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1.4 Terminologie et notations

2.1.2 Le développement de Taylor

2.1.2.1 Histoire et enjeux

Au cœur des sémantiques quantitatives qui cherchent à rendre compte de la consommation de ressources nécessaires au calcul, à la normalisation, aux

quantités à l’œuvre en général dans la dynamique de la réduction, se trouve le

développement de Taylor. D’abord introduite par Ehrhard et Regnier pour le

λ-calcul [ER03], cette construction a été adaptée par les mêmes auteurs aux

réseaux de preuve [ER05].

On a déjà vu que l’une des propriétés remarquables de la Logique Linéaire était d’isoler la duplicabilité d’une ressource en la caractérisant par un connec- teur dédié, à savoir !. Nous venons de voir par ailleurs que l’introduction d’une formule de la forme !A se faisait en calcul des séquents par la règle de promotion, et dans les réseaux par la construction des boîtes exponentielles.

Le développement de Taylor est une interface entre la syntaxe d’un système de preuve ou d’un modèle de calcul, et sa sémantique, qui rend compte de la duplication et consommation de ressources lors de l’exécution du calcul ou de l’élimination de coupures correspondant. Ce qui sous-tend sa définition est la possibilité de donner des approximations linéaires (en général multilinéaires) d’une preuve ou d’un terme.

En ce qui concerne les réseaux, les composantes sur lesquelles sera définie cette approximation sont les boîtes exponentielles (qui comme leur nom l’in- dique sont responsables de l’aspect non linéaire de l’élimination des coupures). Nous avons déjà vu en figure 2.7 un exemple de duplication d’une boîte. Dans ce réseau, la boîte est dupliquée, mais les deux boîtes issues de cette duplica- tion peuvent elles-mêmes être sujettes à une duplication ultérieure, que nous ne pouvons pas contrôler depuis cette vue partielle de la structure.

Une approximation n-linéaire d’une boîte consiste en un réseau, sans boîte, dans lequel le contenu de ladite boîte apparaît n fois. Au lieu de disposer d’un objet infiniment duplicable, on dispose d’un objet déjà dupliqué, qui peut être consommé un nombre fini de fois.

Les approximations des réseaux de MELL sont définies dans des réseaux ne comportant pas de boîte, mais permettant néanmoins de démontrer des for- mules de la forme ?A. MLL est donc insuffisant. Le fragment dans lequel le développement de Taylor correspond aux réseaux différentiels sans boîte, que l’on appellera DLL0, ou encore réseaux à ressources, par analogie avec le λ- calcul à ressources. Le développement de Taylor pour le λ-calcul usuel est défini dans ce dernier, qui correspond au fragment du λ-calcul différentiel dans lequel toutes les applications sont multilinéaires.

En plus des connecteurs de MELL, DLL0 comporte des opérateurs diffé- rentiels qui sont la cocontraction, c, le coaffaiblissement, a, et la codéréliction,

d. Les réseaux définis dans cette nouvelle syntaxe ne permettent pas la dupli-

cation ni la suppression de composantes du réseau, mais permettent de simuler le comportement des boîtes. Les réseaux différentiels complets, avec les boîtes, sont étudiés à part pour leurs propriétés sémantiques et calculatoires, mais ne sont pas l’objet de nos travaux car ils n’ont pas la propriété d’être munis de ré- ductions exclusivement linéaires (à cause de la présence des boîtes justement). Pour autant, les réseaux à ressources sont inclus dans les réseaux différentiels, et en cela héritent de tous les résultats généraux concernant ces derniers. On peut

citer par exemple le résultats de confluence de Tranquilli [Tra09], et le théorème de conservation de Pagani et Tranquilli [PT17] (bien que la confluence pour les réseaux à ressources fusse établie isolément par Ehrhard et Regnier).

· · ·P ?A1 ?An !A d p1 ?A1 ?An A !A d p2 ?A1 ?An A !A c c c ?A1 ?An !A

Figure 2.8 – Une boîte exponentielle et son approximation 2-linéaire. Nous illustrons en figure 2.8 une boîte exponentielle et son approximation 2-linéaire. C’est-à-dire le réseau à ressources comportant deux copies du contenu de la boîte. p1 et p2 doivent être définis comme des approximations 2-linéaires de P , de façon à ce que ce mécanisme d’approximation se propage à toutes les profondeurs. On remarquera que le typage est préservé : P est un réseau de conclusions ?A1, . . . , ?An, A, et l’exponentielle !A est issue de la boîte. Le type

du réseau à ressources est le même, mais obtenu par les connecteurs différentiels. Le développement de Taylor consiste alors à partir d’un réseau de MELL, et de considérer (inductivement sur la profondeur) pour chaque boîte une ap- proximation n-linéaire pour un n ∈ N arbitrairement choisi pour cette boîte (le nombre de copies n’est pas uniforme sur l’ensemble des boîtes). On capture donc le comportement d’un réseau avec boîtes exponentielles en prenant une infinité d’approximations multilinéaires. Le développement de Taylor est un ou- til puissant pour la sémantique de la Logique Linéaire. Il permet par exemple d’établir des résultats d’injectivité du modèle relationnel, comme le fait de Car- valho [dC15], et après lui Guerrieri, Pellissier et Tortora de Falco [GPT16]. Les mêmes auteurs ont également proposé une élégante présentation du développe- ment de Taylor à partir de produits fibrés dans les catégories, en partant d’une syntaxe pour les réseaux basée sur la théorie des graphes [GPT19].

De plus amples détails ainsi que les définitions générales seront donnés en section 2.5.

2.1.2.2 Le problème de la convergence

La difficulté qui se pose concerne la dynamique que nous voulons construire dans le développement de Taylor. En effet, nous traitons avec des ensembles infinis de réseaux à ressources, qui correspondent à des points de la séman- tique relationnelle, mais dont on veut étudier les mécanismes de réduction et de normalisation.

Nous voulons rendre concrète l’intuition selon laquelle une infinité d’approxi- mations d’un réseau, prise dans sa totalité, se comporte de la même façon que le réseau approché. Pour cela, le résultat vers lequel nous tendons est le suivant : si un réseau P de MELL se réduit en un réseau Q, alors le développement de Taylor de P se réduit dans le développement de Taylor de Q. Cette propriété est assez bien comprise quand elle renvoie à la sémantique, et elle se vérifie dans certains modèles quantitatifs. En revanche, elle n’est pas aussi claire dans la syn-

taxe. En particulier parce qu’elle demande de définir une notion de réduction entre des séries infinies de structures.

Cela est loin d’aller de soi. En effet, considérons une série P

i∈Iaipi de

réseaux à ressources pi, prenant leurs coefficients ai dans un semi anneau S.

Nous considérons un semi anneau (avec fractions, voir section 1.4) quelconque de façon à rester assez général pour que nos résultats restent valables dans la plus grande variété possible de modèles.

Pour montrer qu’une somme de réseaux comme celle présentée ci-dessus revêt un certain comportement dynamique, il faut s’assurer que définir une réduction qui agit sur une telle somme est possible, ne pose pas de contre- indication algébrique.

Avant de comprendre le problème relatif aux coefficients, il nous faut com- prendre pourquoi l’on ne peut se contenter d’une réduction simple sur les réseaux à ressources et l’on doit introduire une réduction parallèle. Dans la mesure ou nous souhaitons montrer dans un premier temps qu’une approximation d’un ré- seau de MELL peut simuler sa dynamique, nous devons considérer toutes les réductions de MELL possibles et en particulier les réductions internes.

Revenons à la figure 2.8, et imaginons qu’il existe une réduction interne à la boîte, de façon à ce qu’on ait P → P0. On comprend bien dans ces conditions que le réseau à ressources qui était une approximation de P n’en est pas un de P0. Pour simuler la réduction, il faut que les deux copies de la boîte soient soumises à une étape de réduction, de façon à ce que l’on ait deux copies d’une approximation de P0 après réduction. On définit donc une réduction notée qui autorise la réduction d’un nombre arbitraire de coupures apparaissant dans un réseau à ressources (les nouvelles coupures, engendrées par la réduction ne peuvent cependant pas être réduites dans la même étape).

Donnons maintenant l’exemple d’une série de réseaux φ = P

n∈Npn où pn

est défini comme une suite de n axiomes reliés deux-à-deux par une coupure, illustré en figure 2.9. ax cut ax cut n · · · q

Figure 2.9 – Un exemple de de réseau pn, se réduisant en parallèle en un même

réseau q pour tout n ∈ N

On constate que pour tout n, pn⇒ q : la réduction parallèle autorise l’élimi-

nation simultanée de toutes les coupures d’axiomes présentes dans pn. Nous vou-

lons maintenant étendre la réduction parallèle aux sommes infinies de réseaux, de façon à pouvoir considérer le développement de Taylor dans son ensemble et en étudier le comportement

Si l’on considère que dans la combinaison φ, chaque pn a un coefficient 1, et

que la réduction parallèle peut être appliquée à chaque argument de la somme, en une unique étape, notée ⇒, alors on peut écrire φ ⇒ ∞ · q. En effet, une infinité de réseaux dans φ se réduisent en q, et le coefficient obtenu est alors bien P

n∈N1, qui n’est pas un coefficient défini dans n’importe quel semi-anneau.

Si le semi anneau S n’est pas complet (ce peut être le cas, comme pour le mo- dèle relationnel pondéré de Laird, Manzonetto, McCusker et Pagani [LMMP13],

mais ça ne l’est pas dans les espaces de finitude de Ehrhard [Ehr05], par exemple), toutes les sommes ne convergent pas, et en particulier le coefficient donné ci- dessus n’apparaît pas dans S.

La démarche que nous nous emploierons alors à suivre consiste à montrer que le développement de Taylor ne donne pas lieu à des sommes arbitraires de réseaux à ressources. Ses éléments jouissent de certaines propriétés structurelles et géométriques qui empêchent les coefficients infinis d’apparaître pendant la réduction parallèle appliquée à toute la série.

Ce problème, ainsi que diverses méthodes de résolution, a déjà été pré- senté pour différents λ-calculs. D’abord par Ehrhard et Regnier pour le λ- calcul pur [ER08], puis pour des calculs avec choix non déterministes, par Eh- rhard [Ehr10] puis par Pagani, Tasson et Vaux Auclair [PTV16], et plus tard pour le λ-calcul algébrique [Vau09] par Vaux Auclair [Vau17]. La méthode que nous développerons est inspirée de ce dernier. Elle consiste à remplacer la no- tion de profondeur structurelle des λ-termes par une mesure relative aux chemins d’interrupteurs (dans le sens de Danos-Regnier) dans les réseaux.

L’essentiel de notre approche, qui suit celle de Vaux Auclair, consiste alors à contrôler la perte de taille des réseaux sous réduction parallèle en utilisant des mesures sur les chemins. La propriété de convergence sera alors conséquence du fait qu’il n’existe qu’un nombre fini de structures n’excédant pas une taille donnée.

On peut, à titre d’exemple, revenir à la figure 2.9 pour se convaincre que la perte de taille par réduction parallèle entre chaque pn et q n’est pas bornée. Le

fait qu’il existe dans chaque pn un chemin rencontrant un nombre non borné

(car supérieur à n) de coupures sera le point clef de notre approche, pour exclure des séries dégénérées de structures comme celle-là.