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PARTIE 1 - INTRODUCTION THÉORIQUE __________________________ 11

II. DES PERCEPTIONS DE COMPÉTENCE SCOLAIRE BIAISÉES

3. Considérations méthodologiques : comment le biais d’évaluation de sa

3.1. Considérations générales

Rappelons que le biais d’évaluation de sa compétence est défini comme étant un

décalage entre la compétence de la personne et l’évaluation qu’elle en fait. Afin de

déterminer la présence d’un biais, ces deux données, les compétences et les perceptions

de compétence, sont nécessaires. La principale critique qui peut être adressée à un grand

nombre d’études ayant porté sur le biais d’évaluation de soi est l’utilisation d’un critère

peu objectif pour juger des compétences effectives de la personne et ainsi déterminer la

présence ou non d’un biais. Par exemple, plusieurs travaux visant à étudier les relations

entre le biais positif d’évaluation de soi et des variables de bien-être ont considéré que

des perceptions de soi très positives étaient de fait irréalistes (Aspinwall & Taylor, 1993

; Taylor & Armor, 1996). Pourtant, en l’absence d’une confrontation de ces perceptions

à un critère objectif, il semble difficile de conclure avec force à la présence d’un biais

positif. Forts d’une telle conclusion, certains auteurs ont alors choisi d’identifier le biais

d’évaluation sur la base de critères plus objectifs mais restant toutefois critiquables sur

d’autres points (Robins & Beer, 2001). C’est ainsi que certains se sont référés aux

modèles normatifs pour déterminer si l’individu présentait un biais positif dans

l’évaluation de sa compétence (Gramzow, Elliot, Asher, & McGregor, 2003). Cette

méthode qui consiste à demander aux personnes de se situer par rapport à un individu

moyen a ses limites en regard de la tendance générale, bien connue dans la littérature

psychologique, que nous avons à nous évaluer plus favorablement que l’individu moyen

(Alicke, 1985 ; Codol, 1975 ; Colvin & Block, 1994 ; Wood, 1996). Dès lors, comment

savoir si l’auto-évaluation positive d’une personne donnée est ou non biaisée ou si elle

est le simple reflet de cette tendance générale? Une autre limite tient dans le fait qu’en

prenant comme référence un autrui moyen la compétence n’est pas clairement définie,

donc que le point de comparaison est pour le moins imprécis (Colvin & Block, 1994).

D’autres auteurs font appel au consensus social pour déterminer la présence

d’une illusion positive ou négative de soi (Colvin, Block, & Funder, 1995 ; John &

Robin, 1994 ; Lewinsohn, Mischel, Chaplin, & Barton, 1980 ; Paulhus & John, 1998,

Étude 2 ; Robins & John, 1997). Pour ce faire, les auteurs comparent l’auto-évaluation

de la personne avec l’évaluation que d’autres examinateurs font d’elle (il peut s’agir

tout aussi bien d’amis, de camarades, de collègues ou encore d’autres personnes

étrangères). Au temps-1 de mesure, les participants qui s’évaluent plus favorablement

que les examinateurs sont jugés comme présentant un biais positif d’évaluation de soi.

Au temps-2 de mesure (quelques semaines voire quelques années plus tard), les auteurs

mettent en relation ce biais avec des évaluations faites par d’autres examinateurs à

l’égard de chaque participant sur divers attributs personnels (une centaine dans l’étude

de Colvin et al., 1995) ou caractéristiques interpersonnelles. Dans l’ensemble, les

résultats ont indiqué que la présence d’un biais positif d’évaluation de soi mesuré au

1 était négativement reliée aux évaluations faites par les examinateurs au

temps-2. Cependant, cette méthode qui a été utilisée à plusieurs reprises soulève quelques

problèmes (Gramzow et al., 2003). L’un des premiers concerne son objectivité.

L’interprétation de la réalité d’autrui par des personnes lui étant extérieures est en partie

tributaire de leurs caractéristiques et du contexte dans lequel elles sont placées. Un autre

problème tient aux énoncés utilisés dans cette méthode pour l’évaluation de soi. En

effet, les traits utilisés pour se décrire sont généraux et peuvent faire appel chez les

personnes à des catégories différentes. Une personne pourra par exemple se définir

comme étant talentueuse (trait général) car elle possède de fortes compétences en

musique alors qu’une autre associera son talent à ses compétences scolaires. En somme,

l’identification d’un biais dans l’évaluation de soi par le recours à un modèle normatif

ou à un consensus social soulève divers problèmes qui rendent incertaine l’identification

des personnes ayant un biais. Un critère plus objectif semblerait donc essentiel pour

juger du décalage qui peut exister entre les compétences de la personne et les

perceptions qu’elle en a. Notons toutefois que lorsqu’il s’agit d’interroger l’évaluation

exagérée de soi (sur des traits de personnalité par exemple), le recours à des critères

objectifs reste limité.

3.2. Considération spécifique : le biais d’évaluation de sa compétence scolaire

Concernant le biais d’évaluation de sa compétence scolaire, un critère objectif et

vérifiable est plus facilement utilisable : ce sont les compétences scolaires effectives des

élèves. Par ailleurs, la mesure en elle-même des compétences scolaires effectives

des élèves diffère d’une étude à l’autre. En effet, tandis que certains auteurs utilisent les

résultats scolaires des élèves ou le jugement de l’enseignant (e.g. Cole et al., 1999 ;

Cole et al., 1998), d’autres préfèrent employer des tests standardisés (Phillips, 1984,

1987) comme des tests d’habiletés mentales (e.g. Bouffard et al., 2003). Les auteurs

utilisent aussi parfois un score agrégé de ces deux critères comme valeur des

compétences scolaires – i.e. résultats scolaires et tests standardisés (e.g. Robin & Beer,

2001). La pertinence de chaque critère est discutable. En effet, pour ce qui concerne le

jugement de l’enseignant ou les résultats scolaires comme mesure des compétences

scolaires des élèves, il est admis que ces critères ne sont pas dénués d’une coloration

particulière liée à la subjectivité de l’enseignant (Bressoux & Pansu, 2003 ; Cole et al.,

1999 ; Fleury-Roy & Bouffard, 2006). Pour ce qui concerne les tests standardisés

mesurant les habiletés mentales, ils ont l’avantage de pallier le biais présent dans le

jugement de l’enseignant mais sont moins proches des situations d’apprentissage vécues

quotidiennement par les enfants. Pour cette raison, certains diront donc qu’il n’est pas

un critère parfait pour rendre compte des aptitudes scolaires des élèves (Butler, 2011).

Une fois les mesures de perceptions de compétence et les mesures de

compétences effectuées, il reste à calculer le biais d’évaluation de sa compétence.

Plusieurs méthodes différentes ont vu le jour (Gramzow et al. 2003). Tout d’abord,

Phillips (1984, 1987) et Harter (1985a), les premières auteures à s’être intéressées au

biais que les élèves peuvent présenter dans l’évaluation de leur compétence, ont choisi

une méthode qui n’est plus utilisée aujourd’hui. Afin de contrôler les compétences des

élèves, elles ont sélectionné parmi une population d’élèves uniquement ceux qui étaient

très compétents. L’idée était que de faibles perceptions de compétence chez ces derniers

seraient révélatrices d’un biais négatif dans l’évaluation de leurs compétences alors que

des perceptions de compétence élevées seraient révélatrices d’un biais positif. On

comprendra aisément que, malgré son originalité, cette méthode présente plusieurs

limites. D’une part, elle ne permet pas de contrôler rigoureusement les compétences des

élèves et d’autre part, elle se limite à l’étude des élèves à haut potentiel. D’autres

auteurs font la soustraction de la valeur du critère de référence (i.e. la compétence

objective dite objective, à savoir les performances) à la valeur auto-rapportée par les

individus (perceptions de compétence) (e.g. Borkowski, Carr, Rellinger, & Pressley,

1990 ; Fleury-Roy & Bouffard, 2006) ou régressent les performances sur les perceptions

de compétence. Ceux qui pratiquent cette dernière méthode utilisent les résidus

standardisés issus de la régression pour identifier la présence d’un biais positif ou

négatif (Cole et al., 1999 ; Bouffard et al., 2003 ; Bouffard et al., 2006 ; Larouche et al.,

2008 ; Vaillancourt & Bouffard, 2009 ; McCall, Beach, & Lau, 2000 ; Connell & Ilardi,

1987 ; Robins & Beer, 2001 ; Gramzow et al., 2003 ; Paulhus & John, 1998). Une fois

la variance partagée des perceptions de compétence avec la performance supprimée, le

score résiduel restant représente le biais d’évaluation (Paulhus & John, 1998). Cette

méthode permettrait d’appréhender plus rigoureusement qu’une simple soustraction,

une sur- ou sous-évaluation de sa compétence (Robin & John, 1997). Le plus souvent,

lorsque le biais d’évaluation est envisagé en tant que variable indépendante, plusieurs

groupes sont formés sur la base du score représentant le biais. Généralement, trois

groupes sont formés : le groupe pessimiste, le groupe réaliste et le groupe optimiste.

Bien que tous les auteurs n’appliquent pas les mêmes critères pour déterminer les

groupes, il est généralement admis qu’un score résiduel en deçà de -1 est révélateur

d’un biais négatif dans l’évaluation de sa compétence et un score résiduel au-delà de +1

est révélateur d’un biais positif (McCall et al., 2000). Les élèves ayant un score compris

entre ces bornes sont alors identifiés comme évaluant de manière plutôt réaliste leur

compétence. Pour autant, aussi ingénieuse soit-elle, cette opérationnalisation

méthodologique ne saurait nous faire oublier que l’identification d’un biais d’évaluation

de sa compétence relève du construit et que les résultats restent à interpréter avec

précautions. En effet, lorsque l’on s’intéresse aux résidus standardisés, nous nous

intéressons à l’erreur résiduelle, c’est-à-dire à l’écart entre la valeur prédite par le

modèle et la valeur prise par l’individu. Le résidu standardisé n’est autre que l’erreur

résiduelle normée et centrée. Ainsi, imaginons une situation fictive, somme toute fort

peu probable qui serait la suivante : supposons qu’aucun élève dans les faits ne

sous-estime sa compétence scolaire. Du fait des erreurs de mesures, nous pourrons toujours

extraire de notre modèle des résidus standardisés compris entre -3 et +3, d’une moyenne

de 0. Si les résidus suivent une loi normale (sans quoi le modèle ne serait pas valide),

nous aurons toujours systématiquement 66% des élèves dont le résidu est compris entre

-1 et +1. Ainsi, selon cette méthode d’identification du biais et selon les critères

d’identification cités ci-dessus, 17% de l’échantillon serait considéré comme présentant

un biais négatif dans l’évaluation de sa compétence (et 17% serait considéré comme

présentant un biais positif) : or, d’après notre situation (certes fictive), nous ne sommes

pas supposés avoir d’élèves présentant un biais négatif dans l’évaluation de leur

compétence. Cette opérationnalisation n’est donc pas sans présenter quelques travers

que nous nous devons d’appréhender à leur juste mesure.

Dans les sections qui suivent (III et IV), nous porterons notre attention sur un

processus qui pourrait être à l’origine d’un biais négatif d’évaluation de sa compétence :

la comparaison sociale.

III. UN DÉTERMINANT POSSIBLE : LA COMPARAISON