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L’évolution de la source de l’infraction sur internet

Chapitre I : L’adaptation des sanctions pénales à la cybercriminalité en droit d’auteur

A. L’évolution des atteintes au droit d’auteur

2. L’évolution de la source de l’infraction sur internet

Le droit d’auteur met en jeu différentes catégories d’acteur : les créateurs, les exploitants – à qui sont reconnus différents droits voisins du droit d’auteur – ainsi que le public96. Le numérique n’a pas eu pour seul effet de développer les possibilités d’atteintes au droit d’auteur. Celui-ci a également opéré un changement dans les catégories d’acteurs. De nouveaux distributeurs concurrencent les exploitants traditionnels dans la diffusion des œuvres sur internet. Sans autorisation des titulaires des droits, cette diffusion constitue une contrefaçon. En outre, le numérique fait du public un nouvel acteur dans la diffusion des œuvres de l’esprit sur internet.

Historiquement, les modes de production et d’exploitation des œuvres de l’esprit étaient limités par la technique. C’est à la fin du XIXe siècle que de nouvelles inventions permettant de créer des œuvres sont apparues. Ainsi, le phonographe est inventé en 1877 tandis que le cinématographe est venu au monde en 1895. De même, la première émission de radio a été écoutée en 1906 et, quelques décennies plus tard, il a été possible d’assister au développement de la télévision et de ses émissions. Parallèlement à ces inventions, les modes de diffusion des œuvres se sont élargis et de nouveaux types d’exploitants ont fait leur apparition : le producteur de disques, l’organisme de radiodiffusion ou le producteur audiovisuel97. Pour produire des œuvres, d’importants investissements économiques étaient nécessaires. Dès lors, l’exploitant des œuvres était nécessairement un professionnel. Quant au contrefacteur d’œuvres, il ne pouvait réaliser l’acte de contrefaçon qu’en contrepartie d’un profit économique en raison de l’investissement nécessaire. Puis, lors de la seconde moitié du XXe siècle, des techniques de copie analogique ont vu le jour, permettant de faciliter les copies des œuvres. Les titulaires de droit ont commencé à accuser les fabricants de matériels de copie de contribuer à la contrefaçon. C’est ainsi que la Cour suprême des Etats-Unis, dans l’affaire Sony Betamax98, a refusé d’admettre que fournir les moyens pour une activité de

contrefaçon soit suffisant pour établir une responsabilité pour la contrefaçon résultant de son utilisation99, et que la France a adopté la rémunération pour copie privée en 1985100.

96 David Lefranc, « Le nouveau public »(2001) D. 107. 97 Lefranc, « La contrefaçon en droit d’auteur », supra note 32.

98 Sony Corporation of America c/ Universal City Studios, Inc., 1984 SC ; [1984] RIDA 178.

99 Louis Charles Landreville, « De la cassette au point-à-point (peer-to-peer) – Chronologie d’une dyspepsie », (2008) 20 : 3 CPI 747.

100 Art 31., Loi n°85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.

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La copie numérique et Internet ont, par la suite, renouvelé la problématique des fournisseurs de moyen de contrefaçon. En effet, avec le numérique, toute personne est capable de détenir une œuvre numérique ou de numériser une œuvre préexistante pour ensuite la diffuser sur le réseau internet. Des entreprises ont alors profité de cette innovation pour donner aux internautes la possibilité de s’échanger des œuvres de l’esprit en organisant ces flux d’échanges sur le réseau, à travers le stockage des œuvres sur leur site internet ou par le biais de logiciels pair-à-pair. La société MP3.com, stockant sur son site internet des fichiers non autorisés d’œuvres musicales, fut, à ce titre, condamnée pour contrefaçon101

. Puis, des entreprises ont développé les solutions d’échanges pair-à-pair en fournissant des logiciels permettant à leurs utilisateurs de télécharger et de mettre à disposition des œuvres de l’esprit par internet. De telles entreprises ne sont pas directement considérées comme contrefacteurs mais fournissent aux internautes les moyens de la contrefaçon. Ce sont, par exemple, les affaires Napster102, ou Grokster103. Plus récemment, c’est la Cour d’appel de Svéa, en Suède, qui n’a pas hésité à condamner pénalement quatre des représentants de la plateforme « The pirate Bay ». Ces derniers ont ainsi été condamnés à une année d’emprisonnement ainsi qu’à 2,7 millions d’euros de dommages et intérêts pour complicité de contrefaçon pour avoir fourni les moyens du délit principal, à savoir le téléchargement illégal104. En conséquence, en donnant aux internautes la possibilité de contrefaire des œuvres, ces sociétés ont pu être condamnées au titre de la contrefaçon par fourniture de moyen.

Bien que la contrefaçon soit, sur internet, réalisée à des fins économiques, le numérique a eu comme résultat de généraliser la délinquance du public sur internet. Grâce à l’avènement de ce réseau, les modes de diffusion des œuvres de l’esprit sont détenus par tous : l’internaute devient à son tour diffuseur de l’œuvre. Lorsque ce dernier utilise un logiciel de pair-à-pair, il réalise un acte de téléchargement ou un acte de mise à disposition. Dès lors, en l’absence d’autorisation des titulaires de droit, l’internaute se livre à un acte de contrefaçon, pénalement répréhensible. À ce titre, des internautes français ont déjà été condamnés sur ce fondement105.

101 United States District Court for the Southern District of New York, 4 mai 2000, UMG Recordings, Inc.

et autres c/ MP3.com, Inc.

102 United States District Court for the Northern District of California, 10 août 2000, Sony Music

Entertainment, Inc. et autres c/ Napster, Inc.

103 United States Supreme Court, 27 juin 2005 dans le conflit Metro-Goldwyn-Mayer studios inc. & al v.

Grokster, Ltd., & Al.

104 CA Svéa 26 Novembre 2010, aff. N° B 4041-09. 105 TGI Pontoise, 2 février 2005, supra note 81.

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Si les utilisateurs deviennent à leur tour de véritables contrefacteurs, c’est certainement grâce à l’apparition du numérique dans les foyers. En effet, en France, 77% des ménages détenaient un ordinateur en 2013106. De même, en 2017, 71% des Français détenaient un téléphone intelligent permettant l’accès à internet107

. Par ailleurs, près de 85% des Français ont un accès internet108. Cette percée du numérique dans les foyers a eu comme conséquence de permettre aux internautes de réaliser eux-mêmes des copies numériques ou d’obtenir ces copies d’œuvres numériques directement sur leurs équipements. Dès lors, une grande partie de la population ayant accès à internet, il est extrêmement aisé pour les utilisateurs de partager et de diffuser les œuvres sur le réseau. Bien souvent, ces derniers n’ont pas l’autorisation des ayants-droit pour de tels actes, les rendant ainsi coupables de contrefaçon en ligne.

De plus, ce n’est pas seulement l’apparition du numérique dans les foyers qui donne cette possibilité aux internautes, c’est également le développement du web 2.0. Cette deuxième génération d’internet est caractérisée par l’interactivité des réseaux. Elle a donné naissance aux sites de partage sur lesquels les internautes peuvent poster eux-mêmes des contenus, ces derniers étant le plus souvent des œuvres de l’esprit. S’agissant du streaming, l’exemple le plus célèbre concerne YouTube. Le fonctionnement de la plateforme repose entièrement sur un modèle où le contenu est généré de façon autonome par les utilisateurs109. Ces contenus sont ensuite communiqués au public par l’entremise de la plateforme. Les utilisateurs peuvent alors rendre disponibles des œuvres protégées sans avoir l’autorisation des ayants-droit. La contrefaçon sur internet des internautes est également singulière au regard de la contrefaçon réalisée par des entreprises. En effet, contrairement aux professionnels, les internautes particuliers ne sont pas motivés par des profits économiques mais sont motivés par la culture du partage et de gratuité procédant de la philosophie originelle d’internet. Ainsi, la contrefaçon qu’ils réalisent sur les réseaux est essentiellement réalisée sans contrepartie financière.

La contrefaçon en ligne constitue donc un phénomène en tant que tel, et étant réalisé par de nombreux individus, il s’apparente à un phénomène de masse. À cet égard, la

106 Source INSEE, disponible sur : www.20minutes.fr/high-tech/1552755-20150302-trois-menages-quatre-

equipes-ordinateur-connecte

107 Source JDN, disponible sur : www.journaldunet.com/ebusiness/internet-mobile/1084076-nombre-de-

mobinautes-en-france

108www.blogdumoderateur.com/barometre-numerique-france-2016-credoc> 109 Bergeron et Gauthier, supra note 72.

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contrefaçon est souvent rapprochée de la piraterie110 et de nombreux textes législatifs ou conventions internationales y font référence. Ainsi, selon L. Marino, « Le piratage est une contrefaçon numérique (contrefaçon sur internet), souvent domestique (contrefaçon à échelle non commerciale) et massive (contrefaçon de masse).»111. Cela est d’autant plus vrai, qu’internet étant un réseau sans frontières, toute la communauté internationale est concernée.