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CHAPITRE  I   : LA WESTERN CLIMATE INITIATIVE EST-­ELLE L’AVENIR DU

2)   Une importance mitigée à long terme 65

Le projet de la WCI présente trois caractéristiques qui peuvent s’avérer problématiques sur une plus longue période de temps. La première caractéristique est une effectivité environnementale amoindrie90.

Tout d’abord, la participation est purement volontaire. Ainsi, ce ne sont pas toutes les provinces canadiennes qui sont membres de la WCI. De toutes les provinces et territoires du Canada, l’Alberta est celle qui émet le plus de carbone. Elle est notoirement absente du projet de la WCI et rien n’indique qu’elle soit intéressée à en rejoindre les rangs à court ou à long terme. Rappelons que le régime albertain n’est pas compatible avec un régime de plafonnement et d’échange et n’a pas été conçu pour être lié à d’autres régimes à l’extérieur de la province.

De plus, l’absence de portée nationale du projet de la WCI favorise les « fuites », c’est à dire la possibilité pour certaines industries de transférer leurs activités les plus polluantes dans les provinces ayant des règlementations plus douces en matière d’émissions de carbone.

La seconde caractéristique est la probabilité de coûts de transactions élevés. Cette caractéristique fait en sorte que l’efficience économique de la WCI pourrait être réduite et rendrait plus difficile la réalisation des réductions d’émissions de carbone au moindre coût. Ces coûts de transaction résultent essentiellement de la décentralisation et de la

90 Lawrence H Goulder et Robert N Stavins, « Interactions Between State and Federal

Climate Change Policies » Discussion Paper 2010-36, Cambridge (MA): Harvard Project on International Climate Agreements, June 2010 à la p 2.

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fragmentation des régimes. Les coûts sont susceptibles de se manifester plus particulièrement en matière de surveillance et de sanction dans le cadre du fonctionnement administratif de la WCI. Ils pourront se manifester également dans le cadre de la réglementation et de la surveillance du marché.

La WCI est formée par un réseau de régimes de plafonnement et d’échanges mis en place par les provinces et les États fédérés partenaires. Cette situation a plusieurs conséquences.

Tout d’abord, ces régimes seront similaires, mais non identiques, ne serait-ce que pour tenir compte des particularités juridiques des provinces et des États fédérés. Ces régimes présenteront des caractéristiques qui pourront varier d’un territoire à l’autre91. Par exemple, une entreprise ayant des installations au Québec et en Ontario sera assujettie à deux régimes de plafonnement et d’échange. Elle pourrait se voir attribuer des quotas gratuitement pour une installation dans une province, alors qu’elle pourrait devoir acheter des quotas aux enchères pour une installation semblable située sur le territoire de l’autre province. De même, sa capacité à utiliser des crédits compensatoires pour respecter ses obligations de réduction pourra varier d’une province à l’autre. À première vue, il semble probable que pour les entreprises, il soit plus coûteux de gérer la conformité à plusieurs régimes provinciaux que de se conformer à un régime fédéral unique.

91 « Design », supra note 77 à la p DD-24.

De plus, l’application des règles des régimes provinciaux repose sur une architecture en réseau. Celle-ci s’appuie sur un écheveau d’ententes de reconnaissance mutuelle des décisions administratives entre les provinces. Ces décisions portent autant sur la reconnaissance de la validité des droits d’émission des autres partenaires que sur la reconnaissance des sanctions. Selon l’auteure Christie J. Kneteman, « [t]he proposed enforcement mechanism of the WCI is extremely weak and decentralized; it therefore has the portential to erode compliance and the effective operation of the emissions trading system »92.

Il est possible d’ajouter qu’à première vue, un tel système paraît plus coûteux à mettre en œuvre qu’un régime fédéral unique.

Les partenaires de la WCI sont conscients de ces problèmes et étudient la possibilité de mettre sur pied une organisation régionale afin d’assurer la coordination de la mise en œuvre des régimes d’échange de droits d’émissions provinciaux et étatiques. Les États fédérés et les provinces n’ont cependant pas le pouvoir de créer une organisation régionale ayant un caractère supra étatique. Les partenaires envisagent donc de recourir à un organisme sans but lucratif qui se verrait confier un certain nombre de missions. Toutefois, le territoire d’incorporation de cette entité et ses attributions exactes ne sont pas encore connus93.

92 Christie J Kneteman, « Building an Effective North American Emissions Trading

System: Key Considerations and Canada's Role » (2010) 20 J Envtl L & Prac 127 à la p 144.

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Des problèmes de fragmentation sont également présents dans la surveillance du marché des droits d’émissions. Les autorités provinciales et étatiques sont compétentes en matière de réglementation et de surveillance du marché au comptant qui vise le règlement et la livraison immédiate des droits d’émission. Cependant, la situation est différente en matière de produits dérivés (par exemple, les contrats à terme). Aux États-Unis, c’est la Commodity Futures Trading Commission qui est compétente alors qu’au Canada cette compétence est partagée entre les autorités de réglementation en valeurs mobilières des provinces94. La

situation est cependant incertaine au Canada du fait de la proposition fédérale de créer une commission des valeurs mobilières fédérale qui remplacerait à terme les autorités provinciales95.

La troisième caractéristique est la vulnérabilité de la portion américaine de la WCI au droit de préemption du gouvernement fédéral américain découlant de la « Supremacy Clause » de la constitution américaine96. Ce droit de préemption est très large et permet au Congrès et à l’administration fédérale d’envahir des champs déjà occupés par la législation des États fédérés97. La probabilité du déploiement d’un régime fédéral de plafonnement et d’échange de droits d’émission aux États-Unis semble plus élevée à long terme. Ce déploiement donnerait

94 Ibid à la p DD-20.

95 Ministère des Finances du Canada, communiqué 2010-051, « Le ministre des Finances

prend des mesures clés pour mettre sur pied un organisme canadien de réglementation des valeurs mobilières » (26 mai 2010), en ligne : Ministère des Finances Canada <http://www.fin.gc.ca/n10/10-051-fra.asp>.

96 US Const art VI, cl 2.

97 Pour une explication de la « Supremacy Clause » et du fonctionnement du droit de

préemption, voir Jeremy Lawrence, « The Western Climate Initiative: Cross-Border Collaboration and Constitutional Structure in the United States and Canada » (2009) 82 S Cal L Rev 1225 à la p 1247.

vraisemblablement lieu à l’exercice du droit de préemption. La survenance de cette éventualité provoquerait certainement une remise en question des régimes de plafonnement et d’échange déployés par les États fédérés dans le cadre des initiatives régionales. Comme le rappelle J Scott Childs,

[w]hile most of the inter-jurisdiction cooperation on cap-and- trade within North America has occurred through regional initiatives like the WCI and RGGI, the federal cap-and-trade programs ultimately instituted by Canada and the United States may render these efforts moot98.

Cette menace est loin d’être théorique. Par exemple, le American Clean

Energy and Security Act of 200999 adopté par la Chambre des

représentants en juin 2009 ainsi que plusieurs textes discutés par la suite au Sénat contenaient des dispositions de préemption susceptibles d’entrainer la dissolution des régimes régionaux100.

Le recours à la préemption par les autorités fédérales américaines aurait certainement des répercussions au Canada. Ces répercussions sont difficiles à prévoir car elles dépendent de l’ampleur de la préemption. Cette dernière pourrait être en effet partielle ou totale. Une préemption totale provoquerait certainement l’effondrement du volet américain de la WCI. Les entreprises canadiennes perdraient alors leur accès à la portion américaine du marché des droits d’émission. Le marché des droits

98 Childs, supra note 62 à la p 432.

99 American Clean Energy and Security Act of 2009, H.R. 2454, 111th Congress, 1st

session, June 26, 2009.

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d’émission de la WCI pourrait être limité aux provinces canadiennes et perdre sans doute une part significative de sa liquidité.

Ces trois caractéristiques du projet de la WCI indiquent que son impact sur le marché du carbone au Canada sera probablement mitigé avec le temps. Une effectivité environnementale amoindrie, des coûts de transaction élevés et l’ombre de la préemption risquent plutôt de favoriser à terme l’émergence d’un marché reposant sur un régime fédéral de plafonnement et d’échange de droits d’émission au Canada, lui-même calqué sur un éventuel régime fédéral américain.

Conclusion

Le succès de la WCI au Canada est avant tout l’histoire d’un échec du gouvernement fédéral canadien. Les auteurs s’entendent pour reconnaître que le caractère global de la lutte contre les changements climatiques et les dimensions nationales des enjeux et des mesures impliquées nécessitent l’intervention du gouvernement fédéral101. Bien qu’elle ait été

maintes fois annoncée, cette intervention n’a pas eu lieu.

L’action coordonnée de plusieurs provinces au sein de la WCI pour palier l’inaction fédérale et mettre en place un réseau de régimes de plafonnement et d’échange est exemplaire. Elle est néanmoins fragile. Cette fragilité possède une dimension interne liée en partie à la prévisibilité des coûts de transaction. Elle possède aussi une dimension

101 Voir par exemple Hélène Trudeau et Suzanne Lalonde, supra note 49; Hsu et Elliot,

externe du fait de la vraisemblance de l’exercice du droit de préemption par les autorités fédérales américaines. Aux États-Unis, cette fragilité est perçue comme si importante, que des auteurs comme Michael Barnett voient essentiellement la WCI « as a pressure tactic on the federal governments »102.

Il est possible que la WCI ait au bout du compte une influence sur les décisions du gouvernement fédéral américain. Ce qui paraît plus certain cependant, c’est que l’inaction du gouvernement fédéral canadien a placé le pays dans une situation de dépendance accrue vis-à-vis des autorités fédérales américaines. En choisissant d’attendre plutôt que d’agir, le gouvernement fédéral a possiblement réduit de manière significative ses chances d’avoir une influence sur la forme que prendra à long terme le marché canadien des droits d’émission de carbone.

102 Michael Barnett, « Canadian Provinces and the Western Climate Initiative: The

Constitutionality of Extraordinary Cross-Border Cooperation » (2010) 48 Colum J Transnat’l L 321 à la p 352.

Chapitre II : Le rôle de la propriété et du marché