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CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE

1.4 Le développement d’interventions

1.4.3 Le développement d’outils d’intervention

Il y a peu de données sur comment développer le contenu d’une intervention ou les outils qui serviront d’intervention. La Théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) est une des rares théories à fournir des indications précises sur comment développer un questionnaire basé sur cette théorie. C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer sa grande popularité. Premièrement, le questionnaire doit porter sur les croyances saillantes modales d’une population. Les croyances saillantes modales sont les croyances spontanées les plus souvent exprimées par les individus d’une population (Ajzen, 1991). Afin d’obtenir ce type de croyances, il est nécessaire de questionner des personnes ayant des caractéristiques similaires à celles de la population cible. Par exemple, pour identifier les croyances comportementales (croyances sous-jacentes à l’attitude), il faut questionner les individus sur les avantages et les inconvénients associés à l’adoption du comportement ciblé. Pour identifier les croyances normatives (croyances sous-jacentes à la norme subjective), il faut leur demander quelles personnes approuveraient ou désapprouveraient qu’ils adoptent le comportement. Enfin, pour identifier les croyances de contrôle (croyances sous-jacentes à la perception du contrôle comportemental), il faut interroger les individus sur les facteurs qui peuvent faciliter (facteurs facilitant) ou nuire (barrières) à l’adoption du comportement. Ajzen et Fishbein (1980) suggèrent trois critères pour identifier les croyances saillantes modales d’une population. Le premier critère implique de retenir les 10 ou 12 croyances les plus souvent exprimées par la population. Le deuxième critère consiste à retenir uniquement les croyances dont la fréquence de mention atteint un pourcentage précis tel que 10%. Le troisième critère est de retenir les

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croyances les plus souvent exprimées jusqu’à ce qu’un pourcentage précis du nombre total de croyances soit atteint. Le troisième critère est la méthode la plus populaire pour identifier les croyances saillantes modales d’une population et 75% est le pourcentage le plus souvent utilisé.

La technique d’activation des intentions ne découle pas de la Théorie du comportement planifié malgré que certains auteurs suggèrent d’ajouter l’activation des intentions à cette théorie (Rise, Thompson, & Verplanken, 2003). Par contre, les étapes pour développer un questionnaire basé sur la Théorie du comportement planifié peuvent être utilisées pour développer le contenu d’un questionnaire sur l’activation des intentions. Ainsi, il est possible de questionner les individus de la population cible sur les principales barrières et solutions pour surmonter ces barrières et le critère de 75% peut être utilisé pour identifier les croyances saillantes modales de la population. Ceci permettra de développer un outil d’intervention qui répond aux besoins de la population visée en ciblant les barrières qui les empêchent d’adopter le comportement et en utilisant des solutions proposées par celle-ci et donc probablement facilement applicables au quotidien. En fait, les interventions qui ciblent les barrières et qui fournissent des solutions adaptées aux besoins de la population cible augmentent leurs chances d’être efficaces pour changer le comportement et évitent le gaspillage de temps et de ressources (Baranowski, Cerin, & Baranowski, 2009). Les interventions qui ciblent les croyances basées sur une théorie sont d’ailleurs plus efficaces pour promouvoir les comportements liés à la santé (Webb, Joseph, Yardley, & Michie, 2010).

1.4.4 L’effet question-comportement lors de la complétion d’un questionnaire sur les croyances concernant un comportement lié à la santé

Le simple fait de répondre à un questionnaire sur les cognitions par rapport à un comportement peut amener la personne à adopter ce comportement. Ce phénomène est connu depuis quelques décennies dans le domaine de la psychologie sociale et plusieurs termes ont été proposés pour le désigner. Ce n’est que plus récemment que la psychologie de la santé s’est intéressée à ce phénomène (D. P. French & Sutton, 2010) et que l’expression «effet question-comportement» a été suggérée afin de diminuer la confusion entourant l’appellation de celui-ci (Sprott et al., 2006). Pourtant, l’effet question-comportement peut avoir un impact

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non négligeable dans le domaine de la psychologie de la santé. En effet, lors des études de prédiction du comportement, il est typique de questionner les individus sur leurs cognitions par rapport à un comportement tel que l’intention, l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle comportemental et d’ensuite mesurer leur adoption du comportement. Selon l’effet question-comportement, cela pourrait créer un biais puisqu’une proportion plus grande de personnes adopterait le comportement après avoir complété le questionnaire, ce qui ne refléterait pas le taux réel d’adoption du comportement chez la population visée. Ce ne serait plus simplement une étude de prédiction du comportement, mais plutôt une intervention en soi. Malgré ceci, présentement le biais causé par l’effet question- comportement n’est pas pris en compte par la majorité des grilles de classification des biais telle que celle de Cochrane et les mécanismes responsables de ce phénomène ne sont pas encore bien connus (McCambridge, 2015).

Une revue systématique récente a vérifié l’efficacité de l’effet question-comportement dans le domaine des comportements liés à la santé en s’intéressant uniquement aux essais cliniques aléatoires. Elle a déterminé que l’effet question-comportement avait un impact significatif sur les comportements liés à la santé et que ceci représentait une petite taille d’effet (d de Cohen = 0,09) (A. M. Rodrigues, O'Brien, French, Glidewell, & Sniehotta, 2015). Les comportements liés à la santé incluaient la consommation d’alcool, la pratique d’activité physique, les comportements sexuels, le don de sang, la passation d’un test de dépistage pour le cancer, la consommation de collations faibles ou élevées en matières grasses, l’utilisation de la soie dentaire, la passation d’un bilan de santé, l’adhésion aux recommandations médicales, la participation à un club de sports, la passation d’un test de dépistage pour la chlamydia, la vaccination, l’adhésion à la médication et le lavage des mains. Il y avait un effet question-comportement significatif pour l’utilisation de la soie dentaire (d de Cohen = 0,50), la pratique d’activité physique (d de Cohen = 0,20) et la passation d’un bilan de santé (d de Cohen = 0,06) (A. M. Rodrigues et al., 2015). L’effet question-comportement était non- significatif pour les autres comportements liés à la santé. Il est aussi important de préciser que l’impact de l’effet question-comportement sur le comportement demeurait significatif selon que 1) l’échantillon était composé d’étudiants ou non, 2) le questionnaire mesurait les cognitions, le comportement ou les deux, 3) le comportement mesurait l’attitude ou non, 4)

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l’intervention était administrée à l’aide de questionnaires ou d’entrevues et 5) le comportement était mesuré de façon objective ou auto-déclarée (A. M. Rodrigues et al., 2015). Bref, l’effet question-comportement dans le domaine des comportements liés à la santé serait plutôt robuste aux variations dans les caractéristiques des études.

Une autre revue systématique récente a vérifié l’impact de compléter un questionnaire basé sur la Théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) sur le comportement lors d’études prospectives. Compléter ce type de questionnaire permettait une diminution significative du comportement et ceci représentait une petite taille d’effet (d de Cohen = -0,03) (Mankarious & Kothe, 2015). La taille d’effet variait en fonction de la nature du comportement, du type de comportement (socialement désirable ou non) et de la durée du suivi. Il y avait une diminution significative des comportements non-désirables socialement (d de Cohen = - 0,28), tels que la consommation excessive d’alcool (d de Cohen = -0,17), la conduite automobile dangereuse (d de Cohen = -0,20) et la consommation de collations sucrées (d de Cohen = -0,43) (Mankarious & Kothe, 2015). Il y avait aussi une diminution des comportements de protection solaire (d de Cohen = -0,18). La mesure de l’intention au début de l’étude causait une diminution significative de l’adoption des comportements non- désirables. Les études qui portaient sur un comportement socialement désirable causaient une petite augmentation de l’adoption du comportement au suivi, mais cet effet n’était pas statistiquement significatif. Ainsi, la complétion d’un questionnaire basé sur la Théorie du comportement planifié n’avait pas d’impact significatif sur la pratique d’activité physique, l’adoption de pratiques sexuelles sécuritaires et la consommation de viande cuite à point (Mankarious & Kothe, 2015).

Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer l’effet question-comportement. Une première revue critique de la littérature scientifique a identifié dix mécanismes qui pourraient expliquer l’effet question-comportement (Dholakia, 2010). Deux mécanismes ont davantage retenu l’attention des chercheurs dans le domaine, soit l’accessibilité de l’attitude et la dissonance cognitive. Selon l’hypothèse de l’accessibilité de l’attitude, compléter un questionnaire sur les cognitions rendrait saillantes les cognitions latentes, en particulier l’attitude, par rapport à un comportement précis (Dholakia, 2010). En d’autres mots, les

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cognitions enfouies dans la mémoire seraient réactivées lors de la complétion du questionnaire. Par exemple, en complétant un questionnaire sur les croyances par rapport à la pratique d’activité physique, une personne pourrait se rappeler à quel point ce comportement à un impact positif sur son bien-être physique et mental, ce qui pourrait l’encourager à redevenir active. La dissonance cognitive est un concept qui provient de la Théorie de la dissonance cognitive de Festinger (1957). Elle est un état psychologique désagréable qui survient lorsqu’il y a divergence entre les cognitions et le comportement d’une personne. Comme la dissonance cognitive est désagréable, elle pousse l’individu à agir pour rétablir un équilibre entre ses cognitions et son comportement. Par exemple, un individu peut avoir des cognitions positives par rapport à la saine alimentation, mais avoir une alimentation de piètre qualité. En complétant un questionnaire sur ses cognitions par rapport à la saine alimentation, cela peut lui rappeler que son comportement actuel n’est pas congruent avec ses cognitions et le motiver à adopter une alimentation saine.

Plus récemment, une revue systématique a tenté d’identifier le principal mécanisme sous- jacent à l’effet question-comportement. Ses résultats indiquaient que faire une prédiction comportementale (p. ex.: Quelles sont les chances que vous adoptiez des pratiques sexuelles sécuritaires au cours du prochain mois?) avait un effet positif sur le comportement subséquent et que ceci représentait une petite taille d’effet (d de Cohen = 0,29) (Wood et al., 2015). Les questions sur l’intention (p. ex.: J’ai l’intention d’adopter des pratiques sexuelles sécuritaires au cours du prochain mois.) n’avaient pas un effet positif statistiquement significatif sur le comportement. Ceci indique que ce serait les prédictions comportementales qui auraient le plus grand impact sur le comportement et non les questions sur l’intention, l’attitude ou les autres construits de la Théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991). En fait, compléter un questionnaire basé sur la Théorie du comportement planifié n’avait pas un impact significatif sur le comportement. Il y avait aussi peu de données qui supportaient les autres hypothèses telles que l’accessibilité de l’attitude et la dissonance cognitive (Wood et al., 2015). L’effet question-comportement variait aussi en fonction du type de comportement (socialement désirable ou non), de la difficulté du comportement et du type d’échantillon (étudiant ou non). Les études qui ciblaient des comportements socialement désirables avaient un effet question-comportement positif significatif (d de Cohen = 0,19) alors que celles

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ciblant un comportement dangereux ou non-désirable socialement avaient un effet question- comportement négatif qui n’était pas statistiquement significatif. Pour l’ensemble des comportements dans le domaine de la santé, l’effet question-comportement était significatif et représentait une petite taille d’effet (d de Cohen = 0,29). L’effet question-comportement était plus important chez les échantillons étudiants (d de Cohen = 0,31) comparativement aux échantillons non-étudiants (d de Cohen = 0,12). Enfin, les analyses de méta-régression indiquaient que les comportements plus difficiles à adopter était associés à un plus petit effet question-comportement (β = 0,05; p = 0,04) (Wood et al., 2015).

En somme, plusieurs études ont documenté un effet question-comportement dans le domaine des comportements liés à la santé. Par contre, compléter un questionnaire basé sur la Théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) n’aurait pas un effet significatif sur les comportements, en particulier ceux socialement désirables. Plusieurs mécanismes pour expliquer l’effet question-comportement ont été avancés. Les données actuelles indiquent que ce serait les questions qui impliquent de faire une prédiction comportementale qui seraient responsables de l’adoption subséquente du comportement (Wood et al., 2015). Le mécanisme expliquant l’effet de ce type de question sur le comportement n’est pas encore connu. Enfin, l’effet question-comportement semble varier en fonction de deux principaux facteurs, soit l’échantillon (étudiant ou non) et le comportement (nature, type et difficulté du comportement). Les données actuelles à ce sujet sont toutefois contradictoires. Fait intéressant, l’activation des intentions a été suggérée comme une technique pour contrer l’effet question-comportement lorsqu’on questionne des adolescents à propos de comportements à risque (p. ex.: consommation d’alcool et de drogues, comportements sexuels à risque, conduite automobile dangereuse) (Gollwitzer & Oettingen, 2008).

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