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Le consensus entourant l’adoption de la loi

Chapitre II : L’insuffisance de l’adaptation des sanctions pénales de la contrefaçon en ligne.

A. Le concept de l’effectivité

3. Le consensus entourant l’adoption de la loi

Selon Rousseau, « Si vous voulez qu’on obéisse aux lois, faites qu’on les aime »257,

et c’est pour cela que la loi doit être l’expression de la volonté générale258, elle-même exprimée à travers les représentants du peuple, les députés. Le consensus entourant l’adoption d’une loi est un important facteur d’effectivité : plus la norme est approuvée, plus elle sera respectée. C’est pourquoi il y a une corrélation entre l’adhésion idéologique et le comportement des destinataires259. Le fondement de cette hypothèse repose sur l’échec notoire, aux États-Unis, de la Prohibition. Cet échec a, par ailleurs, fait prendre conscience de l’importance des facteurs culturels dans l’effectivité des lois. Il est plus difficile de modifier des comportements ancrés profondément dans les mœurs260.

Cette dernière assertion est importante, notamment concernant le phénomène de téléchargement illégal ou de streaming illégal d’œuvre de l’esprit par des particuliers. Celui- ci est un phénomène de masse, réalisé par la majeure partie de la population. Le gouvernement souhaitant lutter contre cela, dois donc nécessairement faire en sorte que la population adhère aux sanctions pénales, notamment en France, attachées aux lois de lutte contre la contrefaçon en ligne. C’est en examinant les débats législatifs relatifs à l’adoption des lois DADVSI261 et des lois Hadopi, ainsi que les réactions dans les médias, qu’il est possible de constater les controverses soulevées par la question du téléchargement illégal réalisé par des particuliers.

La mise en œuvre de sanction pénale à l’égard du téléchargement illicite opéré par des particuliers est un véritable débat, certains représentants de la magistrature appelant

257 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’économie politique, 1755. 258 Article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. 259 W. M. Evan, supra note 238.

260 L. M. Friedman, The legal System. A Social Science Perspective, NY, Russell Sage Foundation, 1975, p. 90, cité par Demers, supra note 39.

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même à dépénaliser cette pratique262. C’est pourquoi, lors du débat concernant l’adoption de la loi du 1er août 2006, il est à noter que de nombreux députés envisageaient de résoudre le problème du téléchargement illégal en instaurant une « licence légale ». L’objectif de celle- ci est de présumer l’autorisation de diffuser les œuvres internet, en contrepartie d’une compensation financière. Plusieurs amendements ont été déposés en ce sens et étaient justifiés en dénonçant la disproportion des poursuites pénales dont des internautes ayant échangé des œuvres sur internet font l’objet263. Le député Le Fur constate qu’il ne lui est pas possible de contrôler l’activité de ses enfants sur internet, ce qui en fait des « délinquants potentiels »264

. L’amendement concernant la licence globale est finalement retiré du projet de loi par le Gouvernement. Toutefois, la contraventionnalisation du téléchargement illégal proposée par le Gouvernement a suscité de vifs débats à l’Assemblée nationale. Pour certains députés, la disposition n’était pas claire ou encore trop répressive265. C’est ainsi que de nombreux députés266 ont saisi le Conseil constitutionnel, qui a censuré cette disposition pour rupture d’égalité devant la loi pénale267

.

Les désaccords étaient également très marqués lors de l’adoption de la loi Création et internet de 2009. Cela démontre le reflet de divergences au sein de la société. Ainsi, la plupart des représentants des milieux de la création et de la production étaient favorables à une législation visant à freiner les pratiques de téléchargement. En revanche, la vision des internautes, des associations de consommateurs, était diamétralement opposée. Les critiques de cette loi, dans la presse écrite ou sur internet, étaient particulièrement violentes. Elle a été qualifiée de « monstre juridique », elle a été jugée « répressive et liberticide » ; il lui a même été reproché d'être « d'une stupidité archaïque », d'être « absurde, idiote et scandaleuse »268. De même, il lui a été reproché d’être « à côté de la plaque »269

. La peine complémentaire de suspension à l’abonnement internet était, quant à elle, jugée scandaleuse. Tant la société civile

262 Tribune de M. Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats, dans l'édition de Libération du 14 mars.

263 Amendement n°203, 8 décembre 2005, Ass. Nat., Droit d’auteur et droits voisins dans la société de

l’information (n°1206), Amendement n°154, 14 décembre 2005, Ass. Nat., Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (n°1206).

264 JOAN, 109e séance, 21 déc. 2005, p. 8629

265 Ass. Nat., Compte rendu intégral, 3e séance du jeudi 16 mars 2006, 175e séance de la session ordinaire 2005-2006, disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2005-2006/20060175.asp.

266 Plus de 60 députés ont saisi le Conseil constitutionnel, conformément à l’article 61 alinéa 2 de la Constitution française.

267 Décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006, supra note 188.

268 E. Rochant, « Il est stupide d'aller contre internet avec bâton, casque et ciseaux », Le Monde du 13 mai 2009, cité par Jacques Francillon, « Téléchargement illégal. Heur et malheur de la loi Création et Internet : la loi HADOPI censurée par le Conseil constitutionnel. Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, censurant partiellement la loi du 12 juin 2009, JO n° 135 du 13 juin 2009 » [2009] RSC 609

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que les députés émettaient des avis contraires à ce texte. C’est ainsi que plus de 60 députés ont saisi le Conseil constitutionnel, avec succès270, ce qui a nécessité une seconde loi271. Toutefois, à peine la loi promulguée, on nous expliquait déjà comment la contourner272. Pire encore, un site internet est entièrement dédié au contournement d’Hadopi273

. Ainsi, la société civile est particulièrement sensible aux questions touchant au téléchargement illégal et frontalement opposée à ce que des sanctions pénales lui soient applicables. Dans un tel contexte, il parait difficile d’affirmer que le système mis en place sera effectif. Malgré celui- ci, un auteur relève que l’ampleur de ces actes est patente, une majorité des citoyens étant peut être des cyberdélinquants, qu’il se demande si nous ne serions pas face à une forme de désobéissance civile274, c’est-à-dire une nouvelle source privée de droit s’opposant aux sources publiques275.

La situation n’est pas la même au Canada. Contrairement au législateur français, le législateur canadien n’a pas souhaité adopter des sanctions pénales spécifiques à la contrefaçon en ligne – quoique l’article 27 (2.3) de la LDA édicte en une infraction le fait de fournir un service sur internet permettant de faciliter la violation du droit d’auteur. Cette disposition a été adoptée par la loi de modernisation du droit d’auteur, en même que la procédure d’envoi de l’avis de prétendue violation du droit d’auteur. Il est possible de constater que cette loi, contrairement aux lois françaises, a suscité plus de consensus auprès des citoyens canadiens. Si un tel consensus a été possible, c’est notamment en raison de la vaste consultation publique lancée par le gouvernement canadien en juillet 2009 sur la réforme du droit d’auteur276

.

Ainsi, en juillet 2009, le gouvernement canadien a lancé une vaste consultation publique sur la réforme du droit d’auteur dans laquelle Internet a joué un rôle clé. Celui-ci était vecteur de diffusions des différentes tables rondes et meetings. Par ailleurs, un site internet spécialement dédié à cette réforme a vu le jour : www.copyrightconsultation.ca. Sur cette plateforme, cinq questions générales concernant le droit d’auteur étaient posées au public canadien. Ces questions sont les suivantes : How should existing copyright laws be

270 Décision de 2009, supra note 211, qui a censuré une partie de la loi.

271 Loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet. 272 Ainsi, un article sur internet est consacré à deux moyens permettant de contourner Hadopi :

www.espacerezo.fr/deux-moyens-gratuits-pour-contourner-hadopi . 273www.contournerhadopi.com/#

274 Barraud, supra note 47.

275 Voir Encinas de Munagorri R., « La désobéissance civile : une source du droit ? » [2005] RTD civ. 73. 276 Ysolde Gendreau, « Vox Pop : Public Participation in Canadian Copyright Law », dans I. A. Stamatoudi,

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modernized? How should copyright changes be made in order to withstand the test of time? What sorts of changes would best foster innovation and creativity in Canada? What sorts of copyright changes would best foster competition and investment in Canada? What kinds of changes would best position Canada as a leader in the global digital economy?

Plus de 2 200 commentaires ont été rédigés par les citoyens canadiens, de même que plus de 8000 suggestions ont été envoyées. Cette consultation publique a pris fin en septembre 2009, permettant au gouvernement de prendre en compte ces multiples remarques afin de préparer le projet de loi C-32. Les universitaires étaient également très présents lors de ces discussions277. Ainsi, B. Sookman278 souhaitait une clarification du régime applicable aux services facilitant la contrefaçon en ligne et était partisan de l’adoption d’une procédure d’avis. L’instauration, dans la loi, de la procédure d’avis était également souhaitée par les fournisseurs d’accès internet. En effet, ces derniers souhaitaient la légalisation de cette pratique. Selon Rogers, il s’agissait effectivement d’une pratique permettant de réduire le téléchargement illégal puisque la plupart de ces clients recevant une première notification n’en recevaient pas de deuxième. L’objet d’un tel avis est de décourager les internautes de recourir au téléchargement illégal. Il semblerait que cette procédure soit mieux acceptée par les internautes.

Par conséquent, il appert que le critère du consensus entourant l’adoption d’une loi, et des sanctions lui étant attachées, est un important critère d’effectivité. En effet, plus une loi est acceptée, et ses sanctions comprises, plus les citoyens seront enclins à changer leurs comportements et à respecter la loi. Au des importantes controverses en France, il semblerait que les lois, et les sanctions pénales, soient difficilement acceptées par les internautes français, risquant de rendre ineffectives les lois Hadopi. Le droit d’auteur souffre d’une véritable crise de légitimité sur internet, ce qui rend son application difficile. L’assertion est toutefois moins nette concernant les sanctions pénales visant à réprimer les personnes utilisant les œuvres, de façon illégale, à des fins commerciales. En revanche, au Canada, le gouvernement n’a pas souhaité criminaliser les internautes ayant recours au téléchargement illégal, ces derniers ne peuvent que recevoir, en premier lieu, un avis de prétendue violation du droit d’auteur en ligne. La loi de modernisation du droit d’auteur pourrait être plus effective car elle repose sur une consultation du public et une prise en compte des différents

277 Voir : Barry Sookman, “Copyright Reform for Canada: What Should We Do? A Submission to the Copyright Consultation”, [2009], 22 I.P.J. 1. ; Nathan Irvinga, “Copyright Law for the Digital World: An Evaluation of Reform Proposals”, [2010], Asper Rev. Int’l Bus. & Trade L. 141.

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intérêts en jeu : les ayants-droit, les industries culturelles, les intermédiaires techniques de l’internet ainsi que le public.

Par conséquent, bien que les sanctions pénales attachées à la contrefaçon en ligne apparaissent connues du grand public, il appert qu’elles manquent de clarté et d’adhésion. Les sanctions pénales applicables à la contrefaçon en ligne souffrent d’une véritable légitimité, notamment auprès des internautes, ce qui rend difficile leur mise en œuvre.

C. Le manque de mise en œuvre des sanctions pénales concernant la contrefaçon