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5.4. Le point de vue des parents sur développement de la relation d’attachement avec

5.4.2 Le développement de l’attachement chez les parents

Au début du placement, quatre répondants ont nommé qu’ils gardaient une certaine retenue émotive dans leurs interactions avec l’enfant qu’ils hébergeaient afin de se protéger psychologiquement. Conscients que l’enfant était susceptible de les quitter pour réintégrer sa famille biologique, ces parents préféraient s’en tenir au rôle de « donneurs de soins », en gardant une certaine distance émotionnelle avec l’enfant. Une participante souligne, à cet égard, qu’il s’agit aussi d’une question de tempérament, car elle a tendance à être plus réservée dans ses relations et à laisser l’amour se développer graduellement.

Au début, j’étais plus caretaker, je prodiguais des soins. C’était plus une job pour moi, mais je ne m’en étais pas rendue compte. Je m’étais créé comme un : « non, je ne peux pas aller vers l’émotion » (Anne-Sophie, 28 ans).

Je dirais qu’au début, quand j’ai les enfants, j’essaie de me garder une petite gêne, dans le sens que je me garde une réserve. Mais moi, je ne suis pas une personne hyper affectueuse, alors au départ j’ai toujours une petite distanciation avec le monde. Moi, l’amour vient graduellement et je n’ai pas d’attente envers personne, ça va aller comme ça vient (Laurie, 54 ans).

Cette distance émotionnelle était particulièrement présente chez une répondante, qui avait vécu auparavant une expérience éprouvante en accueillant un enfant en famille d’accueil, pour finalement le voir retourner dans sa famille biologique. Vivre l’expérience pour une deuxième fois a fait en sorte qu’elle entretenait des craintes à l’effet que sa fille soit réintégrée dans sa famille biologique, ce qui a freiné l’établissement d’une relation d’attachement avec cette dernière.

Avec ma fille, on a été famille d’accueil et on était échaudé. On le savait qu’on était famille d’accueil au début, moi je le sais que ça été plus long avant que je m’attache à elle parce que ça nous a pris quand même du temps à décider de se donner une deuxième chance, ça n’a pas été d’emblée (Annie, 45 ans).

Malgré l’incertitude entourant l’issue du placement, quatre participants ont toutefois souligné que le lien affectif avec leur enfant s’est créé rapidement. Pour un père, ce lien s’est fait automatiquement, dès que l’enfant a intégré sa famille d’accueil. Étant donné les propos du juge à l’effet que les parents biologiques avaient peu de chance de récupérer la garde de l’enfant, ce répondant s’est senti confiant dès le départ et s’est engagé sans réserve dans son rôle paternel. Une participante a, quant à elle, souligné qu’il était impossible de ne pas rapidement développer un lien avec un bébé nécessitant des soins constants. Malgré l’anxiété qu’elle ressentait au départ, cette mère a créé facilement un lien avec son enfant qui comptait alors seulement quelques jours de vie. Finalement, une répondante a souligné que le congé parental a permis à son conjoint et à sa fille de développer un beau lien, et ce, dès le début du placement.

À partir du moment où on est allé la chercher dans la famille temporaire où elle était, il n’y avait pas de questions. À partir du premier soir, c’était notre enfant. On était conscient qu’il y avait un délai à respecter, je n’ai jamais regardé l’option qu’elle pouvait repartir, il ne fallait pas, ça ne m’a jamais même effleuré l’esprit. Je suis toujours parti avec l’idée que le juge avait mentionné que c’était comme une cause perdue et, à partir du moment où elle est arrivée chez nous, c’était mon enfant (Jonathan, 48 ans).

Le lien, il vient assez rapidement. Tu t’occupes d’un bébé naissant, ça été assez direct. Autant que la première soirée qu’il est arrivé j’étais anxieuse, j’avais mal au cœur, au ventre : « est-ce que j’ai bien fait? c’est un bébé, il a 5 jours », j’étais comme nerveuse, mais finalement ça a super bien été (Charlotte, 35 ans).

Au fil du temps, même les participants (n=3) qui étaient plus réticents au départ ont finalement été rattrapés par leurs sentiments envers leur enfant. À ce sujet, deux répondants ont plus spécifiquement mentionné que leur lien d’attachement s’est

réellement construit lorsqu’ils ont su que leur enfant ne retournerait pas dans sa famille biologique. Ils se sont alors sentis rassurés quant au risque de perdre leur enfant, ce qui a contribué à faciliter l’établissement de la relation d’attachement avec ce dernier.

À un moment donné, tu te fais pogner, même si tu as essayé, tu ne peux plus et ça ne prend quand même pas si longtemps que ça. Je pense qu’après un an, c’était fait à 100 % de la même façon que là je le vis. Il y un poids de moins quand on adopte, qu’on a pu, mais la façon que tu interagis avec l’enfant ça ne parait pas nécessairement ce poids-là que tu avais et que tu n’as plus (Anne-Sophie, 28 ans).

Notre fille, on a eu peur de la perde aussi. C’est peut-être à partir de là que l’attachement a commencé à se faire, quand on a su qu’on ne la perdrait pas. En même temps la famille biologique n’était pas là, ça a été super (Pier-Luc, 41 ans).

Depuis l’adoption, tous les répondants (n=8) nomment que le lien d’attachement est définitivement créé avec leur enfant. Alors que certains répondants (n=3) soulignent que l’adoption n’a rien changé à cet égard, puisqu’ils étaient déjà attachés à leur enfant, d’autres (n=2) affirment que l’adoption a mis fin à leurs inquiétudes et à leur sentiment d’ambivalence. Plus spécifiquement, deux répondants sont d’avis que l’adoption concrétise officiellement leur projet familial, cet aboutissement étant même comparé à un accouchement par une participante.

Quand j’ai accouché de mes deux autres enfants, mon conjoint était avec moi, ma mère était de l’autre bord de la porte, elle attendait. C’est la même affaire [avec l’adoption]. Ma dernière, quand elle est arrivée chez nous et le temps qu’elle a été placée, c’était comme ma grossesse. Quand on est passé devant la cour, c’était comme l’accouchement, mon conjoint était là, les enfants étaient là, mes parents étaient là, c’était comme l’accouchement. On est reparti de là avec notre bébé, ce n’est juste pas la même grossesse, tu comprends, mais ce sont les mêmes sentiments. C’est dans nos trippes, comme les deux autres dans le fond (Myriam, 47 ans).

Le tableau 3 fait une synthèse des manifestations d’attachement rapportées par les répondants, tant en ce qui concerne l’enfant que le parent d’accueil, et ce, pour trois

Tableau 3

Synthèse des manifestations d’attachement chez l’enfant et le parent d’accueil

Enfant Parent d’accueil

Au début du placement Passivité / retrait (n=4) Hypervigilance (n=3) Besoin de réconfort (n=1) Distance émotionnelle (n=4) Proximité émotionnelle (n=4) Pendant le placement Épanouissement (n=5) Réserve ou timidité dans les contacts (n=3)

Proximité émotionnelle (n=8)

Depuis l’adoption Bonheur et épanouissement (n=8)

Insécurité dans certaines situations (n=2)

Lien d’attachement définitivement créé (n=8)