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La gestion de l’eau souterraine dans la plaine du Roussillon

1.3 La gestion de la demande : un défi majeur pour la plaine du Roussillon

1.3.3 La gestion de l’eau souterraine dans la plaine du Roussillon

Historiquement, les principales actions de gestion entreprises ont consisté, d’un côté, à investir dans la connaissance de la ressource et son fonctionnement et, d’un autre côté, à créer essentiellement pour l’agriculture, des substituts à l’eau souterraine.

Réalisé à l’initiative des Ministères de l’Industrie et de l’Agriculture, le premier réseau de suivi piézométrique a vu le jour dans les années 1970. Il a été depuis fortement développé et est actuellement financé par le Conseil Général, le BRGM et l’Agence de l’Eau (sa gestion et son exploitation ont été confiées au BRGM). Les données produites ont été ainsi utilisées pour élaborer et valider un modèle mathématique de simulation des nappes de la plaine du Roussillon4.

En 1968, le Conseil Général des Pyrénées-Orientales définit comme politique de réserver l’eau souterraine pour l’alimentation en eau potable (AERMC et al., 2003). Cette politique prévoyait de rendre irrigable l’ensemble de la plaine du Roussillon grâce à des réseaux collectifs sous pression alimentés par plusieurs retenues d’eau situées sur les trois fleuves majeurs. En rendant disponible une eau sous pression et à la demande, l’objectif était d’aider les agriculteurs à adopter des techniques modernes d’irrigation et économes en temps (comme

4 Ce modèle résulte d’une convention signée en 1979 par la Direction Départementale de l’Agriculture et la Forêt avec le BRGM. Une première version est réalisée en 1984 suivie de plusieurs améliorations, la dernière datant de 1992. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

l’aspersion), techniques difficilement utilisables avec une eau gravitaire dont l’accès est discontinu dans le temps et le coût de la mettre sous pression n’est pas négligeable. Le projet de planification hydraulique de 1968 n’a finalement été que partiellement exécuté avec la construction de trois retenues (Vinça sur la Têt en 1975, Villeneuve la Raho en 1979, et Caramany sur l’Agly en 1994), mais l’objectif de généraliser sur la plaine l’irrigation collective sous pression n’a pas été atteint (Lecat, 2005). Néanmoins, l’irrigation s’est bien modernisée grâce à l’accès à la ressource en eau souterraine. Par conséquent, l’objectif initial de réserver l’eau souterraine à l’AEP n’a pas été atteint et les prélèvements agricoles diffus se sont multipliés.

Réduire les tensions sur la ressource en eau via une action sur la demande consiste soit à agir sur le nombre de forages soit sur la quantité prélevée. Ceci présuppose que les points de captage soient connus et les volumes mesurés. La législation impose la déclaration de tout forage à usage non domestique, de tout ouvrage de plus de 10 mètres de profondeur et de tout forage inclus dans les périmètres de protection des captages. Egalement, la déclaration (ou la demande d’autorisation) de certains types de prélèvement est exigée en fonction du type d’usage, de la tension sur la ressource en eau et de la capacité de la pompe. De plus, l’article 11 de l’arrêté du 11/09/2003 rend obligatoire un compteur volumétrique pour les usages non domestiques, adapté au débit horaire et à la pression d’utilisation et l’article 27 de la nouvelle loi sur l’eau en étend l’obligation à l’ensemble des utilisateurs. Un arrêté préfectoral (3471/2003 du 3 novembre 2003) déclare également certaines communes de la plaine du Roussillon en « zone de répartition des eaux » (ZRE)5 à partir d’une profondeur de 30 mètres ; ceci a pour conséquence concrète l’élargissement du nombre de forages concernés par une déclaration et/ou autorisation car les règles de déclaration/autorisation des prélèvements sont durcies. Mais de nombreux agriculteurs sont réticents à révéler l’information exigée par la loi, craignant que la jouissance qu’ils ont de la ressource soit ainsi diminuée (Lecat, 2005). Cette situation de « piraterie » devrait être en train, au moins partiellement, de se régulariser, une procédure de déclaration simplifiée des ouvrages agricoles ayant été initiée depuis le classement de la nappe profonde en ZRE. La maîtrise d’ouvrage de cette procédure est assurée par la DDAF (MISE) et la maîtrise d’oeuvre a été confiée à la Chambre d’Agriculture. Il peut certes être surprenant qu’une telle action soit confiée à un organisme chargé de représenter les intérêts des agriculteurs. Cela présente toutefois deux types d’avantages : (1)

5 Prévue dans le Code de l’environnement, la ZRE est définie comme une zone où est constatée une insuffisance, autre qu’exceptionnelle des ressources par rapport aux besoins.

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une connaissance fine du terrain par les techniciens et donc une diminution des coûts administratifs (Lecat, 2005), et (2) une meilleure acceptabilité de la démarche (la Chambre d’Agriculture étant par nature un organisme expérimenté dans le dialogue avec la profession agricole). D’autres démarches visant à établir un dialogue entre tous les acteurs concernés par la gestion et l’exploitation d’eau souterraine ont été entreprises. Notamment, dans l’objectif de parvenir à un programme global de protection et de gestion concertée de l’aquifère multicouche de la plaine du Roussillon, le 17 juillet 2002 un Accord-cadre a été signé par le préfet, la Chambre d’Agriculture, la Chambre des Métiers, la Chambre de Commerce, le Conseil Général et l’Agence de l’Eau RMC (Agence de l'Eau RMC et al., 2003).

Un instrument à vocation incitative pour agir sur la demande d’eau souterraine est la redevance ressource instaurée par la loi sur l’Eau de 1964. L’utilité de la redevance pour la gestion de la demande, autre qu’assurer la santé financière du système de gestion, réside dans son potentiel incitatif à l’économie d’eau. Une tarification correcte des prélèvements en eau souterraine permet d’envoyer les bons signaux pour la prise de décision concernant l’investissement en technologie d’irrigation et le choix de la ressource à exploiter, deux décisions intimement liées. Le taux de la redevance, bien que très faible, est fortement différencié selon la rareté de l’eau ; il est applicable sur les volumes prélevés dont le niveau est connu grâce à un relevé de compteurs ou estimé forfaitairement en leur absence. Pour inciter à l’adoption des moyens de mesure (rendus obligatoires par la loi sur l’Eau de 1992), les volumes déterminés grâce au comptage sont minorés par un coefficient représentant la restitution d’eau au milieu naturel (ceci peut plus que doubler la montant total de la redevance)6. Actuellement, le taux de la redevance est trop faible et parfois ne couvre même pas les coûts supportés pour son recouvrement, expliquant ainsi que certains agriculteurs ne soient pas soumis à paiement (Montginoul, 2007).

L’eau souterraine dans la plaine du Roussillon n’a pas été encore atteinte par une intrusion d’eau de mer et, dans l’état actuel de l’exploitation, cette intrusion est peu probable (Aunay, 2007). Néanmoins, l’abaissement chronique des niveaux piézométriques des nappes profondes est un signe de surexploitation qui rend incontournable la mise en place d’une structure de gestion de la demande.

6 A partir de janvier 2008, les modalités de calcul des redevances actuelles seront profondément modifiées.

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Malgré l’engagement précoce des autorités dans la gestion des eaux, l’exploitation non domestique de l’eau souterraine dans le Roussillon à des fins principalement agricoles s’est fortement développée sans aucun contrôle. En conséquence, les forages agricoles ne sont que partiellement connus et les volumes prélevés sont rarement mesurés. Suite à la signature de l’Accord Cadre en 2002, plusieurs démarches ont été entreprises visant à constituer une structure collective de gestion de l’eau souterraine et à recenser l’ensemble des points de captage.

Les captages connus sont soumis à une redevance par volume prélevé dont le taux reflète la rareté de la ressource. Ce type d’instrument (taxe pigouvienne) a été traditionnellement mis en avant par la littérature économique par ces avantages en termes de flexibilité : théoriquement, en augmentant le taux de la redevance le régulateur peut induire une réduction des volumes prélevés sans contraindre les choix technologiques des agents. Mais son utilité, autre que pour récupérer des fonds, a été critiquée par les gestionnaires, notamment dû à l’incertitude qui règne sur le résultat de la mise en place d’un tel instrument. En effet, rien n’indique a priori que les agents vont réagir de la façon qui est prédite par la théorie. L’élasticité de la demande en eau dépend de plusieurs facteurs (techniques et aussi comportementaux). Ainsi, même si techniquement les besoins en eau peuvent être optimisés dans le court terme (sans investissements majeurs comme un changement de technologie d’irrigation), les prélèvements peuvent ne pas être réactifs au prix de l’eau (taux de la redevance). Ceci peut s’expliquer par des facteurs comportementaux qui ne sont pas bien intégrés dans la théorie (ou le modèle) utilisée pour prédire une élasticité particulière. Un agriculteur peut valoriser l’eau d’une façon différente, et ceci peut l’amener à continuer à prélever beaucoup même si le taux de la redevance est élevé, soit à son péril financier (en payant la redevance), soit en éludant l’instrument. Aussi, un agriculteur peut avoir une rationalité limitée, prendre des décisions suivant des règles qui ne sont pas prises en compte dans le modèle théorique. Donc, la question qu’un régulateur peut se poser est, peut-on reposer la gestion de la demande en eau souterraine sur une redevance sur les volumes prélevés ou, il faut utiliser un instrument plus fiable (quotas ou marché d’eau) ? Autrement dit, s’il est techniquement possible, peut-on réguler les prélèvements en modifiant le taux de la redevance ?

La méthode expérimentale peut apporter de réponses à ce type de question : à partir d’expériences en laboratoire, il est possible d’avoir, ex ante à toute mise en pratique d’un instrument, une première confrontation empirique de la performance attendue de celui-ci. Il

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permet donc d’éviter, en cas d’inadéquation de l’instrument, des coûts sociaux éventuellement importants. Egalement, les résultats des expériences sont très utiles pour servir de support aux discussions entre les différents acteurs, soit pour faire passer un message plus facilement qu’avec des théories abstraites et lourdes en mathématiques, soit pour servir de preuve en faveur d’un argument spécifique.

1.4 Conception et évaluation des politiques publiques à l’aide de l’économie