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PARTIE 1 - INTRODUCTION THÉORIQUE __________________________ 11

4. Concept de soi scolaire ou perceptions de compétence scolaire

4.3. Déterminants des perceptions de compétence scolaire

Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, le concept de soi se forme à

travers les expériences des individus dans leur environnement et en interaction avec les

autrui significatifs (Shavelson et al., 1976 ; Harter, 1999 ; Bong & Skaalvik, 2003 :

Brunot, 2007). Afin d’évoquer plus précisément les sources d’influence à l’élaboration

des perceptions de compétence scolaire, nous évoquerons les antécédents énoncés par

Skaalvik (1997) à l’élaboration du concept de soi, qui sont transposables au domaine

scolaire. Skaalvik (1997) a identifié cinq antécédents possibles au concept de soi : les

expériences de maîtrise, la centralité psychologique, les cadres de référence, les

attributions causales et les perceptions réfléchies. Le premier élément, à l’instar de la

formation du sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1977), concerne les

expériences de maîtrise relatives aux performances antérieures dans un domaine. Elles

occupent une place importante dans le développement du concept de soi. Cependant, ce

n’est pas tant la performance antérieure qui compte que la représentation qu’en a la

personne, donc les interprétations qu’en fait cette dernière. Ainsi, à performance égale,

l’interprétation peut varier d’un individu à l’autre et influencer différemment les

perceptions que chacun a de ses compétences (Usher & Pajares, 2008). Le deuxième

élément, la centralité psychologique constitue un autre antécédent à la formation des

perceptions de soi. S’inspirant des travaux de Rosenberg (1979), Skaalvik (1997)

avance que l’estime de soi se forme en relation avec les évaluations que les individus

font d’eux-mêmes dans des domaines qu’ils perçoivent importants ou

psychologiquement centraux. Cette notion de centralité psychologique n’est autre en fait

que la notion d’importance perçue introduite par Harter (1998) que nous avons déjà

évoquée auparavant, c’est-à-dire relative au décalage entre la façon dont les personnes

perçoivent leur compétence dans un domaine et l’importance accordée à ce domaine. Le

troisième antécédent possible du concept de soi est le cadre de référence qui est

directement lié aux processus de comparaison sociale (Festinger, 1954 ; Marsh, 1986 ;

Wheeler, 1966). Deux cadres de référence sont mis en avant : la comparaison externe et

la comparaison interne. La première se réfère au processus selon lequel les personnes

comparent leur aptitude avec celle d’un groupe ou d’autrui (ce processus fera l’objet

d’un développement dans les sections III et IV de cette partie). La seconde se réfère à la

comparaison que les personnes font de leurs aptitudes dans différents domaines. Marsh

(1986) propose un modèle du cadre interne/externe de référence (Internal external

frame of reference model) dans lequel il intègre ces deux cadres de référence afin de

rendre compte du concept de soi des élèves. Le modèle postule que les personnes (e.g.,

les élèves) multiplient généralement leurs cadres de référence pour s’évaluer et que, ce

faisant, elles utilisent aussi bien une comparaison interne qu’une comparaison externe.

Par exemple, lors d’une comparaison externe de leur compétence, les élèves peuvent se

référer à la performance moyenne de l’école, à la performance moyenne de la classe

et/ou aux performances de certains étudiants de la même classe ou d’une autre classe

(Skaalvik & Skaalvik, 2002). Lors d’une comparaison interne, ils peuvent se référer à

leurs performances dans différents domaines scolaires à un temps donné (Marsh, Parker

& Barnes, 1985) ou dans un même domaine à des temps différents (Skaalvik &

Skaalvik, 2002). Selon ce modèle, les concepts de soi en mathématiques et en français

se forment sur la base de ces deux cadres de comparaison et lorsqu’ils sont considérés

comme agissant conjointement, la corrélation entre les deux concepts de soi tend à se

rapprocher de zéro – à importance accordée au domaine égale par ailleurs (Marsh,

1986). Ce rapprochement vers zéro résulterait de deux points qui s’annuleraient : (1)

lorsque seule la comparaison externe est considérée, il est attendu que les concepts de

soi entre deux matières (e.g., mathématiques et en français) corrèlent positivement et (2)

lorsque seule la comparaison interne est considérée, il est attendu que les deux concepts

de soi corrèlent négativement (Marsh, 1986). Pour Skaalvik, 1997, le rôle des

attributions causales dans le développement des perceptions de soi constituerait un

quatrième antécédent de la formation des perceptions de soi. En effet, l’orientation de

l’attribution de causalité (interne vs. externe) jouerait un rôle capital dans la protection

de soi. Le biais de complaisance en est une expression. Les personnes qui tendent à

expliquer leurs échecs en mobilisant préférentiellement des causes externes

présenteraient une estime de soi plus élevée que celles mobilisant des causes internes

(Tennen & Herzberger, 1987 ; Zuckerman, 1979). Ainsi, les facteurs mis en avant par

les élèves pour expliquer leurs échecs ou leurs réussites affecteraient leur concept de soi

scolaire, certains auteurs évoquent à ce propos une relation réciproque dans la mesure

où le concept de soi affecterait aussi en retour le type d’attributions utilisé (Skaalvik &

Skaalvik, 2002 ; Skaalvik, 1997). Bien que certains auteurs soutiennent que le biais

d’auto-complaisance ne soit pas incompatible avec le fonctionnement motivationnel des

élèves (Zuckerman, 1979), d’autres avancent que nier la responsabilité de ses échecs

peut amener l’élève à affaiblir son sentiment de contrôle sur les événements et à

diminuer sa motivation à accomplir une tâche (Martinot, 2008). Enfin, le cinquième

antécédent possible concernerait, selon Skaalvik (1997), les perceptions sur soi que les

élèves prêtent à autrui. En cela, il rejoint la position de Harter (1999) et d’autres auteurs

(Bordeleau 2000 ; Nurra & Pansu, 2009 ; Phillips, 1987) pour qui la perception de soi

est influencée par les autres significatifs, à savoir les parents, les pairs, les

enseignants… Il a par exemple été montré que les perceptions de compétence des élèves

sont liées aux perceptions réfléchies des parents sur soi (e.g. Frome & Eccles, 1998 ;

Phillips, 1987) ; et que la relation est plus élevée quand il s’agit des perceptions que

l’élève prête à ses parents plutôt que de leurs perceptions effectives (Bordeleau, 2000 ;

Felson, 1993). Dans ce débat, Nurra et Pansu (2009) ont montré que l’effet des

perceptions effectives des parents et des enseignants sur les perceptions de soi des

enfants était médiatisé par les perceptions réfléchies de ces autrui significatifs sur soi.

Au-delà des perceptions réfléchies, il semblerait que les perceptions effectives jouent

aussi un rôle dans les perceptions de soi. Les résultats de Bressoux et Pansu (2003) ont

révélé que plus les enseignants jugeaient positivement la compétence de leurs élèves,

plus ces derniers avaient une perception de leur compétence élevée (à compétence

scolaire égale). Sur la base des travaux de Jussim et Eccles (1992), les auteurs avancent

que le jugement de l’enseignant reflèterait une attente qui se répercuterait dans

l’évaluation que l’élève fait de ses compétences scolaires.

Dans la section qui suit, nous porterons notre attention aux perceptions de

compétence lorsqu’elles sont biaisées en regard d’un critère objectif de compétence.

C’est ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui dans la littérature l’illusion

d’(in)compétence ou le biais dans l’évaluation de sa compétence scolaire. Cette illusion

ou biais est défini(e) comme le décalage chez un individu (ici un élève) entre ses

compétences et la perception qu’il en a. Bien que de faibles perceptions de compétence

peuvent effectivement correspondre à de bas rendements scolaires, elles peuvent aussi

être la conséquence d’une interprétation biaisée des informations issues de

l’environnement des élèves (Harter, 1983 ; Nicholls, 1979). Il est généralement admis

que jusqu’à l’âge de 8-9 ans, les enfants présentent souvent un biais positif dans

l’évaluation de leur compétence (Bouffard et al., 2003 ; Bouffard, Markovits, Vezeau,

Boisvert, & Dumas, 1998 ; Harter, 1990, 1999 ; Nicholls, 1979 ; Stipek & MacIver,

1989). Au moins trois raisons ont été avancées pour expliquer cet optimisme initial du

jeune enfant. La première serait une confusion entre leurs désirs et la réalité, les

amenant à s’évaluer en fonction de ce qu’ils veulent plutôt que de critères objectifs

(Ruble, Grosouvsky, Frey, & Cohen, 1992). La seconde serait leur difficulté à

différencier les notions d’habileté et d’effort (Nicholls, 1979, 1984). L’effort serait

l’indicateur que le jeune enfant utiliserait pour évaluer sa compétence scolaire. Après

avoir fourni un grand effort, il s’évaluerait plus compétent qu’un autre élève qui en a

fourni moins, même si ce dernier obtient de meilleurs résultats (Stipek & MacIver,

1989). En fait, ces jeunes élèves expliqueraient leur compétence cognitive en termes

d’engagement et d’effort dans la tâche (Harter & Pike, 1984). Enfin, selon la troisième

raison, les feedback positifs transmis à répétition par les adultes pour encourager et

soutenir les efforts des jeunes enfants les conduiraient à se croire plus compétents qu’ils

ne le sont vraiment (Stipek & MacIver, 1989). C’est à la faveur du développement

intellectuel qui rend plus efficace le traitement des informations impliqué dans le

processus d’évaluation que, vers l’âge de 8-9 ans, se dessine progressivement la

capacité de l’enfant à porter un jugement plus réaliste sur sa compétence (Bouffard et

al., 1998 ; Harter, 1985a ; Nicholls, 1979). Pour autant, cela ne signifie pas que tous

développeront une perception juste de leur compétence scolaire. Certains continueront à

présenter un biais d’évaluation positif de leur compétence alors que d’autres feront

l’inverse et développeront un biais négatif (Bouffard, Marcoux, Vezeau, & Bordeleau,

2003 ; Bouffard, Vezeau, Chouinard & Marcotte, 2006 ; Larouche, Galand & Bouffard,

2008 ; Phillips, 1984, 1987). La partie qui suit est consacrée au phénomène des biais

d’évaluation de sa compétence.

II. DES PERCEPTIONS DE COMPÉTENCE SCOLAIRE