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CHAPITRE  I   : LA WESTERN CLIMATE INITIATIVE EST-­ELLE L’AVENIR DU

1)   La tension exprimée à l’échelon national 45

Ce portrait déséquilibré des émissions à l’échelle nationale reflète la diversité de situation des provinces en matière économique et démographique. La tension créée par cette diversité est renforcée par la

43 Ibid à la p 628. 44 Ibid à la p 626.

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répartition fragmentée des compétences législatives en matière environnementale et en matière de mise en œuvre des traités internationaux au Canada.

Au Canada, les provinces et le gouvernement fédéral possèdent la compétence législative pour agir dans le domaine des changements climatiques et adopter des politiques de réduction des émissions de carbone. Le pouvoir de réglementation des provinces repose principalement sur leur compétence en matière de propriété et de droits civils45 et en matière de ressources naturelles46. Le pouvoir de

réglementation du gouvernement fédéral en ce domaine est accessoire et repose sur sa compétence en matière de droit criminel47.

En revanche, c’est le gouvernement fédéral qui dispose du pouvoir de négocier et de ratifier les traités. Toutefois, leur mise en œuvre suit la répartition des compétences législatives. Ainsi, même si le gouvernement fédéral disposait du pouvoir de négocier et de ratifier le Protocole de

Kyoto, ce sont les provinces qui possèdent les compétences les plus larges

pour assurer sa mise en œuvre48.

45 Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduit dans LRC 1985, app

III, n° 5, art 92 (13).

46 Ibid à l’art 92A. 47 Ibid à l’art 91 (27).

48 Au sujet de la répartition au Canada des compétences en matière environnementale et

en matière de traités, voir les explications de Hélène Trudeau, « L'environnement et la constitution canadienne : le droit à l'épreuve de la réalité du terrain » (2011) 39 Revue de droit de l'ULB 33. Ce point de vue est partagé par plusieurs auteurs, voir par exemple Peter W Hogg, « Constitutional Authority Over Greenhouse Gas Emissions » (2009) 46 Alb L Rev 507 et Shi-Ling Hsu et Robin Elliot, « Regulating Greenhouse Gases in Canada: Constitutional and Policy Dimensions » (2009) 54 McGill L J 463.

La négociation et la ratification du Protocole de Kyoto ont formé la trame d’une intrigue constitutionnelle riche en rebondissements. Cette intrigue a placé le gouvernement fédéral devant le dilemme suivant. Il devait réussir l’exercice difficile et politiquement coûteux de forger un consensus avec les provinces au sujet de l’établissement de la cible canadienne et sa distribution provinciale et sectorielle. À défaut, il devait être prêt à assumer un leadership fort et également politiquement coûteux afin de mettre en œuvre une politique fédérale de réduction des émissions de carbone permettant au Canada de respecter ses obligations internationales49.

Le dénouement de l’intrigue est connu. Les tentatives du gouvernement fédéral visant à dégager un consensus avec les provinces concernant la ratification et la mise en œuvre du Protocole de Kyoto se sont soldées par un échec. Ainsi, aucun accord n’a été trouvé avec les provinces ni sur la répartition de l’effort de réduction des émissions de carbone, ni sur le déploiement à l’échelle nationale d’un régime d’échange de droits d’émission qui permettrait de réduire les coûts de cet effort.

Par exemple, certaines provinces comme l’Alberta se sont opposées dès la négociation du Protocole de Kyoto à la cible de réduction des émissions envisagée par le gouvernement fédéral de 6 % par rapport à leur niveau de 1990. L’Alberta a plaidé pour que le gouvernement fédéral privilégie une approche flexible qui reflète davantage les contraintes de son économie. L’issue des négociations a été une déception pour cette province qui s’est

49 Pour une discussion des dimensions constitutionnelles de ce dilemme, voir Hélène

Trudeau et Suzanne Lalonde, « La mise en œuvre du Protocole de Kyoto au Canada : concertation ou coercition ? » (2004) 34 RGD 141.

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ensuite opposée à la ratification et à la mise en œuvre du Protocole de

Kyoto par le Canada50. À l’opposé, le Québec a déclaré qu’il se considérait lié par les objectifs du Protocole de Kyoto et qu’il allait assurer sa mise en œuvre. Cette déclaration a d’ailleurs été faite conjointement à l’affirmation que la province était seule compétente pour ce faire51.

Le gouvernement fédéral n’a pas non plus assumé de rôle de leadership. Lors de son accession au pouvoir en février 2006, le gouvernement conservateur a annoncé l’intention du Canada de ne pas respecter ses engagements de réduction des émissions aux termes du Protocole de

Kyoto52. En fait, depuis la signature de ce protocole, l’action du gouvernement fédéral en matière de lutte contre les changements climatiques a été plutôt limitée.

Plus récemment, en 2008, le gouvernement fédéral a présenté la version finale du Cadre réglementaire sur les émissions industrielles de gaz à

effet de serre53. Ce cadre contenait des objectifs de réduction découplés

des engagements de réduction du Canada aux termes du Protocole de

50 Teresa Meadows et Tony Crossman, « A Tale of Two Provinces: Imposing

Greenhouse Gas Emissions Constraints Through Law and Policy in Alberta and British Columbia » (2010) 47:2 Alb L Rev 421 à la p 10.

51 Protocole de Kyoto, supra note 9.

52 Louis-Gilles Francoeur, « Kyoto : les conservateurs déclarent forfait », Le Devoir (12

janvier 2006) A1; Brian Laghi, « Harper not bound by Liberal initiatives », The Globe

and Mail (13 janvier 2006) A6.

53 Environnement Canada, Cadre réglementaire sur les émissions industrielles de gaz à

effet de serre, Gatineau, 2008, en ligne : Environnement Canada – Environment Canada

Kyoto54. Il faisait entre autres appel à un régime d’échange de droits d’émission de type référence et crédit et était assorti de cibles de réductions fondées sur l’intensité des émissions55. Ce régime a fait l’objet de vives critiques du fait de la faiblesse de sa cible de réduction et des incertitudes entourant sa compatibilité avec les régimes de plafonnements et d’échanges. Son déploiement a été repoussé à maintes reprises avant d’être officiellement abandonné56.

Le gouvernement fédéral a aussi rendu public en 2008 un projet de règles mettant en place le « Système canadien de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre ». Il s’agit d’un programme de réductions volontaires visant des projets de réduction des émissions dans des secteurs non régis par un régime fédéral de réglementation en matière d’émissions atmosphériques. Les règles définitives étaient annoncées pour l’automne 2010, mais elles n’ont toujours pas été publiées57.

L’absence de leadership du gouvernement fédéral a amené les provinces à adopter au fil du temps les cibles qui leur convenaient en fonction des

54 Ibid. Les objectifs de réduction des émissions initialement annoncés étaient de 20% en

2020 par rapport à leur niveau de 2006. Ces objectifs ont ensuite été harmonisés avec les objectifs américains et sont maintenant de 17% en 2020 par rapport à leur niveau de 2005.

55 Pour une discussion du contenu de plan d’action, voir John C Goetz et al,

« Development of Carbon Emissions Trading in Canada » (2009) 46 Alb L Rev 377 aux para 75 et s.

56 Voir Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, Réponse de la Table

ronde nationale sur l’environnement et l’économie à ses obligations en vertu de la loi de mise en œuvre du Protocole de Kyoto, en ligne : National Round Table on the

Environment and the Economy <http://www.nrtee-trnee.com/fra/publications/lmopk- 2010/lmopk-2010_f.pdf> à la p 15.

57 Voir Environnement Canada, Le Système de crédits compensatoires pour les gaz à

effet de serre, en ligne : Environnement Canada

<http://www.ec.gc.ca/creditscompensatoires%2Doffsets/default.asp?lang=Fr&n=0DCC4 917-1>.

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particularités de leur économie et de leur profil d’émissions58. Ces démarches solitaires ont conduit le gouvernement fédéral et les provinces à développer leurs différents projets séparément et initialement du moins, sans égard à leur compatibilité.

Par exemple, l’Alberta est devenu en juillet 2007, le premier territoire nord-américain à disposer d’un régime d’échange de droits d’émission visant les GES. Toutefois, il s’agit d’un régime de type référence et crédit, fondé sur la réduction de l’intensité des émissions et visant uniquement les très grands émetteurs. Ce régime a essuyé de vives critiques compte tenu de la faiblesse de ses objectifs environnementaux et du fait qu’il n’était pas conçu pour être lié à d’autres régimes à l’extérieur de l’Alberta59.

D’autres provinces ont pris des chemins différents. Elles ont adopté un grand nombre de mesures. On trouve notamment, parmi ces mesures, des lois et décrets fixant des objectifs de réduction des émissions ainsi que le déploiement de divers instruments pour atteindre ces objectifs. Ces instruments comprennent une taxe sur le carbone (adoptée en Colombie- Britannique et au Québec) ainsi que des projets de régimes d’échange de droits d’émission (Colombie-Britannique, Manitoba, Ontario et Québec). Contrairement au régime albertain, il s’agit de régimes de plafonnement

58 À titre d’illustration, les objectifs de réduction des émissions de carbone pour 2020 de

la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec sont respectivement de 10%, 15% et 20% par rapport à leur niveau de 1990. L’objectif de réduction des émissions de l’Alberta est d’environ 14% pour l’année 2050 par rapport à leur niveau de 2005.

59 Pour une description du régime albertain, voir Goetz et al, supra note 55 aux para 36

et d’échange fondés sur des cibles de réduction absolue des émissions et conçus pour être liés à d’autres régimes à l’extérieur de ces provinces60.

Force est de constater que le paysage canadien relatif aux objectifs de réduction des émissions de carbone et aux politiques mises en œuvre pour atteindre ces objectifs est caractérisé par une importante fragmentation et par la place prépondérante des initiatives provinciales.