• Aucun résultat trouvé

4.1. Un concept commun, le concept de fonction

4.1.3. Effets recherchés et effets concomitants

Aucune des méthodes de conception des systèmes que nous avons eu l’occasion d’examiner soit dans le cadre de notre pratique professionnelle soit dans celui de ce travail n’accorde une existence explicite à ce que nous nommons ici les effets concomitants.

Lorsqu’un moteur à combustion interne d’un véhicule automobile travaille, c’est-à-dire transforme de l’énergie latente, stockée sous forme chimique, d’un carburant en un travail mécanique, il agit sur un récepteur, le véhicule, et produit un effet mécanique sur le véhicule, son déplacement. Cet effet, « Produire l’énergie motrice du véhicule », est d’ailleurs un effet recherché, une fonction du moteur.

Cependant cet effet est loin d’être le seul effet produit par le système matériel qu’est le moteur à combustion interne. Comme chacun le sait, il va nécessairement produire de la chaleur non convertible en travail mécanique, comme nous l’enseigne le second principe de la thermodynamique. Cet effet, « Produire de la chaleur non convertible en travail mécanique », n’est sûrement pas un effet recherché

40 Propositions pour la définition et la mise en place de processus d'ingénierie de systèmes

du moteur à combustion interne9. S’il avait pu en être autrement, nous aurions été preneurs. Cet effet n’est donc évidemment pas une fonction10, mais un effet subi du moteur à combustion interne.

Les systèmes techniques produisent donc des effets autres que des effets recherchés (fonctions). Nous appelons ces effets des effets concomitants, c’est-à-dire « des effets qui vont avec (les effets recherchés) »11. Ainsi, pour un moteur à combustion interne, le fait de « Produire de la chaleur non

convertible en travail mécanique » est un effet concomitant de l’effet recherché « Produire l’énergie motrice du véhicule ». Il est impossible de produire le premier effet sans produire le second.

Au demeurant, cet effet n’est pas le seul effet concomitant produit par un moteur à combustion interne lorsqu’il produit de l’énergie motrice pour un véhicule. Parmi les autres effets non recherchés que le moteur à combustion interne va entraîner, nous pouvons citer :

- La production de gaz de combustion, des gaz à effet de serre (CO2), des gaz polluants (CO, NOx,

..), les résidus d’une combustion incomplète (COV, particules),

- La production de vibrations, de chocs et de bruits et autres pertes mécaniques.

Ces deux derniers effets concomitants, loin d’être recherchés sont au contraire des effets indésirables. Les motoristes vont travailler à réduire ces effets indésirables au moyen de deux grandes catégories d’actions :

- En traitant les causes, par des actions de prévention12 de l’effet indésirable (réduction de la consommation de carburant, suppression du plomb et d’autres additifs dans les essences, ..), - En traitant les conséquences, par des actions de tolérance13 de l’effet indésirable (recirculation

des gaz d’échappement, pot catalytique, filtre à particules),

Ainsi, un système technique produit des effets, certains d’entre eux sont recherchés, ce sont ce que l’on nomme habituellement les fonctions, d’autres sont concomitants, c’est-à-dire qu’ils vont avec les effets recherchés. Ce sont des effets non désirés. Parmi ces effets concomitants, certains peuvent nous être indifférents bien que non désirés, ils passent souvent inaperçus, d’autres, au contraire, peuvent être considérés indésirables voir nuisibles. Ils requièrent, par conséquent, de longues heures de travail.

Les systèmes techniques sont donc des systèmes imparfaits, sous deux aspects principaux :

- Par excès : ils ne peuvent être réduits aux seules fonctions que l’on attend d’eux. Au contraire, ils excèdent la vision idéale (fonctionnelle) que l’on porte sur eux par toutes sortes d’effets non recherchés indifférents ou indésirables,

- Par défaut : car ils sont dans l’incapacité de réaliser les fonctions que l’on attend d’eux, avec le niveau de performance espéré, sans produire également des pertes (usures et vieillissement, pertes thermiques entre autres, ..)

De ce point de vue, les systèmes techniques diffèrent des systèmes logiciels. Ces derniers peuvent être réduits au plan conceptuel aux seules propriétés attendues d’eux, ce qui ne nous paraît pas possible pour les systèmes techniques concrets.

9

Ce constat n’interdit pas une attitude « opportuniste » vis-à-vis d’effets non recherchés. Ainsi la chaleur non convertible en travail mécanique peut être utilisé pour chauffer l’habitacle d’un véhicule.

10

A moins de faire marcher les mots sur la tête et d’inventer, par exemple, l’expression de fonction non recherchée ou de fonction indésirable. Limite que franchit la norme [DO 254] qui parle de fonction non recherchée (unintended function) !

11

(Con)comitant du latin cumeo : aller avec. C. Castoriadis fait remarquer que le mot concomitant est pléonastique, comitant voulant dire aller avec, le préfixe (con) est rédondant.

12

Comme on dit action de prévention d’un risque en gestion des risques

13

Chap 4 : Analyse critique des conceptions les plus courantes et interprétations 41

Nous attribuons cette différence au caractère strictement formel des systèmes logiciels et à la matérialité des systèmes techniques. Nous interprétons la cécité des méthodes d’ingénierie (comme par exemple celles de l’analyse fonctionnelle) vis-à-vis des effets concomitants comme le résultat d’une transposition inadéquate des méthodes du génie logiciel au génie système.

Une bonne part de l’effort consacré à l’ingénierie d’un système technique est dédiée à la réduction, sinon à la suppression, des effets indésirables concomitants aux effets recherchés du système. Il serait souhaitable que les méthodes d’ingénierie de systèmes donnent une visibilité et des moyens suffisants de traitement des effets indésirables.