• Aucun résultat trouvé

3 Éléments pour une conduite

3.1 Corpus artistique

3.1.1 Description des pièces

3.1.1.1 deuxvisions, Caroline Delieutraz

Caroline Delieutraz, deuxvisions, 2012.

Caroline Delieutraz, est une artiste française née en 1982. Elle situe son travail dans le registre du net art. Les conditions de production et de diffusion des images constituent l'axe majeur de son activité d'artiste. Son terrain d'observation et de pratique est pour l'essentiel situé sur Internet. deuxvisions est une œuvre réalisée en 2012. Cette pièce est déclinée deux versions : une version web et une version accrochage. Ce travail est un ensemble d'images, composé de quinze diptyques pour la version web et de vingt-huit diptyques et un livre pour la version accrochage. Dans les deux cas, chaque diptyque forme une juxtaposition de deux images d'un même lieu : une première extraite d'un livre du photographe français Raymond Depardon (Depardon & Lussault, 2012), et une seconde sous la forme d'une capture d'écran réalisée dans Google Street View. La déclinaison web de ce travail prend la forme d'une page d'un site Internet dotée d'une url propre29, et est

composée de quinze diptyques associés à un hyperlien pointant vers Google Street View ; la déclinaison accrochage de l’œuvre se compose d'une pièce réunissant vingt-huit diptyques encadrés accrochés au mur et d'un exemplaire du livre de Depardon pour consultation. Dans le cas de la version web, les images de Depardon sont des numérisations des pages du livre ; les images Street View, quant à elles, sont des captures d'écrans légèrement recadrées et portant quelques marques de l'interface. Concernant la version de pièce exposée, les images de Depardon sont des pages extraites du livre ; les captures d'écrans Street View ont été imprimées et sont les mêmes que pour la version web. Dans tous les cas, les deux images de chaque diptyque sont de même format ; les cadrages sont, sinon identiques, tout au moins les plus proches possibles. Réalisée en 2012, cet ensemble se joue d'une possible simultanéité des dispositifs de prise de vue sur le territoire.

Les rapprochements en images mis en œuvre font coexister différentes déclinaisons d'une même image. Les photographies de Depardon constituent le point de référence de la production des captures d'écrans réalisées par Delieutraz. Ces images sont des reproductions contenues dans un livre, et, en tant que telles, sont le produit d'une édition qui résulte d'une série de choix. L'édition à partir de laquelle travaille Delieutraz est la version poche d'une publication de type « beaux livres »30 publiée à l'occasion de l'exposition « La France » à la Bibliothèque nationale de France de

septembre 2010 à janvier 2011, elle-même fruit d'un travail issu d'auto-commande financée par des fonds publics et privés31.

Les images réalisées par Delieutraz à même l'interface Street View sont d'un autre ordre. Elles sont réalisées par prélèvement d'affichages sur écran de compositions de photographies géolocalisées et assemblées par Street View sur un fond de carte. Elles sont le produit de plusieurs opérations : dans un premier temps les prises de vue sont réalisées par la flotte de voitures Google , à la suite de quoi elles sont traitées et mises en ligne ; dans un second temps Delieutraz procède à une enquête à partir des informations contenues dans le livre, notamment via l'index des lieux de prise de vue situé en fin d'ouvrage ; une fois le lieu de prise de vue localisé, les captures d'écrans sont réalisées en prenant pour référence les cadrages des images de Depardon. La pièce deuxvisions ne traite pas seulement d'une confrontation d'images d'un même lieu, ce faisant elle aborde aussi la question de la réplique d'une image en contexte de diffusion. Ainsi elle induit la question d'une image d'un lieu qui préexisterait à l'acte même.

Caroline Delieutraz, deuxvisions, capture d'écran, source : http:// deuxvisions.net

31 « Début 2004, sans prévenir mes proches, j'ai commencé à chercher des soutiens financiers. J'ai été auditionné par la commission du Fonds national d'art contemporain. La direction des Arts plastique du ministère de la Culture a accepté de soutenir le projet en contrepartie de dons de triages pour leur collection. Parallèlement, l'agence Magnum a démarché les conseils régionaux et cinq d'entre eux ont répondu favorablement […]. Deux partenaires privés, la banque HSBC et la Mutuelle des architectes français, m'ont soutenu tout comme notre maison de production, Palmeraie et désert, qui a fourni la logistique pour la réalisation de cette mission :

Caroline Delieutraz, deuxvisions, version accrochage, détail, source : http://www.delieutraz.net/en/two-visions/

Le cadrage constitue un point central dans ce travail. La pratique de la photographie tient pour beaucoup aux facultés de l'opérateur à pratiquer par le cadre une découpe. Le cadre résulte d'un choix et renvoi à la question du point de vue sélectionné associé à l'optique retenue. Le bord de l'image photographique est donc partie prenante de l'image. Les reproductions contenues dans le livre de Raymond Depardon sont cernées d'un cadre noir détourant en quasi-totalité l'image ; ce cerne constitue le bord du plan-film original non exposé à la lumière, sa présence renseigne sur la nature du type d'appareil photographique utilisé – en l’occurrence une chambre photographique utilisant des plans-films 20x25 cm – et indique que les images n'ont pas été recadrées. Les reproductions des photographies de Depardon sont des fac-similés d'images photographiques dont le cerne noir détache l'image du support. Le cadrage photographique, ingrédient de la composition, est redoublé par le détourage de l'image. Les captures d'écrans, quant à elles, cadrent dans un ensemble d'images assemblées en mode panoramique, c’est-à-dire dans une image sans bords apparents. La confrontation des deux images opère par le cadrage, c'est en fonction de lui que les éléments de la composition se structurent.