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Le constat d’une aliénation, souvent inavouée

* MATÉRIALITÉ DU RÉSEAU NUMÉRIQUE

Actuellement 2 salariés, ils récupèrent des

1. Le constat d’une aliénation, souvent inavouée

Logiques mercantiles / Les quelques Grands / Illusion de pouvoir et perte de puissance / L’outil qui sert, celui qui asservit

LOGIQUES MERCANTILES, ET MOI «JE N’AI RIEN A CACHER»

«Quand c’est gratuit c’est toi le produit ! »

Un slogan circulant sur le web et repris par un certain nombre de détracteurs du business Internet. On parle d’une véritable économie de l’attention, dont Yves Citton décrit les pièges1 : «épuisement de nos

ressources attentionnelles» par une sur-sollicitation de notre attention, superficialité et frustrations du

multi-tasking2, entre autres...

Ainsi donc, on vend notre attention, on la manipule, on l’oriente vers des profits lucratifs...Au point qu’aujourd’hui, les technologies numériques semblent répondre uniquement à des logiques purement marchandes, faisant de nous, utilisateurs plus ou moins assidus, des consommateurs dociles et dévoués. Le phénomène d’obsolescence programmée s’inscrit également dans cette mouvance capitaliste, incitant nos portefeuilles à verser de plus en plus régulièrement d’importantes sommes pour se tenir à la page.

Si les services des grands groupes, GAFAM notamment, nous sont accessibles gratuitement, douce illusion

1. CITTON, Yves, Pour une écologie de l’attention, éd. Seuil, 2014 2. Consiste en la capacité à exécuter plusieurs opérations en même temps : «ce que notre attention gagne quantitativement, elle le perd qualitativement en intensité sur chacun des objets pris

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de liberté et d’accessibilité pour tous, c’est au prix non négligeable de la vente de nos données à des fins publicitaires, quand cela ne conduit pas à des aberrations, par exemple au niveau politique1...

Si nous argumentons souvent que nous n’avons

personnellement «rien à cacher» et que l’utilisation

de nos données nous importe somme toute assez peu, de tels événements politiques aux conséquences planétaires devraient nous mettre la puce à l’oreille :

se protéger sur Internet, c’est une question de solidarité !2 Minimiser l’importance de ces gestes

individuels, cela pourrait passer pour de l’égoïsme, comme on le dirait des vaccins qui nous protègent individuellement d’une maladie, collectivement d’une épidémie.

Acceptons-nous de nous vendre aussi facilement ? Acceptons-nous d’enrichir ainsi de grandes entreprises déjà bien cossues et aux valeurs parfois obscures ? Avant de répondre à ces questions, on peut déjà se demander si nous avons vraiment le choix...

LA PERTE DE CONTRÔLE : ILLUSION DE POUVOIR ET DIMINUTION DE PUISSANCE

«La question du choix est importante parce qu’en fait on ne nous a jamais demandé notre avis. [...]

Un dispositif technologique arrive et nous ne l’avons pas choisi» constatait Thomas lors de notre

entrevue. Ceci étant dit, l’aliénation peut avoir des côtés «réconfortants» ajoutait-il, par exemple dans les dictatures dans lesquelles la plupart des gens « par certains côtés, sont biens, ils sont rassurés, il y a une direction toute tracée, c’est confort. Bon en même temps il n’y a pas de choix, mais tu n’as pas besoin

de réfléchir... Avec les technologies, il se crée quelque

chose d’assez proche de ça, au stade où on en est». Ne pas avoir à réfléchir est une chose, cela nous évite le doute : « On ne supporte pas l’incertitude, c’est

pour cette raison que nous sommes dans une 1. Les très récents scandales liés aux élections de Bolsonaro et de Trump notamment...

2. DAMASIO, Alain interviewé dans «Alain Damasio : j’ai refusé le

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société de contrôle »1.

Prenons l’exemple édifiant du GPS, dont me parlèrent tour à tour Tibo et Thomas, tous deux refusant de l’utiliser : « Pour moi, ça fait partie de la poésie

de l’existence de se perdre à des moments, de rencontrer des gens par hasard, de demander sa route, de découvrir des endroits, et de ne pas être guidé par une machine, un algorithme, qui va forcément, au bout d’un moment, te faire passer par des endroits avec des intérêts économiques derrière...»2.

Ainsi nous avons tendance à placer toute notre confiance dans des technologies dont nous ne connaissons finalement pas grand chose... Ivan Illich en parlait déjà en 1973 : « Les individus cessent de se fier à leur propre jugement et demandent qu’on leur dise la vérité sur ce qu’ils « savent ». Intoxiqués par la croyance en une meilleure prise des décisions, ils

ont du mal à décider tout seuls et bientôt perdent confiance dans leur propre pouvoir de le faire». Pouvoir de faire qu’Alain Damasio appelle puissance3.

La technologie nous donnerait l’illusion de pouvoir car elle nous permet de faire faire quelque chose à la machine.

Dans le cas de l’économie de l’attention et de ce nouveau régime capitalistique lié au numérique, Citton prévient : «  l’automatisation devient préoccupante lorsqu’on ne se contente plus de mobiliser les dispositifs machiniques pour nous aider à trouver ce que nous valorisons, mais lorsqu’on leur abandonne le travail même de valorisation  ». Ainsi, le point de bascule apparaît au moment où nous nous laissons

entièrement guider par des technologies en perdant de vue ce que nous cherchons réellement à trouver, à atteindre.

La dépendance nous guette donc, et l’outil pourrait dans certains cas prendre le contrôle à notre place.

1. DAMASIO, Alain, ibid.

2. Voir discussion avec Thomas p.130

3. « [La technologie] te donne du pouvoir et appauvris ta

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Ce n’est pourtant pas une fatalité, et c’est peut-être la manière dont nous en servons qui est à repenser... «L’OUTIL PEUT CROÎTRE DE DEUX FAÇONS, soit qu’il augmente le pouvoir de l’homme, soit qu’il le remplace»1.

L’aliénation de l’homme par la technologie viendrait de la dénaturation de ses fonctions premières. Illich nous l’explique à travers l’exemple du téléphone, « outil convivial par nature. Quand une population entière se laisse intoxiquer par un usage abusif du téléphone et perd l’habitude d’échanger des lettres ou des visites, l’erreur tient à ce recours immodéré à un nouvel outil, convivial par essence, mais dont la

fonction est dénaturée par une fausse extension de son champ d’action.»

Une phrase de Ben, de Nâga, me reste en tête :

«  Un outil n’est jamais mauvais en lui-même. L’ordinateur c’est un outil, c’est comme un marteau : on peut planter un clou, on peut casser un crâne, on fait ce qu’on veut avec.»

L’idée est alors de tenter de reprendre le contrôle

sur ces «  outils  » que sont les technologies numériques pour les emmener vers des terrains plus fertiles, plus enviables, plus conviviaux.

C’est la philosophie de la plupart des associations rencontrées : il s’agit d’utiliser un «  outillage effectivement contrôlé»2. «  J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et

non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale

est la société où l’Homme contrôle l’outil »3.

« L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place. Il a besoin d’une technologie qui tire le meilleur parti de

l’énergie et de l’imagination personnelles, non 1. ILLICH, Ivan, ibid. p.124

2. ibid. p.158

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d’une technologie qui l’asservisse et le programme. »1.

Les rencontres associatives permettent de trouver quelques pistes pour, concrètement, tendre vers ces idéaux...

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2. Reprendre le contrôle,