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Chapitre 2. L’objectivation croissante des pratiques de valorisation dans

2.1. Le développement des évaluations instituées dans l’enseignement supérieur

Si l’on se réfère à l’étymologie du mot évaluation, l’activité évaluative peut être définie comme une opération individuelle ou collective de re-connaissance ou d’attribution d’une valeur à quelqu’un ou à quelque chose (Ardoino, 2000). Or, selon Lavelle (1991 : 3 ; cité par Barbier, 2003b : 126), « le mot valeur s’applique partout où nous avons affaire à une rupture

de l’indifférence ou de l’égalité entre les choses ». Dans cette perspective, tous les jugements

ou toutes les estimations portés au travers d’une activité de perception et d’interprétation différenciée de la qualité ou de la quantité d’un objet, d’un état ou d’un processus, renvoient donc à une action d’évaluation. L’évaluation désignerait tout d’abord dans son acception la plus large, « un acte social universel » (Barbier, 1990 : 32) que l’on trouve notamment dans les prises de décision qui génèrent et accompagnent les activités humaines. D’après Jorro (1999), deux types de valeurs correspondant à deux catégories d’évaluation sont mis en exergue par l’analyse des activités humaines3 . Il s’agit d’une part des valeurs agies (Ibid. : 251) qui émergent dans les situations effectives et qui renvoient plutôt à des formes d’évaluations implicites et contenues dans des prises de décisions en cours de l’action : ces évaluations ne seraient par conséquent observables qu’à partir des effets qu’on leur attribue (e.g. l’adaptation d’un comportement individuel). Il s’agit d’autre part des « valeurs

déclarées » (Ibid. : 252) dont se saisissent les acteurs pour dire voire pour fonder la légitimité

de leurs actions. A cette catégorie de valeurs correspond une forme d’évaluation qui conduit à l’expression ou à la formulation explicite d’un jugement ou d’une estimation de l’intérêt d’une action, de la beauté d’une œuvre ou des qualités d’une personne. Ces évaluations dites spontanées sont enchâssées dans les constituants de la subjectivité (sensations, émotions, affects, implications, sentiments, croyances, imaginaires etc.) mais elles peuvent en outre donner lieu à l’explicitation (Jorro, 1999) du système de valeurs professionnel, esthétique, sociopolitique, éthique, religieux, économique, etc. qui en constitue le principe. En ce sens, « quelle que puissent être l’ampleur et l’originalité des résonances individuelles et subjectives

en chacun, ces pratiques évaluatives spontanées sont donc ancrées culturellement » (Ardoino,

2000 : 92). Cependant, nous allons nous intéresser dans cette partie de la thèse aux pratiques évaluatives instituées (Barbier, 1990) qui se sont multipliées depuis une vingtaine d’années tant dans le monde des entreprises que dans le champ de l’éducation ou des politiques publiques.

3 Dans une perspective proche, Barbier (2003b) distingue les valeurs-en-actes, qui renvoient aux engagements effectifs d’activité des sujets, les valeurs-référents, qui font l’objet d’activités de pensée intérieure des sujets et les valeurs-énoncés, qui peuvent être formalisées et communiquées comme telles par ces sujets.

2.1.1. Une définition des évaluations instituées

A la différence des évaluations implicites et des évaluations spontanées, les évaluations formalisées font l’objet d’une réflexion et d’une rationalisation (voire d’une objectivation dans des travaux de recherche scientifique) et elles sont opérationnalisées par la mise en œuvre d’une instrumentation spécifique (Bedin, 2006). De plus, le rôle dévolu aux institutions ou aux acteurs en charge de ces évaluations est explicitement reconnu par des « dispositifs

d’authentification » (Trépos, 1996 : 81) tels que des décrets4 ou des dispositions

contractuelles. A la suite des travaux de Barbier (1990 : 34) nous dénommerons ce type d’évaluation par le terme d’« évaluation instituée ». Le terme « instituée » souligne le fait que cette dernière est un « acte délibéré et socialement organisé aboutissant à la production de

jugement de valeur ». La notion de « jugement de valeur » renvoie ici plus à l’idée d’un

« travail de la valeur » intellectuel caractérisé par son historicité au travers de l’estimation, de l’appréciation et de la comparaison, qu’à l’idée de sanction définitive rendue par une instance décisionnelle (Lecointe, 1997).

Ces caractéristiques conduisent donc à distinguer nettement les évaluations instituées des évaluations implicites et spontanées que nous avons précédemment définies. Toutefois, elles ne nous permettent pas d’affirmer que les évaluations instituées ne sont pas le « lieu » d’une forme d’évaluation spontanée. Ainsi, l’analyse des évaluations institutionnelles du système éducatif montre que ces dernières ne sont pas toujours mises en regard des finalités sociales, éthiques ou professionnelles qui servent de référents à la démarche évaluative ou des finalités que poursuivent les évaluations (Lecointe, 1997 ; Dutercq, 2000). De même, les travaux de Jorro (2006b) soulignent qu’au-delà des systèmes de valeurs officiels, les pratiques évaluatives des acteurs de l’éducation et de la formation s’actualisent dans des ethos singuliers, entre enchâssement des imaginaires (de performance, de maîtrise, de construction et de compréhension) et circulation des postures (de juge, de contrôleur, d’expert, de conseiller et de consultant). Selon cet auteur, l’efficacité opératoire de ces systèmes de valeurs et d’actions ou implicites nécessite de professionnaliser ces pratiques par une formation spécifique articulée autour d’un véritable référentiel des compétences d’évaluation (Jorro, 2006a).

Cette définition des évaluations instituées ne recouvre pas non plus totalement la distinction théorique proposée par Ardoino et Berger (1989) entre les pratiques d’évaluation

4 Voir par exemple le décret n° 2006-1334 du 3 novembre 2006 relatif à l’organisation de l’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

et les pratiques de contrôle. L’examen des méthodologies mises en œuvre dans le cadre des pratiques d’évaluation instituée montre en effet que celles-ci comportent généralement une opération de contrôle (de Ketele & Roegiers, 1991). De plus, les travaux de Lecointe (1997) ont montré que la construction explicite ou implicite du référentiel spécifique de chaque démarche d’évaluation s’opère en regard ou en opposition à des systèmes de valeurs sociaux, éthiques, culturels, etc. préexistants (Figari, 1994). Par conséquent, devant la multiplicité et la diversité des pratiques de terrain présentées comme des évaluations (Jorro, 2006a), nous nous autorisons à définir à la suite de Barbier (1990) et Lecointe (1997) l’évaluation instituée comme :

- une pratique socialement reconnue et organisée comme telle dans un cadre institutionnel, - une pratique qui fait l’objet d’une réflexion spécifique ou à tout le moins d’une démarche méthodologique formalisée,

- une pratique qui mène à la production d’une estimation de la valeur d’un produit, d’une situation, d’un processus (activité, projet, politique), d’un « acteur » individuel, organisationnel ou institutionnel, en référence à des objectifs, à des critères ou à des indicateurs plus ou moins explicites.

Nous nous intéressons donc dans cette partie de la thèse aux pratiques d’évaluations instituées c'est-à-dire des pratiques qui bénéficient d’une reconnaissance symbolique (éventuellement inscrite dans des textes de loi) et matérielle (financement et organisation de ces évaluations, formalisation spécifique) au sein d’institutions diverses. Nous considérons que ces institutions peuvent être des ministères publics (e.g. la Direction de l'Évaluation, de la Prospective et de la Performance du Ministère de l’Éducation Nationale), que des instances professionnelles reconnues (évaluation par les pairs des compétences des candidats à l’exercice d’une profession) ou des champs scientifiques (évaluation de la qualité des travaux soumis à une revue scientifique par un comité de lecture). Deux catégories d’évaluations instituées peuvent être élaborées en regard de leur objet d’après Barbier (1990) : il s’agit d’une part de l’évaluation des activités5 et des productions des agents (individuels ou collectifs) qu’ils soient en formation ou en situation d’exercice professionnel et d’autre part de l’évaluation des politiques, de l’action publique et des projets des organisations. Afin de poursuivre la conceptualisation de « l’évaluation » nous allons donc en observer l’émergence et le développement dans les champs de l’éducation et de la recherche dans le chapitre suivant.

5 Il faut cependant souligner à la suite de Monteil (1990) que de nombreuses démarches présentées comme des évaluations d’actes d’individus (actes d’apprentissage, actes de travail) se révèlent en pratique être des évaluations de la personne ou de la personnalité.

2.1.2. Le mouvement de rationalisation des politiques de formation et de

recherche

Depuis le milieu des années 1980, les pratiques d’expertise et d’évaluation se sont développées jusqu’à la « profusion de pratique et (...) la confusion de sens » (Lecointe & Rebinguet, 1994 : 7). D’après Monnier (1992), ce mouvement émerge toutefois dès les années 19606 avec les méthodes de rationalisation technico-économique de l’action publique. Nous allons donc observer plus précisément le rôle croissant attribué et déclaré des évaluations instituées dans l’élaboration des politiques et des actions d’éducation et de formation tout d’abord, et ensuite dans la régulation des politiques d’enseignement supérieur et du champ professionnel universitaire.

Cette évolution s’observe particulièrement dans les transformations des modes de construction et de mise en œuvre des politiques d’éducation. En effet, les pratiques d’évaluation ont été progressivement formalisées dans la perspective affichée de contribuer à l’optimisation de la prise de décision en vue d’atteindre les objectifs d’éducation. Les travaux de Charlot et Beillerot (1995) sur les politiques françaises d’éducation et de formation montrent que les pratiques d’analyse des besoins et de rationalisation planificatrice a priori se sont tout d’abord développées dans cette perspective de 1950 à 1970. Dans le prolongement de ce mouvement, les années 1980 ont vu se multiplier les démarches évaluatives menées par des spécialistes des Sciences de l’éducation7 à la demande du Ministère de l’Éducation Nationale ou à un niveau plus local8. Cependant, la création de la Direction de l’Évaluation et de la Prospective au sein du Ministère de l’Éducation Nationale en 1987 visait à rendre compte plus régulièrement des évolutions du système éducatif par des évaluations ex post9 et à fournir à tous les acteurs du système éducatif des outils informationnels nécessaires à la conduite de leurs actions10.

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L’histoire des pratiques d’évaluation en France montre cependant que, pour peu qu’on ne se limite pas au domaine judiciaire, « les occasions n’ont jamais manqué pour que les détenteurs de quelques savoirs soient appelés à statuer sur des faits et à tenir sur eux un discours de vérité. » (Fritsch, 1985 : 21). L’auteur évoque ainsi la multiplication des experts au XVIe siècle, dont des jurés-arpenteurs ou autres experts-entrepreneurs.

7 Ces commandes sont liées à des réformes politiques : Rapport Soubré sur la décentralisation, De Perreti sur la formation des personnels, Legrand sur les collèges, Prost sur les lycées. Plus récemment, on peut citer en exemple : le rapport Meirieu (1998) sur la rénovation des lycées, la contribution de l’équipe ESCOL pour les Assises des ZEP en 1998, le rapport de Dubet et Duru-Bellat sur les collèges (2000) et le rapport Thélot sur l’école (2004).

8 Nous pouvons citer l’évaluation des Projets d’Action Éducative par Figari et al., 1986) ou plus récemment les diagnostics-conseils préalables à l’élaboration des politiques éducatives locales (Fournet et al., 2001).

9 Voir par exemple la publication annuelle des trente indicateurs de « coûts-activités-résultats » dans « L’état de l’école ».

10 Les évaluations nationales des compétences des élèves de CE2-6ème sont ainsi censées produire des données utiles au pilotage des politiques éducatives et au réajustement des pratiques pédagogiques des enseignants (Normand & Derouet, 2007).

Toutefois, les discours institutionnels tendant à mettre en exergue une maîtrise des décisions et des actions au regard de la production et de l’analyse d’informations essentiellement chiffrées, concernent également la gestion des « parcours individuels » d’éducation. D’une manière générale, on observe tout d’abord que les fonctions de comparaison, classement, orientation, sélection11 des individus que remplit le système éducatif se sont intensifiées au cours du XXe siècle (Dauvisis, 1991). Dans un mouvement connexe les procédures d’attribution de notes, de passation d’examens et de délivrance de diplômes en vue de la certification de la qualification des individus en formation ont été l’objet d’une exigence de technicisation. Ainsi, la docimologie ambitionnait dans les années 1920 de contribuer à la mise en œuvre d’une évaluation instituée respectant au mieux les principes d’égalité de traitement des candidats au moyen de tests « objectifs » (QCM, items à appariement, etc.).

L’observation des politiques de recherche et d’enseignement supérieur montre également des transformations similaires à celles que nous avons repérées dans le champ éducatif. Ainsi, aux pratiques prospectives de planification des politiques scientifiques mises en œuvre dès les années 1946 (Pollak, 1976) ont été adjoints des grands rapports d’évaluation confiés à des chercheurs au début des années 1980 (Carraz12, 1983). Mais c’est l’installation du Comité National d’Évaluation en 198513 qui souligne l’institutionnalisation des démarches formalisées d’évaluation des universités en France, bien que nombre d’instances et de conseils plus ou moins pérennes chargés d’évaluer la recherche et l’enseignement supérieur aient été créées14 dans les années 1980-1990. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement de développement de l’autonomie décisionnelle, économique et pédagogique des universités vis-à-vis de leur administration de tutelle (Musselin, 2001). Mais cette évolution souligne aussi le maintien des outils de contrôle ex ante et ex post sur les universités, à travers les processus de contractualisation15 fixant les objectifs et allouant les moyens afférents. Dans une perspective

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Selon Barbier (1990 : 45), on assiste depuis le début du XXe siècle à la « mise en place progressive au sein de l’appareil de formation français d’un dispositif de plus en plus complet de dépistage-orientation-suivi-sélection des individus ».

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Le rapport Carraz (1983) est une évaluation de la recherche en éducation réalisée par des chercheurs tels que Vergnaud, Tanguy ou Isambert-Jamati.

13 Le Comité National d’Évaluation avait été créé suite à la Loi sur l’enseignement supérieur de 1984 (article 65). Le Comité National d’Évaluation de la Recherche été institué en 1989 suite à la Loi relative à la recherche et au développement technologique de 1985. Ce comité a pour rôle d’évaluer la mise en œuvre des politiques publiques de recherche et les grands organismes de recherche. A partir de 2007, les activités évaluatives de ces instances seront intégrées à la nouvelle Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

14 Par exemple l’Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (1983), le Conseil National de la Science (1988), l’Observatoire des Sciences et des Techniques (1990), le Conseil National du Développement des Sciences Humaines et Sociales (2000).

15 Depuis la Loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur (art. 20) et surtout depuis la circulaire ministérielle du 24 mars 1989, les universités signent avec le Ministère de l’Éducation Nationale un contrat

fonctionnaliste, les évaluations instituées sont alors considérées comme un nouvel outil de régulation des politiques publiques d’éducation, intégré16 à l’action elle-même et au processus décisionnel (De Ketele, 1993).

Enfin, on observe également un mouvement de technicisation croissante de la conduite des avtivités professionnelles au cours du XXe siècle (Barbier, 1990). Or cette rationalisation17 passe aujourd’hui moins par une autorité traditionnelle que par le développement des pratiques de repérages fins et d’évaluations instituées des caractéristiques individuelles des personnes au travail : car « dans l’organisation rationnelle du travail, le problème de

l’évaluation des aptitudes des individus et de leur valeur professionnelle est au centre du dispositif de traitement du fonctionnement humain de l’entreprise (...) » (Sainsaulieu, 1976 :

31 ; cité par Barbier, 1990 : 47). Dans cette perspective, des instruments de mesure des différences inter-individuelles de plus en plus qualitatifs et personnalisés vont être développés notamment dans le champ de la psychologie du travail18 (Blanchard, 2007). Si ces observations caractérisent essentiellement le monde de l’entreprise, il n’en reste pas moins que dans le champ professionnel de l’enseignement supérieur et de la recherche auquel nous nous intéressons, les démarches d’évaluation par les pairs de la discipline d’appartenance sont de plus en plus exposées au regard de dispositifs techniques (e.g. normes, procédures, etc. ; voir la partie 2.2.1).

De même, les critères des évaluations instituées des dossiers des candidats à l’inscription sur la liste de qualification aux fonctions de maître de conférences de certaines sections du Conseil National des Universités sont de plus en plus explicites quant au nombre et à la nature des publications attendues ou à l’étendue exigée des expériences d’enseignement dans le supérieur. Les processus d’évaluation des demandes de reconnaissance des unités de recherche auprès des ministères de tutelle et qui débouchent sur l’attribution d’une note19 font également de plus en plus appel à des indicateurs scientométriques standardisés. Les expertises de l’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (2007) concernant leurs principales missions. Plus largement aujourd’hui, les universités doivent construire un projet d’établissement quadriennal dont une partie est l’objet d’un contrat de développement avec le Ministère.

16 Dans le cadre d’une transformation des modalités du management public, ces évaluations formalisées pourraient d’ailleurs participer à la mise en œuvre d’un nouveau cadre normatif d’« obligation de résultats » émergeant dans l’enseignement supérieur aux dépens d’une « obligation de moyens » plus classique (Lessard & Meirieu, 2004) (voir le chapitre 2.2.1).

17 Entendue comme l’organisation d’une activité ou d’une action à partir d’une étude (scientifique, technique, économique…) afin d’adapter efficacement les moyens aux objectifs (d’après Le Petit Robert, 2000).

18 Voir par exemple : les tests psychométriques, la technique d’évaluation coopérative des compétences, les questionnaires d’intérêts ou de personnalité, les tests de professionnalité.

19 L’ensemble des éléments de l’évaluation conduit à un commentaire et à une note (A+ = excellente unité de recherche, A = très bonne unité, B = bonne unité, C = unité fragile ou en difficulté, D = unités non reconnues).

pour identifier les enseignants-chercheurs « publiants » dans les unités de recherche reposent ainsi sur des objectifs quantitatifs de productivité.

Nous avons observé le développement des pratiques formalisées d’évaluation appréhendées comme méthode ou outil20 d’accompagnement de l’action publique et des activités professionnelles, notamment dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le développement des pratiques formalisées d’évaluation y apparaît en tension entre des visées21 « autonomisantes » et transformatives et des fonctions plus « technocratiques » (Étienne et al., 2007). Selon certains spécialistes de l’action publique, l’évaluation est d’ailleurs une réponse au paradigme technocrate qui prévalait notamment au début des années 1960 avec l’expérience de la Rationalisation a priori des Choix Budgétaires (Crozier, 1989). Il n’en reste pas moins que quels que soient leurs buts ou leur objet d’application ces évaluations participent d’une forme de régulation instrumentale de la prise de décision et de la conduite de l’action. L’analyse du développement des pratiques instituées d’évaluation nous conduit donc à compléter notre définition de ce concept comme une démarche instrumentée, socialement reconnue et organisée comme telle, qui mène à la production d’une estimation de la valeur supposée participer d’une « maîtrise à la fois

conceptuelle, opérationnelle et fonctionnelle des actions et des projets collectifs et individuels » (Donnadieu, 2001 : 25).

2.1.3. Évaluations dans l’enseignement supérieurs, valeurs et valorisation des

travaux de recherche

La section précédente nous a conduit à analyser le développement des évaluations instituées comme l’émergence d’une « technologie sociale », « instrument de rationalisation

de l’action organisée » (Demailly, 2000 : 22). Toutefois, cette instrumentation

méthodologique et cognitive peut s’ancrer dans différentes formes de rationalité : ainsi, l’évaluation institutionnelle peut répondre de manière non exclusive à une rationalité managériale, à une rationalité juridique ou encore à une rationalité éthico-politique (Lecointe, 2007). Or selon cet auteur, chaque type de rationalité renvoie à un système spécifique de

20 Les termes de méthode et d’outil s’entendent ici au sens large, et ils ne désignent pas uniquement les rapports d’évaluation et leurs registres de recommandations mais également l’ensemble des dispositifs sociotechniques et des processus de traduction qui peuvent caractériser la mise en œuvre de ces démarches : la contractualisation, le fonctionnement d’un comité de pilotage ou de suivi de la démarche évaluative, la réalisation d’une enquête de terrain, la restitution du rapport final, etc. (Bedin, 2004).

21 Les recherches menées sur les pratiques effectives d’évaluation montrent que ces dernières remplissent des fonctions variées (Demailly, 2000): une source d’innovation, un moyen de développement professionnel, une démarche de production de connaissances, un outil de mise en concurrence dans un quasi-marché scolaire, un marché de l’évaluation en Angleterre, un dispositif sociotechnique de mobilisation des acteurs, un outil de négociation, un dispositif de confirmation d’une décision prise en amont...

valeurs : la rationalité managériale s’attache essentiellement à l’efficacité des actions évaluées tandis que la rationalité éthico-politique poursuit le bien social et culturel produit.

A l’opposé de l’apparente neutralité axiologique affichée dans certaines définitions de l’acte évaluatif (cf. Stufflebeam), l’évaluation instituée apparaît bien comme une opération, une « manipulation » ou un « travail » de la valeur qui, tout au plus, tente de proposer une définition explicite des critères et des indicateurs qui permettent d’objectiver la production du jugement. De la sorte, Hadji (1993 : 25) définit l'évaluation comme étant :