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La dépénalisation des contrefaçons domestiques sur internet

Chapitre II : L’insuffisance de l’adaptation des sanctions pénales de la contrefaçon en ligne.

B. Les alternatives aux sanctions pénales concernant les contrefaçons sur internet par

1. La dépénalisation des contrefaçons domestiques sur internet

La dépénalisation est souvent évoquée dans ce contexte386. Michel Van de Kerchove relève au moins quatre significations au processus de dépénalisation387. La dépénalisation peut être la suppression de toute sanction quelconque. Elle peut également être une substitution à la peine d’une sanction extra pénale, ou d’une sanction pénale plus douce. Enfin, la dépénalisation peut, dans le sens le plus large, être une atténuation ou une suppression de la sanction pénale voire de l’incrimination. Nous examinerons donc la possibilité de dépénaliser « totalement » les actes de contrefaçon réalisés sur internet par des particuliers (a) ainsi que l’assouplissement des sanctions pénales (b).

a. La dépénalisation totale

Pour rappel, plusieurs mécanismes de sanctions pénales existent en France pour lutter contre la contrefaçon en ligne. Ainsi, l’internaute qui télécharge à des fins personnelles ou qui met à disposition par un logiciel de pair à pair des œuvres sans le consentement de l’ayant droit s’expose aux sanctions pénales traditionnelles de la contrefaçon, en sus d’une peine complémentaire de suspension à internet, mais s’expose également à la procédure Hadopi. L’internaute a en effet l’obligation de sécuriser sa ligne internet afin que celle-ci ne serve pas

386 Geiger, supra note 380, ainsi que « Challenges for the enforcement of copyright in the online world: Time for a new approach » dans P. Torremans, dir, Research Handbook on the Cross-Border Enforcement

of Intellectual Property, Cheltenham, UK / Northampton, MA, Edward Elgar, 2014, à la p 704.

387 Michel Van de Kervoche, « La transgression et la norme. Les différentes formes possibles de retrait de la norme juridique. », in Droits et sanctions, Etudes juridiques internationales, Editions L'Harmattan, 2013.

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à reproduire, mettre à disposition ou communiquer au public des œuvres. Bien que l’article L336-3 alinéa 2 du CPI dispose que le manquement à cette obligation n’entraine pas la responsabilité pénale du titulaire de l’accès à internet, ce manquement est ouvert aux sanctions pénales. En effet, lorsque l’internaute n’a pas sécurisé sa ligne, à la suite de l’envoi de recommandations par l’Hadopi, il s’expose à la contravention de cinquième classe388 définie dans le Code pénal. L’effectivité d’un tel système étant mise en doute, la question se pose quant à l’opportunité d’une solution répressive. La dépénalisation totale, dans le sens où aucune sanction pénale ne serait applicable à un internaute qui reproduit pour lui-même une œuvre de façon non légale grâce à internet, ou met à disposition du public sans fin lucrative (et sans autorisation des ayants-droit) apparait être une solution envisageable, d’autant plus qu’elle recevrait l’approbation du public, ce qui n’est pas un facteur négligeable389

.

Dès lors, il est tout à fait concevable de prendre exemple sur les recours criminels prévus au Canada à l’article 42(1) de la LDA. Chaque définition d’une infraction relative au droit d’auteur fait référence au but commercial de l’agissement. De même, chaque infraction mentionne la vente ou la location de l’œuvre, ce qui nécessite, par définition, une participation financière. Ainsi, du fait de la neutralité technologique qui imprègne la LDA, quiconque commet une infraction lorsqu’il met en circulation des exemplaires de l’œuvre sur internet sans l’autorisation des ayants-droit dans un but commercial. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une forme de dépénalisation car aucun n’article n’exclut expressément les personnes agissant à des fins personnelles et non lucratives de tels recours criminels. De plus, on pourrait arguer que la mention « de façon à porter préjudice au titulaire de droit » de l’article 42(1) c), permette d’avoir recours au juge criminel à l’égard d’un internaute agissant à des fins non lucratives. Néanmoins, il n’y a pas de définition de cette mention et de nombreuses questions se posent quant à la preuve de la volonté de porter préjudice au titulaire de droit. Peut-on raisonnablement penser qu’un internaute souhaite porter préjudice à l’ayant-droit lorsqu’il met en circulation des œuvres, par le biais d’un logiciel pair-à-pair, et que cette mise à disposition se fait de façon incidente aux téléchargements ? De plus, cette mise à disposition doit être faite « sciemment », la Couronne doit donc prouver hors de tout doute raisonnable la volonté de l’internaute. Les conditions de l’article 42(1) de la LDA permettent difficilement de poursuivre un internaute. En outre, le téléchargement illégal d’une œuvre de l’esprit, ou le streaming illégal, ne remplit aucune des conditions de cet article.

388 Article R335-5 CPI.

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Si de tels actes sont dépénalisés, est-ce à dire qu’aucune sanction ne serait applicable ? Nous ne le pensons pas. Un système alternatif consiste en l’application de sanctions administratives ou civiles tendent à assurer l’application de la loi plutôt qu’à réprimer sa violation par l’envoi d’avertissement ou d’injonction de mettre fin au comportement illicite390, à l’instar du fonctionnement d’Hadopi. Des particuliers peuvent être poursuivis civilement par les ayants-droit, ce qui a le mérite d’ouvrir la voie à des dommages-intérêts pour les indemniser. Toutefois, la solution, pour dissuader les internautes délinquants, peut se trouver du côté de l’administration par l’envoi d’amende administrative afin de continuer à dissuader les internautes de réaliser des violations du droit d’auteur sur le réseau. C’est la Chine qui, à côté de la procédure judiciaire, a institué une procédure administrative relativement à la protection du droit d’auteur. Selon la législation chinoise, les infractions au droit d’auteur qui n’ont pas causé de dommages importants ne sont pas sujettes à des sanctions pénales mais sont régies par le droit civil. C’est l’administration relevant du droit d’auteur qui peut sanctionner de telles infractions, lorsque l’intérêt public est en cause391. L’administration pertinente peut appliquer la loi pour enquêter sur des actes enfreignant le droit d’auteur et peut poursuivre quiconque commet des infractions au droit d’auteur afin de sauvegarder les intérêts de celui-ci392. Ainsi, les législateurs chinois considèrent qu’une protection administrative est nécessaire, au même titre qu’une protection pénale, pour sauvegarder l’ordre socio-économique. Une telle protection confère également l’avantage de la rapidité : un cas de contrefaçon sur internet a pu être réglé en moins de deux semaines393. Dès lors, la procédure administrative joue un rôle important dans la mise en œuvre et le respect du droit d’auteur : elle fournit un service simple, efficient et peu dispendieux pour les titulaires de droit394.

Les sanctions administratives sont donc envisageables en France, d’autant que le pays dispose déjà d’une autorité administrative indépendante ayant pour mission de protéger le droit d’auteur sur internet. À cet égard, le rapport Lescure395

, préconise de transformer l’amende aujourd’hui applicable pour la négligence caractérisée de l’obligation de

390 M. Van de Kervoche, supra note 387, à la p 27.

391 Article 47 de la loi chinoise sur le droit d’auteur, citée par Luan Li, « Amdministrative enforcement of copyright law in China : a characteristic deserving of praise or repeal ? », dans Daniel Gervais et Susy Frankel, The Evolution and Equilibrium of Copyright in the Digital Age, Cambridge Intellectual Property and Information Law, 2014.

392 Guan Hong Tang, “Is administrative enforcement the answer? Copyright protection in the digital era” (2010) 26 Computer law & security review 406.

393 Ibid. 394Ibid.

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surveillance de la ligne internet, pour une sanction administrative. Si la sanction administrative prévue par la loi Hadopi 1 s’était heurtée au Conseil constitutionnel, c’était parce que celui-ci estimait que la peine complémentaire de suspension à internet ne pouvait être prononcée par une autorité administrative. Cette peine ayant été supprimée à l’égard de la négligence caractérisée, une sanction administrative pécuniaire redevient envisageable à condition de respecter le principe de légalité des délits et des peines. Le rapport estime également qu’une telle réforme confèrerait une plus grande souplesse à la procédure de réponse graduée, adaptée à la réalité des faits en cause396. Le rapport des sénateurs Hervé et Bouchoux397 se prononce également pour la solution de l’amende administrative ce qui a pour avantage de maintenir l’actuel système pédagogique398

. Mais pour se conformer au principe d’égalité, l’Hadopi devrait être compétente pour toutes les atteintes au droit d’auteur réalisées sur internet par un particulier. Ces derniers préconisent la création d’un organe distinct de la commission de protection des droits, baptisée « commission des sanctions » et composée d’un magistrat administratif et de deux juges judiciaires, chargée de prononcer une sanction à l’issue d’une procédure contradictoire avec l’internaute. Un tel système serait plus difficile à mettre en place au Canada, aucune autorité administrative n’existant pour la protection du droit d’auteur. Par ailleurs, pour endiguer le phénomène de contrefaçon en ligne, le choix s’est porté sur une simple procédure d’avis. Il se pourrait également que la mise en place d’une telle sanction contrevienne au « droit des utilisateurs » reconnu par la Cour suprême du Canada399. Pierre-Yves Gauthier, quant à lui, n’accorde pas ses faveurs à la dépénalisation qui selon lui « n’encourage pas la responsabilité morale »400.

b. L’assouplissement des sanctions pénales

La dépénalisation peut aussi se comprendre comme le fait de sanctionner pénalement mais de façon plus douce, une sorte de décriminalisation. Ainsi, les pratiques des internautes « délinquants » lorsqu’ils agissent à des fins personnelles et non lucratives, plutôt que de faire l’objet des sanctions pénales applicables au délit de contrefaçon ou à la négligence caractérisée en ce qui concerne la France, et du potentiel recours criminel canadien, pourrait simplement faire l’objet d’une contravention.

396 Ibid., à la p 381.

397 Hervé Loïc et Bouchoux Corrine, Loi Hadopi : totem et tabou, rapport fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, 2015, en ligne : www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14- 600-notice

398 Ibid., à la p 94.

399 CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339. 400 Gauthier, supra note 163, à la p 824.

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Nous nous rappellerons ici l’échec de la contraventionnalisation, en France, des échanges illégaux à travers les logiciels de pair-à-pair par la loi DADVSI. Le Conseil constitutionnel avait estimé en 2006 que la reproduction non autorisée ou la communication au public d’œuvres protégées, qu’elles soient réalisées par un service de communication en ligne ou un logiciel de pair-à-pair, sont dans la même situation. En conséquence, il n’y avait pas de justification quant à la différence de traitement entre ces moyens. Prenant note de cette décision, il est tout à fait possible d’envisager une contraventionnalisation des reproductions ou communications au public d’œuvres en ligne, non autorisées, quel que soit le service utilisé par l’internaute. Le seul critère à prendre en compte est celui du caractère non lucratif et personnel d’un tel agissement. Cette contrefaçon, peu importe sa mise en œuvre sur internet, est différente des contrefaçons industrielles, car elle n’emporte pas les mêmes conséquences, ce qui justifie de traiter ces deux situations différentes de façon différente.

Dans le cas où il ne serait pas accepté de totalement dépénaliser ces violations du droit d’auteur sur internet, la contraventionnalisation semble une solution vraisemblable et raisonnable. E. Dreyer explique de façon limpide le principe de la contravention : « C'est une infraction pénale de moindre gravité que les crimes et les délits. Cette qualification remplit une fonction distincte. Il s'agit de punir des comportements qui certes n'ébranlent pas l'ordre public, mais dont la multiplication pourrait remettre en cause les bases de la société. »401. À ce titre, il est aisément compréhensible l’intérêt que présente la contravention pour les violations du droit d’auteur sur internet par des particuliers. Une telle violation, prise de façon individuelle, n’ébranle effectivement pas l’ordre public et est sans grande gravité. Toutefois, la masse de ces contrefaçons « domestiques », pratiques banalisées au sein des foyers, peut troubler l’ordre public en ce qu’il affecte la société dans son ensemble. Les auteurs étant moins rémunérés du fait de cette contrefaçon, cela nuit à la création.

Les peines sanctionnant une contravention peuvent se révéler tout aussi dissuasives, voire plus, que les sanctions pénales applicables en matière de contrefaçon. En effet, s’il s’agit d’une contravention de cinquième classe, l’amende est de 1500€, cela a de quoi dissuader un simple internaute qui agit à des fins personnelles, surtout lorsque l’on sait qu’un abonnement à un service légal ne couterait qu’une dizaine d’euros par mois. De même, ce régime des infractions de police permet de réagir plus rapidement.

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Une contraventionnalisation a de fortes chances de recevoir l’approbation du public. Des sanctions plus réduites mais adaptées à la nature du comportement peuvent être mieux comprises et acceptées par tous, voire être plus dissuasives402. En ce sens, selon une étude, les internautes semblent favorables à un système combinant l’envoi de recommandations et d’amendes pour punir le téléchargement illégal, plutôt que des peines d’emprisonnement ou des suspensions à internet403. Tel que nous l’avons lors de l’étude de l’effectivité des sanctions pénales, plus une norme est acceptée par ses destinataires, plus elle sera respectée. Il faut alors s’assurer que les sanctions ne deviennent pas purement symboliques mais soient effectivement appliquées. C’est pourquoi, des peines complémentaires telles que des travaux d’intérêt général, des sanctions-réparation paraissent plus adaptées que l’emprisonnement et le juge pénal hésitera moins à les appliquer404. Le droit pénal étant rarement utilisé au Canada, la question se pose de savoir si cette forme sanction serait acceptée par le public. La réponse serait certainement négative, tant les recours criminels sont inexistants en matière de contrefaçon sur internet réalisée par un particulier. Cette solution ne peut alors qu’être préconisée pour la France.

En définitive, les violations du droit d’auteur réalisées sur internet, par un internaute, à des fins personnelles et non lucratives, mériteraient soit d’être totalement dépénalisées pour laisser place à des sanctions administratives, soit de faire l’objet d’un assouplissement des sanctions pénales, à travers la contraventionnalisation. Le droit d’auteur sera alors mieux accepté par le public et cela sera susceptible d’enrayer le phénomène de la contrefaçon sur internet.