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Chapitre I : État des connaissances - Les hypoxies dans l’estuaire de la Gironde

2. L’estuaire de la Gironde

2.2. Le bouchon vaseux

2.1. Caractéristique géographique, morpho-dynamique

L'estuaire de la Gironde est un des plus grands estuaires européens, en termes de surface (635 km²). L'impact de la pollution organique y est modéré si on le compare avec d’autres estuaires européens (Abril et al., 2002). Il est formé par la confluence de deux fleuves : la Garonne et la Dordogne qui apportent chacun respectivement 65% et 35% de l’eau douce (Figure I.4). Le débit moyen annuel (somme de la Garonne et la Dordogne) sur la période 2005-2014 est de 680 m3.s-1, avec une moyenne de 1100 m3.s-1 en hiver et de 295 m3.s-1 en été (Jalón-Rojas et al., 2015). Le bassin versant s’étend sur 81 000 km² et draine les eaux douces provenant des Pyrénées (Garonne) et du Massif Central (Dordogne). La profondeur moyenne de l’estuaire est de 20 m à l’embouchure, entre 5 et 10 m au centre et de 5 à 8 m au niveau des fleuves. L’estuaire de la Gironde classé comme un estuaire macro-tidal et bien mélangé. La marée est de type semi-diurne (dominante M2) avec une période de 12h25mn. Son amplitude (marnage) à l’embouchure varie entre 2,5 m en mortes eaux et 5 m en vives eaux (Allen et al., 1980). L’onde de marée se propage depuis l’embouchure, jusqu’à 180 km en amont, à La Réole sur la Garonne et à Pessac-sur-Dordogne sur la Dordogne (Figure I.4).

2.2. Le bouchon vaseux

L’estuaire de la Gironde est caractérisé par une zone de turbidité maximale (ZTM) appelée aussi le bouchon vaseux (BV) (Allen, 1972). Deux mécanismes physiques sont à l’origine de la formation du bouchon vaseux dans l’estuaire de la Gironde: l’asymétrie de la marée et la circulation résiduelle de densité (Allen et al., 1980).

La marée est une onde longue, sa célérité est donc par définition, proportionnelle à la racine carrée de la hauteur d’eau locale. Alors qu’elle est symétrique en mer, l’onde de marée se déforme lors de sa propagation vers l’amont de l’estuaire, car la crête (pleine mer) se propage plus vite que le creux (basse mer), et devient asymétrique. Ceci entraîne une phase de flot plus courte que la phase de jusant (Figure I.5), mais avec des vitesses de courant plus fortes. De plus, la réduction des sections par la convergence des rives amplifie le marnage et intensifie les vitesses vers l’amont. Ainsi par exemple, pour une marée donnée (Figure I.5), au Verdon (embouchure au niveau du PK100) le marnage est de 5 m et le flot dure 6h12mn, tandis qu’à Bordeaux (96 km en amont), le marnage dépasse 6 m et le flot dure seulement 4h. Les sédiments en suspension transitant dans l’estuaire vont être davantage remis en

21 suspension en flot qu’en jusant, et décanteront sur le fond plus massivement à l’étale de

pleine mer qu’à basse mer (Figure I.6). Il en résulte un transport résiduel des suspensions vers l’amont et un piégeage des sédiments fins autour d’un point nodal de marée (Allen et al., 1980).

Figure I.5 : Marégraphe (en m) sur Le Verdon (bleu), Pauillac (vert) et Bordeaux (rouge) le 1/03/2006. (Données du Port de Bordeaux)

Figure I.6 : Schéma explicatif de l’asymétrie de la marée et de la formation du bouchon vaseux d'après Allen et al. (1980).

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La circulation résiduelle est la circulation nette après le « filtrage » de variations instantanées des courants de marée. Elle fait apparaître l’effet des gradients de densité liés aux variations de salinité. La rencontre entre deux masses d’eaux de salinité différente induit un écoulement d’eau douce en surface vers l’aval et une remontée des eaux marines au fond vers l’amont. A l’interface des eaux douces et des eaux marines, une zone de convergence des courants résiduels est observée, nommée « point nodal » (Allen, 1972). Une particule provenant de l’amont qui chute dans les couches du fond au niveau du point nodal de densité sera reconduite vers l’amont par l’écoulement des eaux marines avant d’être encore une fois transportée vers l’aval. Ce cycle de transport va se répéter et les particules vont s’accumuler au point nodal de densité (Figure I.7).

Figure I.7 : Schéma explicatif de la circulation résiduelle de densité

Si les deux mécanismes peuvent théoriquement expliquer la formation d’un bouchon vaseux estuarien de manière indépendante, des études récentes par modèle numérique ont montré qu’en Gironde, c’est l’asymétrie de la marée qui domine (Sottolichio et al., 2000). La circulation de densité semble jouer un rôle complémentaire, puisqu’elle ne permet pas de « former » un bouchon vaseux, mais elle limite la dispersion des sédiments vers l’aval de l’estuaire, et donc elle joue un rôle dans le maintien d’une masse stable du bouchon vaseux sur le moyen terme. Une conclusion similaire avait été tirée sur la Seine (Brenon et Le Hir, 1999), qui a en commun avec la Gironde d’être un estuaire macro-tidal et faiblement stratifié. La circulation résiduelle et les mécanismes de piégeage des suspensions augmente le temps de résidence de l'eau qui a été estimé compris entre 20 et 86 jours (Jouanneau et Latouche, 1981) et des particules du bouchon vaseux entre 1 et 2 ans (Saari et al., 2010). Le BV est

23 caractérisé par des concentrations en matières en suspension (MES) supérieures à plusieurs

centaines de mg.L-1 allant jusqu’à quelques g.L-1. La taille et la position du BV évoluent selon les conditions hydrologiques de l'estuaire, notamment les débits fluviaux et les cycles de marée. En hiver le BV se trouve sur l’estuaire central autour de Pauillac (Figure I.8). A l’échelle du cycle de marée, les concentrations en MES en surface sont toujours maximales à mi-marée à cause de la remise en suspension des particules lorsque les courants sont les plus forts, puis diminuent aux étales de marée car les MES décantent vers le fond. A l’échelle lunaire, les périodes de fort marnage (vives eaux, VE) et de faible marnage (mortes eaux, ME) alternent avec une périodicité de 14 jours. En ME, les MES décantent plus massivement aux étales et forment sur le fond une vase fluide appelée « crème de vase », dans laquelle les concentrations en MES sont supérieures à 100 g.L-1. En VE, lorsque les vitesses de courants redeviennent assez fortes, la crème de vase est remise en suspension quasi totalement. En été, lorsque les débits fluviaux diminuent (étiage) le BV remonte vers l’amont de l’estuaire, jusqu’à Portets sur la Garonne et Libourne en Dordogne (Figure I.8, Jalón-Rojas et al., 2015).

Figure I.8 : Sur 10 années, débit journalier de la Garonne et la Dordogne (a), marnage à Bordeaux (b), turbidité en NTU (moyenne par marée) à Pauillac (c), Bordeaux (d), Portets (e) et Libourne (f). La courbe rouge représente les moyennes lissées selon un filtre de passe-bas, pour souligner la tendance de la turbidité (Jalón-Rojas et al., 2015)