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La validité externe des expériences de politique

1.4 Conception et évaluation des politiques publiques à l’aide de l’économie expérimentale

1.4.2 La validité externe des expériences de politique

La pertinence des expériences en laboratoire pour la conception de politiques va dépendre de la possibilité de prendre compte dans le protocole expérimentale tous les facteurs pertinents du problème étudié (Ostrom et al, 1994). Afin d’assurer la validité interne du protocole expérimentale des simplifications sont opérées dans le phénomène représenté. La validité interne exige de l’abstraction et de la simplification pour rendre traitable l’objet du programme de recherche, ces concessions sont faites en réduisant la validité externe (Schram, 2005) ; il y a donc un arbitrage entre les deux. Loewenstein (1999) remarque que cette discussion a été complètement ignorée par les économistes. Il n’est pas surprenant que les économistes se soient focalisés plus dans la validité interne des expériences que dans la validité externe, remarque Schram (2005), car la première est à la base de la longue tradition de raisonnement déductive dans la modélisation économique.

La validité interne des résultats expérimentaux se fonde sur quatre préceptes avancés par Smith (1982) pour assurer le test des théories économiques, à savoir, non-satiation, salience,

dominance et privacy. Un cinquième précepte, le parallélisme, permettrait l’applicabilité « en

dehors du laboratoire » des propositions testées dans le laboratoire. Selon Plott (1987), le

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parallélisme est une notion vague sur comment les observations des phénomènes simples observés dans le laboratoire peuvent aider à comprendre et à prédire le comportement dans un monde plus complexe et changeant. Il propose, et illustre avec des exemples, plusieurs dimensions dans lesquelles des ponts peuvent être construits entre le laboratoire et le monde réel. La question est alors de savoir quels sont les protocoles expérimentaux qui respectent le précepte du parallélisme ? Ou comment concevoir un protocole expérimental dont les résultats peuvent être transférables hors du laboratoire ?

Loewenstein (1999) est assez abrupte dans sa réponse, il explique que la validité externe est très limitée pour la plupart des applications des expériences en laboratoire sauf pour celles où des marchés très structurés sont mis en place. Bardsley (2005) va plus loin encore en questionnant même la validité interne des expériences. Il argumente que les phénomènes économiques étudiés se produisent dans le monde réel et non pas dans le laboratoire et que, par conséquent, les expériences en laboratoire dans les sciences sociales n’ont pas la même force démonstrative qu’en sciences naturelles. Le laboratoire (où des mécanismes de contrôles sont introduits) est perçu comme un artefact que génère un comportement artificiel qui ne serait jamais observé à l’extérieur. Néanmoins, selon Carpenter et al. (2004), cette affirmation ne peut pas être généralisée, a priori, à tous les protocoles expérimentaux car l’évaluation du « degré » de représentativité est une question multidimensionnelle. Hogarth (2005), en empruntant le concept de « design représentatif » à Brunswik E., argumente que la validité externe d’un design expérimental peut être évaluée sur deux dimensions : (i) la représentativité des participants et (ii) la représentativité des situations ou des tâches auxquelles les participants sont confrontés. L’échantillon standard de l’économie expérimentale est constitué d’étudiants principalement en économie et gestion, typiquement âgés entre 18 et 23 ans. Bien évidement, ce n’est pas un échantillon représentatif de l’ensemble de population, mais la question n’est pas là : est-il vraiment déterminant que les caractéristiques démographiques de l’échantillon standard ne soit pas représentatif de la population ? L’important, c’est que les caractéristiques des sujets soient pertinentes pour les théories ou phénomènes testés dans le laboratoire (Hogarth, 2005). Ainsi Harrison et List (2005) indiquent ‘la nature de l’information et des expériences personnelles que les sujets apportent dans le laboratoire’, comme un des facteurs pouvant être utilisés pour déterminer si un protocole expérimental est une « expérience de terrain » ou non. Ce facteur est capital pour la validité externe des protocoles où les participants ont de rôles précis à joueur.

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Tandis que le problème de la non représentativité des échantillons peut être surmontée en recrutant les échantillons appropriés, la représentativité des situations est beaucoup plus complexe à gérer. Harrison et List (2005) proposent plusieurs facteurs, plus ou moins corrélés, qui affectent cette dimension de la validité externe du protocole expérimental dont la nature du « bien », la nature de la tâche et de l’institution mise en place, la nature de ce qui est en jeu (stakes) et la nature de l’environnement où les sujets opèrent. A partir de différentes combinaisons de ces facteurs (plus les deux facteurs cités précédemment), ils construisent une taxonomie des protocoles expérimentaux (cf. Harrison et List (2005) pour une analyse détaillée de chaque catégorie) :

- Expérience en laboratoire conventionnelle : utilise un échantillon standard de sujets, un cadre abstrait et un ensemble de règles est imposé.

- Expérience de terrain artificielle : idem que l’expérience en laboratoire conventionnelle mais avec un échantillon de sujets non standard.

- Expérience de terrain cadrée : idem que l’expérience de terrain artificielle mais avec des éléments du contexte, soit dans le bien, la tâche, ou l’information que les sujets peuvent utiliser.

- Expérience de terrain naturelle : idem que l’expérience de terrain cadrée mais dans un environnement réel où le sujet entreprend ses tâches et où il ne sait pas qu’il participe dans une expérience.

Un nouveau type d’expérience appelé « expérience virtuelle » a été développée par Fiore et al. (2007). En combinant les notions de la « réalité virtuelle » des sciences de la computation, de la « décision naturaliste » de la psychologie et des « expériences de terrain » en économie, les « expériences virtuelles » ont pour objectif de rassembler les avantages des différentes méthodes, à savoir, les expériences contrôlées en laboratoire, les expériences de terrain et les études de terrain (Fiore et al., 2007).

Pour identifier les facteurs pertinents qui affectent les décisions, il est important de réaliser plusieurs types d’expériences. Par exemple, Harrison et List (2003) ont mis en place des expériences de terrain « artificielles » et « cadrées » avec le même échantillon de sujets pour déterminer si les éléments de contexte modifient les heuristiques qui s’appliquent très naturellement dans le cas contextualisé. Donc, la représentativité des situations ne porte pas tort à l’expérimentation en sciences sociales en soit, car la validité externe de ces résultats

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peut être évaluée avec plus d’expérimentation. A partir d’un design factoriel qui incorpore au fur et à mesure les éléments de contexte considérés comme pertinents pour le phénomène étudié, il est possible d’identifier leurs impacts sur le comportement.

La validité externe des expériences en laboratoire est d’une importance capitale si elles ont pour but d’aider à concevoir et à évaluer des politiques publiques. Le grand nombre d’expériences en laboratoire qui ont servi avec succès à des fins appliquées est déjà un indicateur de l’utilité et la validité des résultats en tirés. Néanmoins, ce sont des institutions très structurées et très proches de la réalité (comme la vente aux enchères) qui ont été testées. Dans d’autres applications, la validité externe devrait être « estimée » avec un protocole expérimental approprié. Des expériences abstraites en laboratoire sont donc le premier pas à franchir.

Nous pensons cependant qu’une évaluation « argumentée » de la validité externe d’une expérience en laboratoire peut être menée. La condition sine qua none pour qu’un protocole soit valide est que tous les aspects pertinents du problème étudié soient pris en compte et approximés de façon satisfaisante dans le laboratoire. Ceci va dépendre de plusieurs choses dont l’objectif précis de l’expérience ; le chercheur devrait justifier son choix et pourrait éventuellement le faire valider par le « client » (le décideur public). En plus, dans la conception du protocole visant à tester la « représentativité de la situation », et sachant que les programmes de recherche sont tous soumis à des contraintes de temps et de budget, uniquement certains éléments du contexte pourront être évalués. Donc, le chercheur devrait également identifier les éléments du contexte, dits pertinents, et justifier son choix. C’est à partir des justifications fournies par le chercheur qu’un jugement subjectif sur la validité externe des expériences abstraites dans le laboratoire peut être porté.

Nous tenons enfin à remarquer en tant que conclusion générale de notre brève discussion que les résultats des expériences abstraites en laboratoire sont en soi une évidence empirique du comportement et que le poids donné à cette évidence est une question subjective qui concerne chaque utilisateur des résultats.

1.5 Conclusion CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

L’eau souterraine dans la plaine du Roussillon n’a pas été encore atteinte par une intrusion d’eau de mer généralisée. Néanmoins, l’abaissement chronique des niveaux piézométriques des nappes profondes est un signe de surexploitation qui rend incontournable la mise en place d’une structure de gestion de la demande. Malgré l’engagement précoce des autorités dans la gestion des eaux, l’exploitation non domestique de l’eau souterraine dans le Roussillon, à des fins principalement agricoles, s’est fortement développée sans aucun contrôle. En conséquence, les forages agricoles ne sont que partiellement connus et les volumes prélevés sont rarement mesurés. Suite à la signature de l’Accord Cadre en 2002, plusieurs démarches ont été entreprises visant à constituer une structure collective de gestion de l’eau souterraine et à blanchir les points de captage pirates.

Un instrument à vocation incitative pour agir sur la demande d’eau souterraine est la redevance ressource instaurée par la loi sur l’Eau de 1964. L’utilité de la redevance pour la gestion de la demande, autre qu’assurer la santé financière du système de gestion, réside dans son potentiel incitatif à l’économie d’eau. Une tarification correcte des prélèvements en eau souterraine permettrait, en théorie, d’envoyer les bons signaux pour la prise de décision concernant l’investissement en technologie d’irrigation et le choix de la ressource à exploiter, ainsi que les volumes à prélever. Cependant, rien n’indique a priori que les agents vont réagir de la façon qui est prédite par la théorie utilisée. L’élasticité de la demande en eau dépend de plusieurs facteurs ; d’un côté, les facteurs techniques et, d’un autre, les facteurs comportementaux. C’est-à-dire que, même si techniquement les besoins en eau peuvent être optimisés dans le court terme (sans investissements majeurs, e.g. changement de technologie d’irrigation), les prélèvements peuvent ne pas être réactifs au prix de l’eau (taux de la redevance). Donc, la question qu’un régulateur peut se poser est la suivante : peut-on reposer la gestion de la demande en eau souterraine sur une redevance sur les volumes prélevés ou faut-il utiliser un instrument plus fiable (quotas ou marché d’eau) ? Autrement dit, si c’est techniquement possible, peut-on réguler les prélèvements en modifiant le taux de la redevance ? Ou encore, existe-t-il une conception optimale de la redevance afin d’atteindre ce but ?

La méthode expérimentale est très convenable pour répondre à ce type de question. A partir des expériences en laboratoire, il est possible d’avoir, avant toute mise en pratique d’un instrument, une première confrontation empirique de la performance attendue de celui-ci. Il

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permet donc d’épargner, en cas d’erreur, des coûts sociaux éventuellement importants. Egalement, les résultats des expériences sont très utiles pour servir de support aux discussions entre les différents acteurs, soit pour faire passer un message plus facilement qu’avec des théories abstraites et lourdes en mathématiques, soit pour servir d’évidence en faveur d’un argument spécifique.

La validité externe des expériences en laboratoire est d’une importance capitale si elles ont pour but d’aider à concevoir et évaluer des politiques publiques. Le grand nombre d’expériences en laboratoire qui ont servi avec succès à des fins appliquées est déjà un indicateur de l’utilité et la validité des résultats en tirés. Néanmoins, ce sont des institutions très structurées celles qui ont été testées, e.g. la vente aux enchères, dont on trouve de similaires dans la réalité. Dans d’autres applications la validité externe devrait être « estimée » avec un design expérimental approprié dont, des expériences « abstraites » en laboratoire (expérience en laboratoire conventionnelle) sont le premier pas. C’est ce premier pas que nous comptons franchir dans cette thèse.

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Chapitre 2