezan en 1813 : "Les premières hauteurs sont couvertes de hêtres, auxquels succèdent bientôt les sapins ; ensuite les arbrisseaux, qu’ombragent quelques pins sauvages, annoncent les sommets déserts où expire la végétation" (in Gaussen, 1927).

2.1. L'œuvre de reboisement et de restauration des terrains

en montagne

Au milieu du XIXe siècle, le reboisement des montagnes érodées du fait de la conjonction de

facteurs défavorables (déforestations, pression agro-pastorale excessive, abats d’eau exceptionnels) va s’accélérer à la suite de grandes catastrophes en série stigmatisées par les inondations dramatiques des plaines du Roussillon et de la Garonne, et de crues torrentielles dévastatrices dans les Pyrénées.

Dès 1860, le service des Reboisements, devenu ensuite service de Restauration des terrains en montagne (RTM), va entreprendre une grande œuvre de stabilisation des versants, de correction torrentielle, de boisement et de protection paravalanche, tout à fait inédite dans l’histoire de nos montagnes. Malgré les réticences locales, voire l’opposition des populations pyrénéennes, l’Etat y acquiert à partir de 1882 plus de 43 000 ha de terrains dégradés (Bartoli et al., 1997).

Plantes de montagne – Université de Toulouse-le-Mirail – 6,8 novembre 2009

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Le boisement d’une partie de ces périmètres RTM s’effectue avec des essences forestières locales mais également avec des arbres non spontanés aux Pyrénées (Mélèze d’Europe, Pin cembro, Pin noir, Epicéa commun, Aune vert…). La sècherie de La Cabanasse, dans le haut Conflent, alimente en graines de pins sauvages, non seulement les chantiers pyrénéens, mais également les autres massifs montagneux français (Bartoli & Démesure-Musch, 2003). En cas de pénurie de graines locales, on fait parfois appel aux ressources séminales des pays d’Europe centrale. Ecoutons Guinier et Pourtet vanter la rusticité de Pinus uncinata comme essence de boisement : "Son aptitude à occuper les places vides, à croître en terrain dénudé, même sur un sol pauvre et en des stations sèches, à altitude élevée, en fait un auxiliaire précieux pour la reforestation. Les forestiers reboiseurs français ont largement fait appel au Pin à crochets dans les Alpes, et aussi dans les Pyrénées et les Cévennes" (in Les variations du Pinus montana Miller du Tyrol au Briançonnais, 1951). Les mêmes auteurs s’insurgent plus loin des effets pervers induits par la confusion de nomenclature sévissant au sein du complexe des Pins de montagne : "Mais, certaines années, pour pallier un déficit de production nationale, on a cherché des graines dans l’Europe Centrale et notamment en Autriche : on a demandé du Pinus montana et les fournisseurs ont livré du Pinus Mugus. C’est pourquoi, de loin en loin dans les Alpes et les Pyrénées, en des stations où croît spontanément le Pin à crochets, on rencontre dans ses clairières ou des pâturages reboisés des broussailles de Pin rampant, qu’il faut se garder de considérer comme autochtones" (Guinier & Pourtet, 1951, op. cit.).

Voilà bien l’illustration de ce que Guinier considère comme "un traquenard botanique pour les forestiers" (in A propos du "Pin de montagne", 1960), relayant le jugement sans appel de son prédécesseur Hickel : "le P. montana de Miller, mal décrit, doit être considéré comme nul et non avenu ; le nom de P. mughus SCOP doit être réservé au Pin rampant, et

celui de P. uncinata à la forme dressée. Cette conclusion ne sera peut-être pas agréée des nomenclaturistes, mais c’est celle du bon sens et de la clarté. Les forestiers en particulier l’adopteront sans peine [...]" (in Le Pin de montagne de Miller, 1932).

2.2. Priorité aux provenances forestières "adaptées" à la

haute montagne

L’œuvre d’afforestation en montagne se poursuit durant le XXe siècle (figure 4), dopée

après le Deuxième Guerre mondiale par la création du Fonds forestiers national destiné à financer la reconstitution de peuplements forestiers à vocation de production ligneuse. Pour les peuplements de protection, les arboreta aménagés avant guerre dans les Pyrénées, tels ceux de Font Romeu et de Jouéou, permettent de tester la résistance d’essences forestières, locales ou exotiques, placées en conditions extrêmes. Dans les années 1970 également, une série de plantations expérimentales conduites par le CTGREF4 de Grenoble permet

d’évaluer la survie et la croissance de diverses essences subalpines, dont Pinus uncinata s'avère la plus vigoureuse à la lisière supérieure de la forêt.

4 Centre technique du génie rural, des eaux et forêts, devenu Cemagref en 1981, puis en

2012 Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture).

Figure 4. Boisement de Laou d’Esbas (Haut Comminges).Transport à dos de mule des plants forestiers sur le chantier (source CNRS : photo n° 2047, BD Gaussen 1936).

En altitude, implantées dans de sévères conditions environnantes, on ne se préoccupe plus seulement des espèces les plus performantes, encore faut-il disposer des provenances exprimant une phénologie adéquate pour éviter les dégâts du gel aux jeunes pousses et conserver une réelle vigueur juvénile (Mullenbach, 1982).

2.3. Les pins sauvages à la reconquête des estives pyrénéennes

Les reboisements des hauts versants entrepris sous l’impulsion de la politique RTM ne doivent pas faire oublier la dynamique naturelle des pins.

Les prises de vues diachroniques en divers secteurs des Pyrénées à moins d’un siècle d’intervalle se révèlent édifiantes : en maints endroits, le Pin à crochets est aujourd’hui capable de former un peuplement fermé jusqu’à 2 000 m d’altitude à partir de quelques semenciers disséminés, repérables sur diverses archives photographiques du début du XXe

siècle. Aussi le qualificatif de "conquérant des estives" est-il opportunément adopté par Métailié qui caractérise ainsi l’essor contemporain du Pin à crochets : "[…] au vu des progressions fulgurantes que le pin est capable d’avoir dans l’Est des Pyrénées et dans certains secteurs des vallées centrales, on peut imaginer que des seuils risquent d’être franchis brutalement. L’abandon de l’exploitation de certaines estives, que l’on constate actuellement un peu partout dans les hautes vallées, va laisser le champ libre au pin

conquérant... Le pin à crochets est peut-être l’avenir des estives" (in Le Pin à crochets, 1999).

Le XXe siècle voit se développer dans les Pyrénées un dialogue bénéfique entre botanistes,