En Afrique subsaharienne, le coût de la construction d'un logement formel est élevé par rapport aux revenus des ménages en raison de facteurs tels que le coût élevé des matériaux de construction formels et l'inefficacité des règlementations et procédures de construction. Les bâtiments qui sont construits par le secteur de construction formelle et conformes à toutes les normes applicables de planification et d'autorisation sont beaucoup moins courants que ceux construits de façon informelle. Au contraire, les matériaux et le secteur de construction informels dominent le secteur de la construction de logements.
La majorité des logements sont construits par leurs propriétaires ou par des entrepreneurs informels, avec des matériaux traditionnels bon marché, ne respectant pas les normes de construction formelle et sont construits progressivement sur de longues périodes.
C.1. Les matériaux de construction formelle coûtant cher, de nombreux logements sont construits avec des matériaux « informels ».
La rareté de matériaux de construction de qualité contribue considérablement au coût élevé du logement. Le coût élevé des matériaux de construction normalisés, qui pourrait facilement augmenter la valeur d'une maison de 80 %, constitue un obstacle majeur à une grande accessibilité122. Au Kenya par exemple, les matériaux de construction à eux seuls pourraient représenter 40 % du coût d'un logement formel (BAfD 2015). Cela est dû au dysfonctionnement de l'industrie de matériaux de construction minée par une faible productivité, le peu de diversification et des capacités technologiques limitées.123 La concurrence, sur la sphère nationale en particulier, est faible mais concentrée, aussi les obstacles à l'entrée de nouvelles entreprises sur le marché se dressent‐ils trop haut. Plusieurs pays choisissent d'importer des matériaux bien qu'ils disposent de leurs propres ressources, ce qui fausse le marché local en faisant grimper les prix des matériaux de substitution dont la production locale serait autrement moins coûteuse.124
À titre d'exemple, si l'industrie du ciment enregistre une croissance par suite de ces pressions du marché, les coûts quant à eux varient toujours considérablement d'un pays à l'autre. La variation des infrastructures et des capacités de production nationales peut en être un facteur ; les pays dotés d'une voirie moins développée et d'une industrie du ciment moins robuste, seront naturellement confrontés à des prix plus élevés.125 Par ailleurs, la dépendance des cimenteries à l'égard des importations de combustible destiné à la production de l'énergie les rend plus vulnérables aux fluctuations des prix internationaux de l'énergie.126 Au Nigéria, la production d'énergie représente 70 % des coûts de production ; le prix d'un sac de ciment de 50 kilogrammes s'élève à 10 dollars US, soit le double du prix aux États‐Unis (figure 23).127
Les ménages à faibles revenus n'ont pas accès aux matériaux durables tels que le ciment et les technologies à faible coût. Toutefois, même avec l'augmentation des capacités de production nationales, il est peu probable que le ciment ou d'autres matériaux durables deviennent le matériau de prédilection de la plupart des ménages d'Afrique subsaharienne. Au contraire, la majorité des logements en Afrique subsaharienne sont actuellement construits par leurs propriétaires eux‐mêmes avec des matériaux
« provisoires », « traditionnels » ou « semi‐définitifs ». Ces matériaux varient d'un pays à l'autre, mais incluent généralement la glaise, le bois, le chaume, la paille, l'argile et les tôles. Ces matériaux ne répondent souvent pas aux normes de construction formelle, mais ils sont bon marché, foisonnent et constituent par conséquent le matériau de base de la plupart des logements informels à coût abordable en Afrique subsaharienne :
Figure 23. Prix moyen d'un sac de ciment de 50 kg en Afrique subsaharienne
Sources : Prix du ciment provenant d'enquêtes par courriel menées en 2010‐2013 ; courriel d'AfriSam ; travaux de recherche du CAHF.
Au Burundi, 70 % des logements sont construits avec des adobes ; 30% sont recouverts de tuiles et de tôles ; et 70 % sont recouverts de chaume et de feuilles de plantes.128
Plus de la moitié des logements en Gambie sont construits avec des matériaux semi‐définitifs.129
Au Kenya, 70 % des logements à Nairobi sont des cabanes de 10 m2 construites avec du bois, de la glaise, des tôles et des clayonnages130,131.
Près de 40 % de Namibiens utilisent les matériaux qu'ils ont trouvé pour construire leurs logements.132
70 % des logements en Ouganda sont construits avec des matériaux provisoires.133
Au Malawi, 66 % des personnes vivent dans des habitations traditionnelles, 15 % dans des logements construits en matériaux semi‐définitifs, et 18 % dans des logements durables en matériaux définitifs.134
Si ces matériaux n'ont pas la préférence de beaucoup d'États, il s'avère tout de même, de par l'expérience, qu'ils peuvent être durables en plus d'être bon marché et produits localement. Par exemple, les termitières que l'on retrouve partout dans la Copperbelt en Zambie sont en train d'être exploitées en raison de leur argile fine utilisée pour fabriquer des briques dans une industrie informelle.135 Reconnaissant l'importance de ces matériaux pour le secteur de logements abordables, le Cameroun a créé la Mission de promotion des matériaux locaux (MIPROMALO) afin d'encourager l'utilisation de matériaux produits localement qui contribuent à réduisent le coût du logement.
C.2. On note un manque d'entreprises de construction formellement qualifiées.
Un marché d'approvisionnement de niveau intermédiaire fait défaut au secteur du bâtiment dans de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. Il existe quelques grandes entreprises capables d'exécuter des marchés de grande envergure et d'un montant important et des milliers de petites entreprises ou d'artisans individuels pour réaliser les travaux de moindre importance et à faible coût. Cependant, il existe peu ou prou d'entreprises au niveau intermédiaire. Les petites entreprises ne reçoivent généralement pas des marchés publics et bénéficient de peu de formation technique de la part des pouvoirs publics.136 Qui plus est, une grande partie des travaux de construction formelle sont réalisés par des entreprises étrangères : en 2013, 37 % des projets ont été exécutés par des entrepreneurs européens ou étasuniens, 12 % par des entreprises chinoises, et la deuxième moitié par divers entrepreneurs de pays comme le Japon, la République de Corée, le Brésil, l'Australie et l'Afrique du Sud.
Les secteurs de la construction formelle et informelle puisent souvent dans le même bassin de main‐
d'œuvre. Il est parfois difficile de différencier les entrepreneurs informels des autres entreprises travaillant dans le bâtiment. Les entrepreneurs formels privés sont assez susceptibles de puiser dans le même bassin de main‐d'œuvre et de compétences que le secteur informel. Pour les projets de grande envergure, il n'est inhabituel de voir des entreprises aller chercher de la main‐d'œuvre à des endroits précis dans les villes, où les ouvriers du bâtiment se rassemblent en début de journée et présentent leurs outils pour indiquer quelles sont leurs compétences, à savoir charpentiers, plâtriers ou carreleurs. Cette collaboration indique que le cadre d'intervention des secteurs formel et informel est un continuum, les entreprises, les artisans et les ouvriers rentrant dans le formel et en sortant en fonction de la nature du projet à réaliser. Il existe également un croisement entre les acteurs formels et informels dans les projets publics de logement et d'infrastructures137, et dans un certain nombre de cas, cette collaboration s'est avérée bénéfique. Par exemple, le programme de logements IHDP de l'Éthiopie a offert des possibilités de formation et accordé des contrats à des ouvriers informels pour la préfabrication de linteaux, de seuils, de solives et dalles de plancher, tandis que les grands entrepreneurs étaient chargés d'assembler les pièces et de couler les charpentes en béton sur le site de construction. Au Cameroun, l'implication des petits entrepreneurs du secteur informel dans le programme de logement sociaux du gouvernement, bien que louable, a donné des résultats mitigés. Plusieurs entrepreneurs ont pâti d'un soutien technique et financier inapproprié et de paiements irréguliers pour le travail réalisé. En conséquence, les travaux de construction sur certains sites de projets ont pris du retard.
5. Demande de logements et accès au financement
Le logement est généralement le seul bien le plus onéreux qu'un individu ou un ménage s'offrira dans sa vie. Comme indiqué de manière détaillée dans la section précédente, le coût du logement en Afrique subsaharienne est influencé par plusieurs facteurs liés à l'offre qui affectent le prix de revient pour les consommateurs. Du côté de la demande, il existe quelques outils pour aider les ménages à acquérir des unités de logement achevées. En plus du fait que la plupart des individus ont des revenus faibles et irréguliers, ce manque de financement pour les consommateurs limite le montant des emprunts ou des dépenses destinés à l'acquisition d'un logement. Il peut aussi stimuler la demande d'autres modalités d'occupation d'un logement, telles que la location, en lieu et place de la pleine propriété. Contrairement aux autres pays développés où le financement pour le logement est obtenu sur les marchés financiers, la grande majorité des investissements destinés au logement en Afrique subsaharienne provient de l'épargne intérieure.138
Pour autant, les banques commerciales sont limitées par un portefeuille relativement étriqué de dépôts de sources intérieures, notamment des travailleurs à revenus élevés et du secteur public. Par conséquent, les banques commerciales n'ont pas les moyens d'accéder à des sources de financements à long terme provenant des marchés financiers et pouvant être utilisés pour mettre en place des produits hypothécaires. Résultat : les produits hypothécaires sont peu courants et relativement coûteux par rapport aux normes internationales. La majeure partie pauvre de la région a recours, si possible, à la microfinance, à des tontines, à des prêts familiaux ou à l'épargne personnelle pour consommer un logement. Le faible montant de ces prêts signifie que la plupart des personnes investissent petit à petit dans le logement, au fil du temps.