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PARTIE 1 - INTRODUCTION THÉORIQUE __________________________ 11

II. DES PERCEPTIONS DE COMPÉTENCE SCOLAIRE BIAISÉES

1. Le biais positif dans l’évaluation de sa compétence

La question des apports bénéfiques d’une surévaluation de sa compétence sur les

plans de l’adaptation, du fonctionnement et du bien-être psychologiques chez les

individus demeure encore très controversée. Avoir une vue illusoire positive de soi a

longtemps été évocateur de problèmes de santé mentale (Jahoda, 1958). Ce point de vue

prônant les effets délétères de telles surévaluations de soi a peu à peu été contesté et un

point de vue opposé s’est vu proposé par la suite, sans pour autant que l’un ou l’autre

s’impose. Dans leur revue de la littérature, Taylor et Brown (1988) proposent qu’il est

tout à fait commun et normal chez l’homme de se surévaluer et de présenter un

optimisme prononcé (i.e. irréaliste). Ces illusions positives à propos de soi seraient

reliées favorablement à une variété de composants tels que la capacité à prendre soin

des autres, la satisfaction, la capacité à réaliser des tâches fructueuses et créatrices, le

fonctionnement intellectuel (résolution de problèmes), la motivation, la persistance à la

tâche et la performance. Dans la même lignée, des résultats de la littérature, inscrits

dans la théorie sociocognitive de Bandura (1986), des indiquent qu’un biais positif dans

l’évaluation de soi présenterait davantage un caractère adaptatif, agissant en faveur

d’une motivation à apprendre et d’une persistance accrue à la tâche et protégeant les

1985 ; Bouffard & Narciss, 2011 ; Feslon, 1985). Il a été montré que la surestimation de

ses compétences scolaires était positivement reliée à de meilleures performances à la

tâche, à de meilleurs résultats scolaires dans le temps et à une meilleure estime de soi

(Martin & Debus, 1998 ; Paulhus, 1988). Aussi, Cole, Martin, Peeke, Seroczynski et

Fier (1999) ont montré que plus les élèves se surestimaient, moins ils présentaient de

symptômes d’anxiété et de dépression. Par ailleurs, le caractère adaptatif de ce biais

positif dans l’évaluation de soi a été remis en cause par certains auteurs postulant que

les individus doivent savoir précisément où ils se situent dans les apprentissages afin de

mettre en œuvre les actions nécessaires à leurs progrès (Butler & Winne, 1995). Le biais

positif n’aurait alors, selon eux, aucun d’impact sur des variables telles que la

persistance et la motivation. Dans la même perspective, les résultats de Robins et Beer

(2001) ont indiqué que les croyances illusoires n’étaient pas reliées à de meilleurs

résultats, ni à un mieux-être psychologique, mais davantage reliées au narcissisme, au

biais d’auto-complaisance ainsi qu’à plus long terme à une baisse de l’estime de soi, du

bien-être et de l’engagement dans les tâches scolaires. Aussi, Covington et Beery (1976)

avancent que la surestimation de ses compétences serait associée à l’anxiété, la peur de

l’échec, aux réactions défensives et à une faible estime de soi. Les résultats de l’étude

de Connell et Ilardi (1987) qui a porté sur 121 enfants scolarisés en fin de primaire vont

aussi dans ce sens et indiquent que les enfants se surestimant présenteraient un plus haut

niveau d’anxiété, une plus faible estime de soi (rapportée par les enseignants), des

stratégies de coping plus pauvres et une plus faible auto-régulation que les enfants se

sous-évaluant. D’autres études ont rapporté que le biais positif d’évaluation de sa

compétence peut tout autant présenter des bénéfices que des effets délétères (Paulhus,

1998 ; Robins & Beer, 2001). Le biais positif pourrait alors avoir un impact positif à

court terme (par exemple sur l’autorégulation des élèves) mais entraîner des coûts à plus

long terme (tels que sur l’estime de soi et le bien-être) (Robins & Beer, 2001). Aussi,

selon d’autres, il pourrait être bénéfique pour les apprentissages et être néfaste sur le

plan des relations interpersonnelles (Paulhus, 1998). Ces résultats divergents peuvent

éventuellement être expliqués par la diversité des approches mobilisées (Bouffard &

Narciss, 2011). En effet, notons la grande variété dans laquelle le biais positif de

l’évaluation de soi a été examiné : métacognition, motivation, psychologie sociale,

personnalité, psychologie de l’éducation, psychologie clinique (Bouffard & Narcis,

2011). De plus, la variété de domaines interrogés est tout aussi grande (Baumestier et

al., 2003) : la performance à l’école, la performance à la tâche, les relations

interpersonnelles, les comportements non adaptatifs (tels que l’agression, la violence, la

délinquance), le bien-être (tel que le bonheur, les stratégies de coping et la dépression),

la santé. Dès lors, on peut comprendre que d’une approche à une autre, d’un domaine à

un autre, l’examen de l’effet du biais positif de l’évaluation de soi n’amène pas à des

conclusions convergentes. De plus, si une surévaluation de sa compétence peut être

négativement reliée à un domaine, elle peut promouvoir l’adaptation et le succès dans

un autre domaine.

Cette question toujours en suspens et largement controversée quant aux

bénéfiques ou délétères d’un biais positif d’évaluation de sa compétence a conduit

récemment plusieurs auteurs à proposer un état de l'art sur la question, appuyé par de

nouvelles études empiriques (Bouffard, Vezeau, Roy, & Langelé, 2011 ; Dupeyrat,

Escribe, Huet, & Régner, 2011 ; Gonida & Leonardi, 2011 ; Narciss, Koerndle &

Dresel, 2011). La démarche des auteurs était d’examiner les implications d’un tel biais

sur la motivation et le fonctionnement scolaire et psychologique des élèves de diverses

cultures, scolarisés au primaire et au collège. L’aspect innovant de ces études réside en

ce qu’elles se sont intéressées aux biais d’évaluation dans des domaines spécifiques ce

qui, notons-le a rarement été examiné jusqu’à présent. Aussi, elles examinent pour

certaines l’évolution du biais d’évaluation dans la durée (e.g. sur une période de cinq

années pour l’étude de Bouffard et al., 2011), ce qui jusqu’à présent n’avait pas été

étudié. Prises dans leur ensemble, ces études apportent de nouveaux éléments de

compréhension quant aux implications que peut avoir un biais positif dans l’évaluation

de sa compétence.

Tout d’abord, les résultats des travaux de Bouffard et al. (2011) et de Dupeyrat

et al. (2011) montrent clairement les bénéfices liés à la surévaluation de ses

compétences tant en termes d’adaptation psychosociale que de comportements de

réalisation (i.e. performance scolaire). L’objectif de Bouffard et al., (2011), dont l’étude

a porté sur 462 élèves de 3

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et 4

e

année, était double. Premièrement, il s’agissait

d’étudier l’évolution du biais d’évaluation de sa compétence scolaire sur cinq années

pour appréhender les trajectoires d’évolution particulières à des groupes d’individus

(Nagin, 1999, 2005). Deuxièmement, il s’agissait d’examiner si ces trajectoires de biais

positif étaient davantage reliées à des indicateurs positifs d’adaptation psychosociale et,

inversement, moins reliées à des indicateurs négatifs que d’autres trajectoires. Les

résultats des analyses de trajectoires ont permis de mettre en évidence cinq trajectoires

distinctes d’évolution du biais d’évaluation. Trois groupes d’élèves débutaient l’étude

avec un biais négatif dans l’évaluation de leur compétence. L’un d’eux avait un biais

d’évaluation modérément négatif tout au long de l’étude, un autre connaissait une

amélioration (i.e. évolue d’un biais très négatif à un biais modérément négatif) et un

dernier un déclin (i.e. le biais était de plus en plus négatif les trois premières années et

se stabilisait en fin d’étude). Un quatrième groupe (plus de la moitié de l’échantillon)

avait un biais d’évaluation stable et modérément positif au cours des cinq années alors

que le cinquième et dernier groupe se caractérisait par un biais très positif tout au long

de l’étude aussi. Ces résultats indiquent qu’il existe des trajectoires d’évolution du biais

distinctes et que certaines assez stables en regard de leur niveau initial détecté cinq

années plus tôt. Concernant le deuxième objectif, les résultats montrent que le groupe

doté d’un biais positif élevé présentait les plus hauts scores d’indicateurs positifs,

rapportant une haute estime de soi, une perception de satisfaire les attentes parentales

élevée et un fort soutien social perçu comparativement aux autres trajectoires. Les

élèves de ce groupe étaient aussi ceux qui, à la 5

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année de l’étude, avaient les meilleurs

résultats scolaires. En somme, non seulement cette étude a non seulement permis de

distinguer les élèves présentant un biais positif dans l’évaluation de leur compétence des

autres mais, plus encore, elle a permis de montrer que ces élèves sont ceux qui en

bénéficient le plus sur le plan du leur bien-être et de l’adaptation psychosociale. Il

semblerait que les bénéfices d’un biais positif d’évaluation de sa compétence s’étendent

au plan des comportements de réussite. En effet, dans l’étude de Dupeyrat et al. (2011)

qui a porté sur 461 élèves du secondaire, âgés de 13 à 16 ans, les résultats indiquent que

ceux qui se surévaluent en mathématiques progressaient davantage que les autres dans

cette discipline d’un trimestre à l’autre.

Par ailleurs, les travaux de Gonida et Leonardi (2011) et Narciss et al. (2011)

sont plus mitigés quant aux bénéfices d’un biais positif d’évaluation et plaident en

faveur de ceux qui ont une évaluation réaliste de leur compétence. Dans leur étude qui a

porté sur plus de 6000 adolescents âgés d’environ 15 ans, Gonida et Leonardi (2011)

ont examiné le lien entre les biais d’évaluation dans deux disciplines (grec et

mathématiques) et la motivation des élèves. Les résultats révèlent que la surévaluation

de ses compétences était associée à autant de bénéfices mais à davantage de coûts

qu’une évaluation réaliste de ses compétences. Par exemple, les élèves se surévaluant

étaient plus orientés vers les buts de performance que les autres élèves. La question pour

ces élèves des coûts ou bénéfices d’une illusion positive n’est donc pas tranchée

d’autant que les buts de performance sont tantôt considérés par les auteurs comme étant

moins adaptatifs que les buts de maîtrise et tantôt comme impliquant des conséquences

positives pour la réussite scolaire (Bouffard & Couture, 2003 ; Butler, 2011). Dans la

même lignée, les résultats de Narciss et al. (2011) ne plaident pas uniquement en faveur

des bénéfices d’un biais positif. Dans leur étude qui a porté sur 71 élèves âgés de 10 à

12 ans, les auteurs ont examiné dans quelle mesure le biais d’évaluation de sa

compétence en mathématiques influençait la satisfaction que les élèves éprouvaient

envers leur performance suite à une tâche dans cette même discipline. Après avoir

réalisé quatre séances d’entraînement en mathématiques à l’aide d’un logiciel

permettant d’augmenter la performance, les élèves rapportaient leur satisfaction eu

égard la dernière performance. Les résultats révèlent que les plus satisfaits n’étaient pas

ceux qui présentaient un biais positif d’évaluation mais ceux présentant une évaluation

réaliste de leur compétence en mathématiques. Outre le fait que la performance des

élèves sous-évaluant leur compétence ait augmenté à la suite des quatre séances, ces

jeunes étaient aussi ceux qui présentaient la plus faible hausse de satisfaction en regard

de leur performance.

Les résultats de ces études récentes ont contribué à porter un nouveau regard sur

le biais positif d’évaluation de sa compétence. Sans pour autant permettre de conclure

systématiquement en termes d’effets bénéfiques de bien-être et/ou d’adaptation

psychosociale, ils mettent en évidence la complexité de la relation entre le biais positif

d’évaluation de sa compétence et ses conséquences. En revanche, pour le biais négatif

dans l’évaluation de sa compétence, les résultats sont fort consistants et s’accordent sur

les effets délétères d’un tel biais.