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« Un système complexe est un système que l’on tient pour irréductible à un modèle fini, aussi

compliqué, stochastique, sophistiqué que soit ce modèle, quelque soit sa taille, le nombre de ses composants, l’intensité de leurs interaction ». La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990, page 3

L’ouvrage de Bernard Walliser, intitulé « Systèmes et Modèles » et sous-titré « introduction critique à

l’analyse de systèmes » s’inscrit dans une veine réaliste : Il y a dans le monde réel auquel nous

appartenons des objets matériels, des individus, etc. qui existent, qui sont des systèmes et dont la qualité de systèmes (être-un-système) est indépendante de nous. Les modèles que nous produisons sont des tentatives plus ou moins réussies de nous représenter ces systèmes : « Dans sa définition la plus large, la

notion de modèle recouvre toute représentation d’un système réel, qu’elle soit mentale ou physique, exprimée sous forme verbale, graphique ou mathématique » ([WAL 77], page 116).

C’est dans un paysage professionnel et intellectuel largement dominé par le réalisme (le monde qui nous entoure existe par lui-même et indépendamment de nous), le mécanisme (ce monde fonctionne à la manière des machines que nous produisons) et la méthode analytique (que l’on pourrait naïvement exprimer comme suit : « pour résoudre un problème, il suffit de le décomposer ») que les propositions de Jean-Louis Le Moigne ([MOI 77]et [MOI 90]) apparaissent. Elles viennent s’y inscrire en faux et y affirmer des propositions alternatives. Elles introduisent une coupure entre un avant et un après, un « changement de paradigme » entre une vision hypothéquée par le cartésianisme et une vision systémique, comme l’auteur le suggère lui-même à maintes reprises.

Au réalisme que nous évoquions ci-dessus, Jean-Louis Le Moigne oppose le constructivisme, c’est- à-dire l’affirmation selon laquelle le sujet connaissant (lui, nous, les autres, ..) construit le réel qui l’environne à partir des phénomènes qui s’y déroulent. Cette construction du réel par le sujet connaissant interdit toute séparation entre l’objet à connaître et le sujet connaissant que le réalisme (naïf) postule. La thèse constructiviste n’est pas nouvelle, elle est, par exemple, au fondement de différentes traditions

épistémologiques51 et peut sembler à bonne distance des préoccupations d’une communauté

professionnelle ayant peu de considération pour le questionnement métaphysique.

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Toutefois, J.L Le Moigne en tire au moins une thèse qui ne nous est pas indifférente : les systèmes physiques n’existent pas52. Si systèmes il y a, ils sont les produits résultants d’une construction intellectuelle élaborée par un ou des sujets connaissants (en fonction du ou des projets qu’ils forment). Il s’agit là, au moins dans un premier temps, celui du doute méthodologique, d’une (hypo)thèse parfaitement recevable.

Dans ces conditions, que sont les systèmes physiques ? (i.e, les objets concrets, réalités extra- linguistiques que nous désignons sous le terme de systèmes concrets ou physiques) Ils sont phénomènes uniquement connaissables par l’intermédiaire de modèles construits, bâtis en fonction des projets du sujet. C’est ici que vient s’inscrire la théorie du Système Général de J.L. Le Moigne comme catégorie a priori de l’entendement « systémique ».

Le Système Général apparaît alors comme la matrice à partir de laquelle viennent se former les différents systèmes « concrets » à propos desquels nous devisons.

Le schéma ci-dessous, tiré de la théorie du Système Général de J-L Lemoigne illustre clairement ce point de vue selon lequel le système (général) ne se situe pas dans le réel mais à la confluence de l’objet (à connaître), du sujet (connaissant) et du projet (du sujet connaissant).

Les systèmes « concrets » ne sont pas davantage dans un réel extérieur à ceux qui en parlent mais inscrit dans un espace de connaissances sous la forme de modèles portés par des sujets connaissants.

Figure A.1. Le systèmographe de J-L Le Moigne.

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On se rappelle ici la formule de Claude Bernard répétée à l’envi dans la littérature du courant systémique : « les systèmes ne sont pas dans la nature mais dans l’esprit des hommes ».

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Le mécanisme également évoqué ci-dessus ne semble pas constituer, de manière centrale, un sujet de réflexion pour J.L Le Moigne qui en revanche s’intéresse de très près aux questions de méthode et en particulier à la méthode analytique. Il situe la méthode analytique entre la méthode « du modèle précédent » et la méthode systémique. En rappelant les quatre préceptes du Discours de la Méthode », c’est à Descartes qu’il réfère la méthode analytique53. Sans en nier la pertinence, J.L. Le Moigne lui attribue un certain nombre d’échecs et la considère comme de plus en plus fréquemment inadéquate dans le traitement de problèmes qu’ils caractérisent comme complexes. Suivent des exemples de problèmes réfractaires selon l’auteur aux méthodes analytiques, de la délinquance juvénile à la dégradation des quartiers d’habitation en passant par croissance désespérante du chômage et la maîtrise de l’énergie nucléaire. Ainsi, il semblerait que pour J.L Le Moigne, l’incapacité des sociétés humaines à régler ses problèmes les plus cruciaux, les plus complexes pourrait être due à l’usage d’une méthode inadaptée, « en

tenant pour compliqués ces problèmes complexes et en les traitant par des méthodes analytiques, on les a rendus plus complexes encore ».

C’est à partir de ces critiques que J.L Le Moigne initialise sa réflexion sur la complexité et sur la méthode qu’il préconise pour modéliser les systèmes complexes : la systémographie.

« Un système complexe est (..) un système construit par l’observateur qui s’y intéresse. Celui-ci

postule la complexité du phénomène sans pour autant s’astreindre à croire à l’existence naturelle d’une telle propriété dans la nature ou dans la réalité. » ([MOI 90], page 24).

Il en donne aussi par ailleurs la formulation suivante « modèles de phénomènes perçus comme

complexes et construits par modélisation systémique ».

La systémographie est présentée quant à elle, comme la procédure par laquelle on construit des modèles d’un phénomène perçu complexe, en le représentant délibérément comme et par un système en Général. Fondé sur une axiomatique dite conjonctive, le Système Général se décrit « par une ACTION

(enchevêtrement d’actions) DANS un environnement (« tapissé » de processus) POUR quelques projets (Finalités, Téléologie), FONCTIONNANT (faisant) ET SE TRANSFORMANT (devenant) ».

Figure A.2. Forme canonique du système général selon J-L Le Moigne.

La systémographie est la procédure qui partant du système général, sorte de matrice va produire dans un premier temps (temps du cadrage) une empreinte a priori, modèle systémique vide sans légendes, puis dans un deuxième temps (temps du développement) va consister à établir des correspondances entre les traits de ce modèle systémique et des traits perçus ou conçus du phénomène à modéliser (le modèle avec « légendes » étant par construction systémique).

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Sans accorder une attention particulière au troisième précepte parfois désigné comme précepte de la synthèse : « le troisième, de conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, .. »

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Dans cette vision, la question de la finalité des systèmes que L. von Beratlanffy avait analysée et dont nous évoquions les termes dans l’annexe 1.1, devient limpide, les finalités d’un système sont les intentions qui animent le modélisateur dans le processus de processus de modélisation.

Dés lors, il est bien certain qu’un système est nécessairement finalisé (par le projet du sujet connaissant), c’est d’ailleurs ce que confirme le schéma ci-dessous, tiré de « La modélisation par les

systèmes en situations complexes » de Jean Michel Penalva.

Figure A.3. Les systèmes finalisés selon J-M Penalva.

Soulignons pour conclure que la démarche proposée par Jean-Louis Le Moigne ne permet pas de définir séparément comme nous l’avons fait dans ce travail d’une part ce que sont les systèmes en général et les systèmes particuliers (pour nous ontologie des systèmes) et d’autre part de définir une ingénierie (JL Le Moigne parle lui d’une modélisation) des systèmes. Le système étant pour JL Le Moigne à la fois la matrice et les modèles, l’instrument et le produit de l’entreprise de la modélisation systémique.

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