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L’ APPLICATION DE LA MÉTHODE DE L ’ ANALYSE ÉCONOMIQUE DU DROIT AUX

2.   LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 13

2.2   L’ APPLICATION DE LA MÉTHODE DE L ’ ANALYSE ÉCONOMIQUE DU DROIT AUX

du Québec

Dans l’article intitulé « Le rôle de la propriété et du marché dans le régime québécois de plafonnement et d’échange de droits d’émission de carbone », nous avons présenté l’analyse économique de la pollution, la fonction incitative de la propriété ainsi que le rôle critique joué par le marché dans l’efficacité du SPEDE. Il s’agit là de concepts essentiels qui

se retrouvent tout au long de la thèse, mais qui sont souvent mal connus des juristes. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité les rassembler à cette première étape de mise en œuvre de la méthode de l’analyse économique du droit.

Nous avons également situé l’action du Québec dans son contexte international. Comme nous l’avons mentionné au début de l’introduction, les instruments internationaux de lutte contre les changements climatiques ont fortement influencé les mesures prises par le Québec66. Nous présentons donc ces différents instruments, en montrant la manière dont ils ont opérationnalisé l’analyse économique de la pollution et du même coup leur incidence sur la réglementation québécoise67.

Ce tour d’horizon nous a permis de situer la pollution par les GES dans l’analyse économique. Ainsi, le bien commun à protéger n’est pas l’intégrité de l’atmosphère, mais plutôt sa stabilité, de manière à prévenir ou réduire l’impact coûteux d’une adaptation aux changements climatiques. De fait, si cette adaptation ne comportait pas de conséquences économiques, il est probable que la concentration de GES dans l’atmosphère ne provoquerait pas les débats que l’on sait.

Nous avons constaté que la déstabilisation du climat était perçue comme la conséquence du libre accès à l’atmosphère et constituait une externalité négative. Autrement dit, elle est le signe d’une défaillance du marché

66 Le Québec est actif dans plusieurs forums internationaux consacrés aux recours aux

instruments économiques dans la lutte contre les changements climatiques. Il est ainsi membre du Climate Group (voir www.theclimategroup.org), du Climate Registry (voir www.theclimateregistry.org) et du International Carbon Action Partnership (voir www.icapcarbonaction.com).

67 Par exemple, le Protocole de Kyoto prévoit le contingentement des émissions, la

création d’une unité de compte des émissions (tonne équivalent dioxyde de carbone) ainsi que la création d’un marché des crédits d’émission (mécanisme pour un développement propre, application conjointe et échange d’unités de quantités attribuées).

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puisque les agents économiques n’acquittent pas le coût réel de leurs émissions de GES. Le remède à cette défaillance ne fait cependant pas l’unanimité. Alors que certains économistes (Pigou) proposent la fixation d’un prix de la pollution par une intervention directe de la puissance publique sous la forme d’une taxe, d’autres (Coase) renvoient plutôt au marchandage de droits de propriété entre les agents, le soin de faire émerger le prix.

Quel que soit le remède, l’internalisation des externalités est réalisée en permettant aux agents économiques de moduler leur comportement en fonction d’un calcul coût-avantage. Cependant, il existe des différences notables entre les deux approches. L’imposition d’une taxe permet d’assurer un signal prix clair et stable, mais rend le niveau final des émissions incertain. De plus, l’établissement d’un niveau de prix optimal des émissions de GES par la puissance publique risque en théorie d’être inefficace à cause de la quantité d’information nécessaire et de la diversité de situation des agents.

En revanche, le recours à la propriété et au marché permet d’obtenir la certitude du niveau des émissions. Cependant, le prix des émissions fluctuera en fonction de l’offre et de la demande de droits de propriété. Sa formation est aussi tributaire de l’absence de défaillance du marché des droits de propriété. En théorie, le recours à la propriété et au marché permet d’atteindre un niveau certain d’émissions de GES et d’assurer la répartition finale des droits de propriété dans les mains de ceux qui les valorisent le plus. Un tel instrument serait alors théoriquement plus efficace que la taxe.

Le SPEDE fait clairement partie de cette catégorie d’instrument économique de protection de l’environnement. Il fait donc appel à la

propriété et à l’établissement d’un marché. La propriété est avant tout un outil de gestion de la rareté et possède un effet incitatif axé sur la gestion prudente et la maximisation de sa valeur. C’est là un des bienfaits recherchés par un instrument comme le SPEDE. Les agencements de la propriété peuvent prendre des formes multiples qui auront une incidence sur son opposabilité et sa transférabilité et par conséquent sur sa valeur sur le marché. Une des particularités de la propriété dans les régimes d’échange de droits d’émission est qu’elle repose sur une simulation. En effet, l’atmosphère n’est pas susceptible d’appropriation. Les droits d’émission sont des autorisations d’émettre et non l’expression d’une forme de privatisation d’une ressource naturelle. Du coup, la puissance publique possède une grande liberté dans la configuration de la propriété sur les droits d’émission. Cette configuration est un trait important du SPEDE sur lequel nous nous sommes penchés tout au long de la recherche, car il nous paraît être le premier point de tension entre la théorie économique et sa transcription juridique.

Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente, la cristallisation de l’efficacité du SPEDE se produit à l’occasion de l’échange des droits d’émission. Par exemple, il nous semble que c’est au niveau de l’échange que les répercussions d’un mauvais agencement de la propriété sur les droits d’émission se feront davantage sentir. Par ailleurs, afin que le SPEDE puisse remplir son objectif d’efficacité économique, l’encadrement des échanges doit permettre aux participants au marché de réaliser des transactions conduisant à une répartition finale optimale des droits d’émission. Pour ce faire, les règles du SPEDE doivent minimiser les coûts de transaction.

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Avant de pouvoir déterminer si les règles du SPEDE étaient susceptibles d’atteindre cet objectif, il nous a semblé nécessaire de passer à la deuxième étape de la méthode d’analyse et d’élaborer une modélisation plus générale de l’échange dans les régimes de plafonnement et d’échange et droits d’émission.

Dans l’article intitulé « L’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre sous la loupe de l’analyse économique du droit » nous avons modélisé l’échange de droits d’émission dans un régime de plafonnement d’échange. Ainsi, après avoir approfondi les ressorts du « théorème de Coase » qui lui sert de fondement, la modélisation a été établie de manière progressive afin de mettre en évidence les transformations apportées par cette catégorie d’instrument à la structure incitative de l’encadrement des émissions et les effets attendus sur le comportement des agents économiques.

Nous avons abordé ensuite l’épineux problème posé par les coûts de transaction. La notion de coûts de transaction n’est en effet pas stabilisée alors qu’elle est pourtant centrale à l’appareillage coasien. La revue de littérature que nous avons effectuée en matière de politiques environnementales et plus particulièrement à l’égard des régimes d’échange de droits d’émission montre une absence de consensus à l’égard du contenu de la notion de coûts de transaction. Il nous semble d’ailleurs que le flottement autour du contenu de cette notion représente un obstacle méthodologique non négligeable à la maturation de la recherche juridique sur ce type d’instrument économique de protection de l’environnement et reflète un second point de tension avec la théorie économique.

Ce constat nous a amenés à définir les coûts de transaction aux fins de notre étude, de la manière suivante. Ils représentent les coûts d’information liés à l’établissement, à la protection et au transfert des droits d’émission et qui ont une incidence négative sur la structure incitative de la réglementation d’un régime de plafonnement et d’échange de droits d’émission. Ils intègrent également les conséquences de l’incertitude. La définition a ensuite été spécifiquement ajustée à la modélisation des règles applicables à l’échange de droits d’émission. De cette manière, seuls les coûts de transaction pesant sur les participants à l’occasion de l’échange ont été envisagés.

La modélisation a donc été articulée autour du déroulement logique de l’échange et a été progressivement enrichie par l’intégration des coûts de transaction tirés de l’expérience des régimes de plafonnement et d’échange de droits d’émission déjà en vigueur. Le modèle a ainsi permis de mettre en évidence plusieurs catégories de coûts. Par exemple, la détermination des coûts liés à la recherche de cocontractants illustre l’importance de la fonction de la puissance publique en tant que « signaleur » de la qualité des participants au marché des droits d’émission. L’identification des coûts liés à la négociation de l’échange a mis en évidence l’effet de la standardisation des modalités de l’échange, mais a aussi souligné les conséquences de l’incertitude entourant la qualification juridique des droits d’émission et la validité environnementale des crédits compensatoires. Enfin, l’évaluation des coûts liés à l’exécution de l’échange a montré le rôle de l’infrastructure institutionnelle et les questions soulevées par la fragmentation du cadre juridique de la surveillance.

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L’établissement de ce modèle enrichi de l’échange de droits d’émission nous a fourni un outil précieux pour passer à la mise en œuvre de la troisième étape de la méthode d’analyse. Celle-ci n’a pu être véritablement réalisée qu’après la publication du cadre réglementaire final du Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission en décembre 2012. Le « jus analytique » de la recherche se trouve donc concentré dans l’article intitulé « L’encadrement de l’échange de droits d’émission dans le marché réglementé du carbone au Québec sera-t-il efficace? Enjeux, constats et prédictions ».

L’article applique de façon serrée le modèle enrichi de l’échange de droits d’émission. Il est donc également articulé suivant les étapes de réalisation de l’échange. Dans la section consacrée à la recherche de cocontractants, l’article analyse la triple stratégie d’élargissement du marché suivie par le règlement ainsi que les modalités de contrôle préalable des participants par le ministre de l’Environnement. Il expose ce faisant, la manière dont la puissance publique joue son rôle de signaleur.

La section consacrée aux modalités de l’échange permet de mettre en évidence leur institutionnalisation à géométrie variable selon que les participants transigent avec le ministre ou bien avec d’autres participants. Par ailleurs, la standardisation des modalités de l’échange se trouve entachée par des facteurs d’incertitudes identifiés à l’occasion de l’élaboration du modèle. Ainsi, l’article dessine l’ombre que l’incertitude entourant la qualification juridique des droits d’émission et la validité environnementale des crédits compensatoires pourrait jeter sur l’efficacité de l’échange.

Enfin, la troisième section de l’article est consacrée à l’exécution de l’échange. Elle montre notamment les effets du déploiement d’un portail

transactionnel centralisé dans la sécurisation de l’échange, mais aussi les enjeux de la surveillance du marché du carbone du SPEDE dans un contexte de décentralisation et de fragmentation des autorités de surveillance. Chacune de ces sections est accompagnée d’une analyse des coûts de transaction et de leurs impacts possible sur les étapes de l’échange.

La mise en œuvre de notre analyse en trois étapes nous a permis de faire ressortir l’économie générale des règles du SPEDE et de formuler un certain de nombre de constats par rapport à son architecture et aux points de friction qui seront les plus susceptibles de se manifester.

Maintenant que le paysage général de la recherche a été dessiné, nous proposons au lecteur de se tourner successivement vers les différents articles qui forment la thèse.

Chapitre I : La Western Climate Initiative est-elle