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Laisser le raisonnement procédural céder le pas au raisonnement incarné

Chapitre 3 : Résultats

3.3 Résultats à la question de recherche

3.3.5 Laisser le raisonnement procédural céder le pas au raisonnement incarné

La valorisation de la PC amène les participantes à prendre des distances sur les interventions qui sont prônées ou habituelles. Ainsi, elles expriment : 1) s’appuyer sur leur ressenti pour guider leur raisonnement clinique ; 2) suspendre l’accent sur la résolution de problème; et 3) suivre la direction qui se dessine.

3.3.5.1 S’appuyer sur son ressenti pour guider le raisonnement clinique

Toutes les participantes décrivent comment leur expérience de la PC les ont amenées à régulièrement suspendre leur raisonnement procédural pour éviter les automatismes. Elles demeurent ainsi présentes à ce qu’y survient lors de l’évaluation et à leur intuition, pour mieux se centrer sur la personne.

m'aide à y aller plus en fonction de ce qui se passe, en fonction de ce qui jaillit à l'intérieur de moi quand j'écoute la personne parler. De partir de ce qu'elle dit pour faire d'autres liens et en arriver quand même à avoir un portrait assez clair de qui elle est (participante 1).

Elles insistent toutes sur l’importance qu’elles accordent au ressenti, plus particulièrement à son influence sur la planification de leurs interventions. Certaines participantes rapportent que cette manière de faire a pu conduire à des critiques des membres de leur équipe, mais elles y voient une meilleure adéquation aux besoins de la personne et à la réalisation de leur mandat.

De bien sentir ce qui est important chez la personne, cela influence drôlement ton raisonnement clinique car ton plan d'intervention, tes interventions vont être en fonction de ça. Et ça va être pas mal plus réaliste aussi. Et tes objectifs vont peut-être être petits, mais au moins vont convenir. En tout cas, petits aux yeux de certains... […] mais, vont bien convenir à la personne (Participante 3).

En étant présentes à ce qu’elles ressentent, elles arrivent à percevoir les impasses, doser leurs interventions, nuancer leur analyse initiale ou retrouver leurs repères. Au courant de ce processus, ces participantes se montrent sensibles aux manifestations de résistance chez leur client. Par exemple, la participante 3 exprime accorder une attention soutenue à son ressenti, ce qui lui permet de reconnaître si la personne est prête à recevoir ce qu’elle lui propose ou si elle doit lâcher prise pour mieux respecter ses dispositions. Elle ajoute que d’être centrée sur son ressenti lui permet de sortir des interventions routinières pour mieux saisir l’essentiel.

S’appuyer sur leur ressenti permet à ces participantes de valider que leurs interventions soient justes, bien adaptées au contexte et au client, au-delà des savoirs formels. La participante 7 explique : « Ça me permet de trouver un équilibre entre la souffrance du client, mais aussi d'utiliser mon moment présent. Moi, dans mes sensations corporelles, mes pensées pour gager [jauger] l'intervention qu'on va choisir ».

3.3.5.2 Suspendre l’agir, l’intervention et la résolution de problème

Les représentations du processus de changement de toutes les participantes sont teintées de certaines attitudes fondamentales de la PC que sont la patience, le non-effort ou la confiance. Elles énoncent un vif désir de respecter le rythme de la personne et sa capacité d’effectuer des changements, comme l’indique la participante 3 :

Je trouve que ça teinte beaucoup l'évaluation, dans la relation d'aide, mais beaucoup dans l'intervention aussi. De respecter où la personne en est rendu. Dans la pleine conscience, on parle de la patience qui est de laisser faire le temps, laisser de l'espace pour que la personne puisse aussi cheminer. Dans l'intervention, je trouve que cela vient jouer un rôle très, très important (Participante 3).

Dans ce processus, toutes les participantes misent aussi sur une posture centrée sur l’accueil et l’esprit du débutant. Cette attitude se traduit par un regard neuf, libéré des expériences passées. Elle amène certaines participantes à accueillir la situation et à ralentir l’analyse qu’elles en font, afin de ne pas la clore hâtivement ou de ne pas sombrer dans des interprétations faciles, qui occulteraient certains aspects incontournables :

Il y a un accueil qui fait que tu ne fermeras pas tout [tout de suite]. Tu n’iras pas trop vite à ton analyse. Il faut que tu analyses tout le temps, mais pas trop vite. De donner un peu d'élasticité. C'est un peu l'attitude du débutant. Parce qu'on est des experts, on saute vite aux conclusions. Mon analyse se fait, en général… Vite, je me fais une idée, mais [comme si elle se parlait à elle-même] : Attends un peu! Donne le temps. Et des fois, on a des surprises au courant de la rencontre (participante 4).

Plusieurs participantes (P2, P3, P4, P5 et P6) se disent plus prédisposées à observer, sans précipitation, plutôt que d’être centrées sur la résolution des problèmes. Par exemple, la participante 6 explique bien qu’elle souhaite faire place au raisonnement incarné, prendre le temps d’être attentive à ses sensations plutôt que de faire simplement appel à ses connaissances ou la résolution de problème : « Rationnellement, c'est ça qui se passe, mais le fait de prendre un temps d'observation, ça va descendre dans le corps. Et ça peut amener une autre façon de voir la situation ». Elle ajoute : « Je vais être moins dans la résolution de problèmes et plus dans : on observe, on prend le temps, sans s'agiter ou le porter sur soi ».

Ainsi, ces participantes gardent la foi qu’une évolution naturelle permette de soulever de nouvelles possibilités ou d’arriver à une résolution : « J'aime bien l'idée de recourir au non-effort. […] Parce qu'en fait, c'est l'idée de ne pas forcer les choses. [Forcer les choses], ça ne donne pas nécessairement des bons résultats. Alors de laisser s'installer ce qui doit être (participante 5).

La majorité des participantes énoncent aussi le désir d’accompagner leurs clients de manière bienveillante. Plutôt que de recommander des moyens d’action, elles les proposeront à leur client en étant ouvertes à les ajuster, comme le mentionne la participantes 5 :

J'utilise le mot « proposer » parce que pour moi, malgré que l'on dit qu'on fait des recommandations, pour moi des recommandations, ce n'est pas des obligations. C'est quelque chose qui est en mouvance, qui peut s'adapter à la situation puis à la personne, à ses valeurs, à ses volontés.

De même, ces participantes ne s’attribuent pas la nécessité de prendre en charge le processus de changement, comme en témoigne la participante 1 : « Ne pas vouloir prendre trop la responsabilité de trop vouloir aider. […] Ça appartient au client le processus. Puis moi, je suis là pour le guider, l'accompagner ». Les participantes évitent intentionnellement une attitude protectrice. Elles se positionnent plutôt en tant qu’accompagnatrices afin de laisser le client avancer par lui-même et à son rythme, comme l’explique la participante 6 :

Un accompagnateur, c'est quelqu'un qui est très bienveillant, qui est à côté de l'autre et qui va porter sur l'autre un regard qui va l'aider à cheminer, qui ne fera pas à sa place mais qui peut pointer des choses. Ce n'est pas protecteur, c'est juste un support (participante 6).

À cet effet, la participante 6 affirme que la position d’accompagnateur se développe naturellement en cultivant les attitudes de PC : « Le non-jugement, la patience, l'esprit du débutant, le lâcher-prise. Toutes ces attitudes-là, quand tu les intègres de plus en plus en toi, tu ne peux pas faire autrement que de te placer plus en accompagnateur ».

3.3.5.3 Suivre la direction qui se dessine d’elle-même

L’ouverture à déroger des procédures établies se manifeste pour certaines participantes par un désir de laisser place à l’expérimentation, l’essai, voire au hasard. Elles s’appuient sur la PC pour dégager le sens des occupations et des expériences thérapeutiques. Elles considèrent que cette exploration nécessite initialement du temps, mais qu’elles en récoltent les fruits puisqu’elles voient ultérieurement se dessiner l’avenue à prendre.

Notre corps, nos émotions nous informent beaucoup sur ce qui fait du sens et sur ce qu'on veut dans notre vie. Je trouve que ce passage-là est important et il demande du temps : être dans l'exploration pour que la direction se donne d'elle-même, au lieu de trouver la direction d'emblée (participante 1).

L’intervention devient alors un processus fluide et dynamique décrit comme une danse interactive : « Les images […] la vision du dialogue, c'est fluide. Ça va, ça vient. C'est comme la danse, c'est comme une danse unique qui se crée » (participante 2). La participante 3 utilise aussi la métaphore d’un cours d’eau pour illustrer la fluidité du processus :

L'image qui me vient, c'est l'eau. Et là, ça suit son chemin. Le chemin que ça doit avoir aussi, pas un chemin qui est déjà mentionné, un chemin qui est déjà dessiné, préétabli. [Comme si elle se parlait à elle-même] : Woup! Regarde! Ça va prendre ce cours d'eau là au lieu de prendre l'autre…

Elles disent unanimement avoir confiance que le processus thérapeutique conduise à des bénéfices qui viendront en temps et lieu. En réfrénant leur envie de réagir, plusieurs intervenantes (P1, P3, P4, P5 et P6) constatent que des solutions et des orientations émergent d’elles-mêmes : « Donnons-nous du temps un peu et observons. J'ai été étonnée de voir qu’il y a des choses qui se plaçaient d'elles-mêmes. […] Rester observateur. Accueillir même si […] des fois, c'est dérangeant » (participante 6). Cette manière de faire a permis à certaines participantes d’améliorer leur confiance en situation d’intervention : « J'ai plus confiance dans mes guidances, dans ma manière d'intervenir parce que je n’ai pas besoin de suivre un plan établi, j'ai juste à écouter ce qui se passe » (participante 1).

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