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Laisse venir, Pierre Ménard et Anne Savell

3 Éléments pour une conduite

3.1 Corpus artistique

3.1.1 Description des pièces

3.1.1.3 Laisse venir, Pierre Ménard et Anne Savell

Pierre Ménard et Anne Savelli, Laisse venir, La Marelle éditions, Marseille, e-pub, 2012. Pierre Ménard et Anne Savelli sont écrivains. Ce projet est leur seul travail mené en commun. Publié sous forme numérique, Laisse venir relève du journal de voyage, et relate un parcours entre Paris et Marseille réalisé via Google Street View. Le volume, constitué de textes et d'images, est rythmé par l'alternance des deux récits, disjoints, mais empruntant le même protocole : rallier les deux villes en dix étapes. La progression du récit s'effectue dans le sens Paris-Marseille. La progression dans le livre peut se faire de manière linéaire, chapitre après chapitre, ou bien en circulant à l'aide d'une carte présente en début de volume, qui permet soit de ne suivre qu'un des deux voyageurs, soit d'entrer directement dans le récit de chacun via une étape.

Le projet d'Anne Savelli et Pierre Ménard est né dans le cadre d'une résidence d'écrivain à Marseille à l'invitation de La Marelle (Ménard & Savelli, 2012, p. 13), au cours de laquelle Anne Savelli a mené deux projets qui ont abouti à deux publications : Laisse venir écrit avec Pierre Ménard et

Anamarseilles. Laisse venir fait suite à une proposition de Pierre Ménard à Anne Savelli d'écriture à quatre mains, dans la suite du livre Les autonautes de la cosmoroute ou Un voyage intemporel Paris- Marseille de Julio Cortázar et Carol Dunlop, publié en 1983. Sans pour autant suivre à la lettre près le protocole établit par Cortázar et Dunlop – un voyage d'un mois sans quitter l'autoroute –, Ménard et Savelli en retiennent l'idée d'un itinéraire à deux et une attention portée aux espaces des bords de route, ceux situés en marge du flux routier. Pour tout moyen de déplacement, Savelli et Ménard s'en remettent à Google Street View, ce qui contribue à requalifier le mouvement même du trajet, et à faire de l'interface d'information spatiale non seulement un véhicule mais aussi une prothèse visuelle dotée de son propre régime d'attention aux lieux.

Tout comme le livre référence de Cortázar et Dunlop, cette publication est assimilée au genre littéraire du carnet de voyage. Les auteurs y font le récit de leurs pérégrinations. Le trajet suit une feuille de route préétablie, spécifique à chacun des deux voyageurs, les parcours ont néanmoins en commun un même motif, celui de la remémoration de lieux traversés par le passé. Chacun effectue dix étapes entre Paris et Marseille, à son rythme. Au total, ce sont dix- huit villes qui deviennent, via l'exploration interfacée, lieu d'écriture.

L'itinéraire de Pierre Ménard est marqué par une recherche de traces orientée vers la remémoration d'un trajet d'enfance.Celui d'Anne Savelli est l'occasion de réintroduire dans le présent de l'écriture des fragments d'expériences liés aux lieux traversés à différents moments de sa vie.

Pierre Ménard, Anne Savelli, Laisse venir couverture (à droite), et page intérieur (à gauche).

Cette publication restitue le voyage commun des deux auteurs malgré qu'ils l'aient réalisé séparément, chacun posté à la fenêtre de leur ordinateur connecté à Street View. Quelques occurrences témoignent de renvois et de croisements, dans la conscience de l'autre écrivant et consultant une même interface devenue moyen de transport et zone de déambulation. Ce sont deux voies parallèles qui sont rendues présentes dans ce carnet, et qui convergent vers un même projet : parcourir l'itinéraire de Paris à Marseille à bord d'un même véhicule. La structuration de cette publication est fonction des villes étapes qui donnent lieu à capture d'images et à écriture. Le carnet n'est rythmé par aucune date, la chronologie du voyage ne constitue pas une mise en forme du récit. D'un point de vue formel, les contributions des deux auteurs suivent un principe commun : une distribution conjointe de textes et d'images. Le contenu publié est plus dense pour Pierre Ménard que pour Anne Savelli, tant pour ce qui concerne les texte que pour les images34.

Les images sont des captures d'écrans, nettoyées des marques qui signent habituellement l'interface (la boussole d'orientation, et les différents éléments qui cadrent la fenêtre de l'application). En l'état, mis à part quelques zones floues et quelques parasites visuels propre à Street View, ces images ne présentent que peu de différences avec des images photographiques usuelles ; du point de vue du lecteur, l'attente produite par ces images relève du registre photographique. La combinaison du texte et de l'image est identique aux deux itinéraires. Le rôle de l'image dans la mise en récit du voyage prend plusieurs formes. Les captures d'écrans témoignent des parcours réalisés, et de ce qui a frappé les deux auteurs au cours de leur déplacement, à la manière d'une pratique d'image sur site. À cette valeur de témoignage, s'ajoute celle d'une confrontation à un mode d'accès aux configurations spatiales singulier. Dans ce cas, les captures d'écrans cherchent à saisir non plus seulement ce que Street View montre mais comment il montre. Dans ces situations, l'écriture témoigne de l'étonnement, de la surprise des confrontations aux scènes rencontrées. Enfin, il n'est pas rare que l'image soit intégrée dans le fil d'un texte pour prendre en charge la continuité du récit textuel mais par d'autres moyens. Cela se régule par un jeu de renvois plus ou moins explicite entre les deux éléments.