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CHAPITRE 1 : CADRE THEORIQUE

1.2 LA POSTURE

1.2.2 Le contrôle de la posture

La posture est un phénomène actif qui fait appel à une activité motrice dite posturale (le tonus musculaire de posture), placée sous le contrôle du système nerveux (Massion 1992). Au début du siècle, Sherrington (1906) et un peu plus tard Magnus (1924) supposaient que l’équilibre du corps pouvait être maintenu grâce à la coordination d’activités réflexes segmentaires. Actuellement, il est aussi admis que le contrôle postural implique la

mise en œuvre de programmes sensori-moteurs acquis au cours de la maturation par apprentissage (Dietz, 1992 ; Shumway-Cook et Woollacott, 1995 ; Woollacott et al., 1996).

Les raisons de perdre l’équilibre sont nombreuses (forces externes, mouvements volontaires…). Afin de minimiser ces forces déstabilisantes et prévenir dans le cas extrême la chute, le système nerveux met en place des mécanismes de compensation qui s’expriment sous la forme d’ajustements posturaux. Ils constituent un ensemble coordonné de réponses motrices permettant de maintenir et/ou d’adapter une posture en réponse à une perturbation. C’est ainsi qu’André-Thomas (1940) distinguait, parmi les mécanismes neurophysiologiques impliqués dans les réactions posturales, les ajustements posturaux déclenchés par une perturbation inconnue du sujet (« réactions d’équilibration ») et ceux mis en jeu lors de la réalisation d’un mouvement volontaire qui résultent d’une anticipation (« équilibration action »). La classification de Gahery (1987) propose trois catégories d’ajustements posturaux en fonction de leur moment d’apparition par rapport à celui de la perturbation posturale (Fig. 21).

Figure 21 : Classification des ajustements posturaux en fonction de leurs apparitions par rapport celle de la perturbation. (D’après Gahery, 1987)

Les réactions posturales

Lorsque l’équilibre est rendu instable, en réponse à une perturbation externe, chaque sujet dispose de stratégies visant à compenser la perturbation et rétablir l’équilibre. L’organisation des réponses motrices à une perturbation va dépendre des conditions initiales de support et de l’amplitude de la perturbation (Nashner et Mc Collum, 1985). Elle se fait sur la base d’une représentation interne des segments corporels ainsi que d’une représentation dynamique du corps (informations sur les conditions d’appui et sur l’inertie des segments corporels) (Masson et Viallet, 1990), et fait intervenir des boucles nerveuses de rétroaction plus ou moins rapides, localisées au niveau de la moelle épinière et du tronc cérébral. L’intervention de ces boucles dépend d’un processus multi sensoriel dans lequel le système nerveux central (SNC) intègre des informations afférentes provenant de récepteurs visuels, vestibulaires et proprioceptifs, notamment musculaires et cutanés (Nashner et McCollum, 1985), qui interviennent de manière complémentaire (Massion et Dufossé, 1988). Dans le cas du maintien d’une posture de référence, une première stratégie consiste à limiter l’amplitude de la perturbation par une augmentation de la raideur articulaire (Winter, 1998). Les compensations résultent d’une activation musculaire qui se distribue selon un plan de coopération caractéristique appelé « synergie », autour des chevilles, des genoux et de la hanche (Horak et Nashner, 1986).

Lorsque le sujet est placé sur une large surface d’appui, pour compenser des perturbations de petites amplitudes, le corps oscille autour des chevilles à la manière d’un pendule inversé (Nashner, 1977). Dans cette stratégie de compensation dite stratégie de cheville, le plan de coopération musculaire est organisé selon une séquence disto-proximale mettant en jeu les muscles de la jambe, de la cuisse et du tronc. Dans la stratégie de hanche, utilisée par exemple lorsque la surface d’appui devient plus étroite, le corps se comporte comme un double pendule inversé. La séquence motrice, proximo-distale, met en jeu les

muscles du tronc et de la cuisse, antagonistes de ceux utilisés pour la stratégie de cheville (Fig. 22).

Figure 22 : Plan de coopération musculaire élaboré dans les stratégies de cheville (à gauche) et de hanche (à droite) au cours de déplacements de surface d’appui. Lorsque la longueur du support par rapport à la taille des pieds est normale (A et B), le déplacement vers l’arrière du support entraîne des réactions posturales dont le pattern musculaire associé à la stratégie de cheville consiste en une activité des fléchisseurs plantaires (gastrocemius), des fléchisseurs des genoux (ischio jambier) et des extenseurs du tronc (muscles spinaux), selon une séquence disto-proximale (73-110 msec). Les activités du jambier antérieur (fléchisseur dorsal), du quadriceps (extenseur du genou) et des muscles abdominaux (fléchisseurs du tronc) sont observées lorsque le support est déplacé vers l’avant (B). Lorsque la longueur du support par rapport à la taille des pieds est petite (C et D), les réactions posturales, associées à la stratégie de hanche, consistent en une activité des muscles du tronc et de la cuisse, antagonistes de ceux utilisés dans la stratégie de cheville, selon une séquence proximo-distale de même latence. Les muscles de la jambe sont généralement silencieux. (D’après Horak et Nashner, 1986)

Même si les réactions posturales s’apparentent à des réponses de type réflexe de par leur rapidité d’intervention et leur nature involontaire, elles s’en distinguent toutefois par le fait qu’elles se modifient avec la répétition de la tâche motrice. Nashner (1976) a mis en évidence ces mécanismes d’adaptation (Fig. 23). Dans la première situation (A), le sujet se tient debout sur un support que l’on déplace brusquement vers l’arrière. Ce mouvement s’accompagne d’un déplacement du corps vers l’avant et par conséquent d’une flexion de la cheville. La réponse posturale se traduit alors par une contraction des muscles extenseurs

visant à compenser le mouvement de flexion rétablissant ainsi l’équilibre. On peut alors remarquer que la répétition des essais induit une réponse musculaire de plus en plus précoce. Dans la seconde situation (B), le support est soulevé par l’avant, entraînant une rotation de la surface d’appui de bas en haut. Comme pour la situation précédente, la perturbation provoque une flexion de la cheville et la réponse posturale s’exprime par une contraction des muscles extenseurs. Dans ce cas, cette réponse est inadaptée puisqu’elle accentue la perturbation posturale induite vers l’arrière, mais son amplitude diminue rapidement au bout de quelques essais.

Figure 23 : Contractions des muscles extenseurs de le cheville (gastrocnemius) induites à 4 reprises par un déplacement brusque vers l’arrière de la surface d’appui (A) et par une rotation de la surface d’appui de bas en haut (B). (Modifié d’après Nashner, 1976)

Les préparations posturales et accompagnements posturaux

Ces activités motrices anticipent ou accompagnent le mouvement qui représente une source de perturbation de l’équilibre. Le système nerveux central doit donc nécessairement

assurer une coordination entre la posture et le mouvement. Sa tâche est complexe puisqu’il doit non seulement assurer la commande permettant de mobiliser les segments corporels nécessaires à la réalisation d’une tâche motrice mais aussi prévoir une série de commande visant à stabiliser d’autres segments corporels dans le but d’assurer le maintien de l’équilibre (Massion et Viallet, 1990). Selon les hypothèses de Bernstein (1935) reprenant celles de Goldstein (1934), le système sensori-moteur ne peut fonctionner que comme un tout et la posture fait partie intégrante de l’acte moteur. Ainsi, les centres nerveux impliqués dans le contrôle postural doivent nécessairement être en interaction avec les structures cérébrales (corticales, cérébelleuses et sous corticales) responsables de la planification et de l’exécution du mouvement.

Dès 1943, Hess définissait deux composantes du mouvement : l’une téléocinétique correspondant au mouvement lui-même et l’autre éréismatique, correspondant au support donné au mouvement par le reste du corps (Fig. 24).

Figure 24 : Modélisation des composantes téléocinétique et éréismatique de l’acte moteur. Hess distinguait dans l’activité dirigée, trois éléments contributeurs symbolisés chacun par un personnage : (1) le sauteur, (2) le porteur, (3) le supporteur. Le sauteur représente le mouvement volontaire et les deux autres personnages symbolisent la dichotomie des activités posturales c’est à dire la nécessité d’un ancrage postural (composante statique) combiné à une réaction d’opposition à la perturbation issue du mouvement (composante dynamique). Le saut est réussi de (a à c) lorsque le soutien est efficace c'est-à-dire lorsque le porteur et le supporteur jouent simultanément leur rôle. Sans un soutien efficace (de d à f), le même saut ne peut être aussi bien réussi. (D’après Pozzo, 1990)

À notre connaissance, Babinski (1899) fut le premier à remarquer la nécessité d’une telle coordination entre la posture et le mouvement. Il a ainsi pu remarquer chez des sujets « sains » qu’un mouvement d’extension du rachis était accompagné d’une flexion simultanée des genoux et des chevilles. Cette « compensation » n’était pas présente chez des patients atteints « d’asynergie cérébelleuse ». En effet, ces derniers ne pouvaient exécuter un tel mouvement sans chuter en arrière (Fig. 25). Ces conclusions indiquaient que des mouvements « compensatoires » prévenaient la perte de l’équilibre et étaient sous contrôle cérébelleux.

Figure 25 : Une image de la célèbre étude de Babinski (1899) montrant un patient de 35 ans atteint « d’asynergie cérébelleuse ». (D’après Oddsson, 1990)

Depuis, de tels ajustements posturaux réalisés simultanément avec l’acte moteur, voire même antérieurement, et dont le but est de maintenir l’équilibre au cours du mouvement en s’opposant aux perturbations induites par celui-ci, ont fait l’objet de nombreux travaux qui ont porté sur des mouvements du tronc (e.g. Oddsson et Thorstensson, 1986 ; Crenna et al., 1987), des membres inférieurs (Rogers et Pai, 1990 ; Do et al., 1991) et supérieurs (Belenkii et al., 1967 ; Bouisset et Zattara, 1981 et 1987) au cours de posture assise et debout. Lors d’un mouvement unilatéral d’élévation du bras en posture debout (Bouisset et Zattara, 1987), la contraction du deltoïdeus anterior est précédée d’une désactivation du soleus ipsilatéral puis d’une activation du tensor faciae latae et du rectus femoris contralatéraux, du gluteus maximus et du semimembranosus ispilatéraux et des erectors spinae contralatéraux. Ce plan

reproductible s’exprime mécaniquement par une accélération latérale du centre de gravité induisant une rotation du corps, dont le but est de s’opposer à celle engendrée par le bras mobilisé (Fig. 20). Selon Massion et Viallet (1990), ces ajustements posturaux associés aux mouvements volontaires ne sont pas innés mais acquis au cours des stades du développement moteur. Certains d’entre eux nécessitent un entraînement plus spécifique pour obtenir des réponses plus précises et adaptées à des contraintes inhabituelles comme celles rencontrées dans les situations sportives.

Les ajustements posturaux contemporains ou anticipés aux mouvements intentionnels, élaborés de manière hiérarchique ou en parallèle avec le programme moteur (Massion, 1992) afin de s’opposer aux perturbations prévues par le mouvement, n’empêchent pas l’intervention des boucles de rétroaction destinées à corriger des effets non prédictibles. Ainsi, les ajustements de posture sont organisés en boucles ouvertes et fermées (Fig. 26).

Figure 26 : Contrôle de la posture en boucle ouverte et fermée. Dans le contrôle en boucle ouverte (1), les voies nerveuses contrôlant le mouvement interagissent avec les ajustements posturaux intégrés au programme moteur chargés d’anticiper les effets perturbateurs du mouvement. Si la stabilité posturale est insuffisante, en réponse à des effets perturbateurs non prévus, le système de contrôle postural déclenche les mécanismes de rétroaction, organisés en boucle fermée (2). (D’après Richard et Orsal, 2001)